Le Centre Pompidou présente l'architecture épurée du Japonais Tadao Ando
Il y a à Paris des maquettes, des dessin et des photos. Le parcours de cet ancien boxeur, né en 1941, apparaît ainsi lumineux et cohérent. L'homme travaille en ce moment juste à côté, dans l'ex-Bourse de Commerce.

Tadao Ando dans la Bourse de Commerce, où un immense cylindre de béton se coulera dans un bâtiment laissé autrement tel quel.
Crédits: Partick Kovarik, AFPLe Japon est à Paris. Je vous l'ai
déjà dit à propos de «Jômon». L'Empire du Soleil-Levant attire
un public souvent spécialisé. On ne rencontre pas aux expositions nippones
les mêmes gens que pour la Chine, la France n'offrant pas (contrairement au Royaume-Uni) de réservoir humain intéressé par
l'Inde. Il existe cependant des exceptions. A Beaubourg, la
rétrospective Tadao Ando en fait partie. L'architecte intéresse les
amis du contemporain comme les tenants d'un certain zen oriental.
L'homme n'est-il pas en train de transformer, à quelques mètres du
Centre Pompidou, l'ancienne Halle aux grains du XVIIIe, reconstruite
au XIXe siècle sous forme de Bourse de Commerce? Un chantier
pharaonique, lancé par Pinault Ier pour montrer sa collection? Cinq
cents mille heures de travail nécessitant jusqu'à 400 ouvriers,
«dont trente jeunes défavorisés en formation».
Ando n'est pas un architecte comme les autres. D'abord, il s'agit d'un autodidacte. Né en 1941 à Osaka, en pleine guerre, il a été élevé par une grand-mère trop occupée par son petit commerce pour pouvoir réellement s'en occuper. Elle n'avait du reste pris qu'un seul enfant, le séparant de son jumeau. L'adolescent a donc découvert le monde seul, entamant à 17 ans une carrière de boxeur. Mais il avait aussi vu des livres parlant du Corbusier. Un choc, même si son œuvre actuel se situe aux antipodes de celui du Jurassien. A 24 ans, Ando peut mettre ses gants au vestiaire. Il part pour l'Europe. Il pense à juste titre qu'observer constitue une forme d'études comme les autres. Il a ainsi la possibilité d'ouvrir un petit bureau en 1969. Toujours à Osaka.
Un bureau modeste
Les débuts demeurent modestes, mais
Ando n'apprécie pas les agences gigantesques comme Jean Nouvel ou
David Chipperfield. Il y a quelques années, il employait 25
personnes, alors que ces collègues (finalement pas plus prestigieux
que lui) en faisaient travailler entre 150 et 200. Il faut dire
qu'Ando aime choisir les clients avec lesquels il va vivre durant des
années. Il n'a pas envie de faire de concessions. Le Japonais avoue
volontiers avoir perdu nombre de concours. Normal. Concourir, c'est
se couler dans le moule. Le candidat va au-devant des attentes du
futur commanditaire. Le client idéal de Tadao semble aujourd'hui le
milliardaire français François Pinault. La Bourse vient en effet
pour lui après la rénovation soft du Palazzo Grassi à Venise (déjà
transformé par Gae Aulenti) ou celle, un peu plus audacieuse, de la
Punta della Dogana dans le même ville. Mais attention! Les monuments
historiques veillaient, tout comme les amis du patrimoine! Ando a dû
baster pour les modifications visibles depuis le Grand Canal.
Auréolé d'un Pritzker obtenu en 1995 (le Nobel des architectes), le Japonais n'en a pas moins beaucoup construit ou aménagé. Beaubourg peut présenter cinquante projets et réalisations, accompagnés de carnets de voyage ou des photos prises en noir et blanc par Ando. Un panorama à la fois public et intime, par conséquent. Le visiteur peut découvrir l’œuvre de l'intérieur et de l'extérieur. Il est aidé par la cohérence d'Ando, qui ne donne pas dans tous les genres comme les Herzog & DeMeuron. Ces derniers admettent d'ailleurs ne pas avoir de style bien défini. Une chose qui n'est pas le cas ici. Le public se promène sans heurts ni ruptures des première maisons particulières édifiées dans l'archipel aux nombreux musées conçus par le maître (dont ceux sur l'île de Naoshima). Il y a aussi une église, près d'Osaka toujours, ou «La Colline de Bouddha» à Sapporo. Mais rien aux Etats-Unis ou en Chine...
Non au geste architectural
Situées sur la mezzanine de Beaubourg, les expositions d'architectures me semblent d'un intérêt très inégal. Renzo Piano et Frank Gehry avaient brillamment réussi la leur. Je n'avais à peu près rien compris à celle de Bernard Tschumi. La prestation autour de Tadao Ando, organisée par le commissaire Frédéric Migayrou, apparaît claire même si aucun cheminement ne se voit prévu. Les photos de l'artiste (un architecte est aussi un artiste) ajoutent un supplément d'âme. Les maquettes possèdent la bonne taille. Ni trop petites, ni énormes. Il faut bien sûr aimer le travail d'Ando, que je trouve un peu froid avec ses bétons lisses laissés bruts. Ando aspire pourtant à produire des choses capables d'émouvoir notre âme. Bref, l'exposition possède l'immense mérite de souligner la cohérence d'un homme ne donnant pas dans le geste architectural. Ando n'est pas du genre tape-à-l’œil. Il ne joue pas les mégalomanes. Il ne dépense pas le plus d'argent possible. Ce créateur se contente de faire bien, utile et sans doute durable. Des qualités qui tendent aujourd'hui à se perdre...
Pratique
«Tadao Ando, Le défi», Centre Pompidou, mezzanine, 1, place Georges-Pompidou, Paris, jusqu'au 31 décembre. Tél. 00331 44 78 12 33, site www.centrepompidou.fr Ouvert tous les jours, sauf mardi, de 11h à 21h.