Le Cabinet d'arts graphiques genevois présente Claude Lorrain et ses suiveurs
Gravures du maître. Estampes d'après le maître. Quelques tableaux et dessins. Plus la suite, avec des Joseph Vernet ou des Camille Corot. Le MAH a cette fois réussi son coup.

Danse de paysans. Une gravure de Lorrain lui-même.
Crédits: MAH, Genève 2019.Lorsqu'on organisera le concours de
l'affiche genevoise la plus illisible de 2019, il ne faudra pas
oublier celle d'«Apprivoiser la lumière» au Cabinet d'Arts
graphiques. Le jaune est une couleur dangereuse. On ne parle pas de
«péril jaune» pour rien. Les petits caractères attirent mal
l'attention. Surtout quand ils recouvrent une gravure déjà saturée
de traits de Claude Lorrain. Enfin, il faut bien faire travailler les
graphistes, qui sont bien entendu extérieurs au Musée d'art et
d'histoire! Tout comme les décorateurs de cette nouvelle exposition! Chacun sait que l'institution est non seulement pauvre,
mais dépeuplée. La preuve. Elle vient d'engager une nouvelle
personne qui complétera non pas l'équipe scientifique, mais
l'administration. Administrons, administrons...
Cette mauvaise communication tombe mal. Montée par Christian Rümelin, la manifestation constitue en effet une réussite. Elle l'est par le traitement du sujet, qui fait le tour de Claude Lorrain et de ses descendants. Elle l'apparaît en fait aussi par sa mise en scène. Les quelque 123 pièces retenues ne se bousculent pas sur les murs, complétés par des cimaises en milieu de salle. L'ancien appartement que reste le Cabinets d'Arts graphiques ne se révèle pourtant pas bien vaste. Il a en plus fallu mettre en valeur différents médias. Si le dessin se mêle sans trop de mal aux gravures, le parcours inclut trois tableaux dont un important Lorrain prêté par le Kunsthaus de Zurich, qui en possède deux autres. Un quatrième, particulièrement beau, se voit par ailleurs prêté à long terme à l'institution alémanique.
Un artiste atmosphérique
Pourquoi Claude? Parce qu'il s'agit
d'un artiste ayant non seulement marqué son époque (il meurt
octogénaire en 1682), mais les suivantes. L'homme est né en
Lorraine, comme son nom l'indique. Il s'agit alors d'un duché
indépendant, vestige de l'ancienne Lotharingie. Il ne se verra
rattaché à la France qu'en 1766. Claude, qui a fait toute sa
carrière à Rome, n'est donc Français que par annexion abusive. Il
en va de même pour l'autre grand paysagiste de l'époque. Gaspard
Dughet, le beau-frère de Nicolas Poussin, n'est jamais sorti
d'Italie et ne parlait sans doute pas français. La chose n'a pas
empêché Claude de vite se faire connaître sur le plan
international par ses toiles, souvent prévues en paires, où il
décrit si bien les soleils matinaux ou le couchers de soleil. Claude
était déjà considéré de son temps comme un peintre
atmosphérique. Les sujets mythologiques se résument chez lui à
quelques silhouettes plantées dans une nature un peu trop belle pour
être vraie.

Claude a lui-même gravé. Des planches souvent de petite taille. Eau-forte et pointe sèche. Il s'agit d'un travail personnel, indépendant de ses toiles. Une chose à signaler en un siècle qui voit se multiplier la production de pièces destinées à diffuser l'iconographie de tableaux anciens et modernes. Des reproductions, analogues à nos actuelles photographie. Cela dit, Claude a énormément été diffusé au XVIIIe siècle, et c'est là le sujet d'une bonne partie de l'actuelle exposition. Il l'a été en Angleterre avec des gens comme Richard Earlom, Charles Knapton, Frederick Christian Lewis ou François Vivares, tandis que Giovanni Volpato se livrait au même travail à Rome. Pourquoi des artisans britanniques? Parce que dès 1700 les milords se sont mis à acheter du Lorrain, connu par eux sous le seul prénom de Claude. Ils aimeront tant ses paysages qu'il les voudront chez eux pour de vrai. Les jardins à l'anglaise réalisés par Cabability Brown vers 1760 sont des Lorrain en 3D, avec leurs constructions imitées des toiles du maître.
Un don tardivement montré
Le genre n'en a pas moins pu se
renouveler, comme le prouve Christian Rümelin au Cabinet d'arts
graphiques. Il y a eu les compositions peintes de Joseph Vernet, puis
les clichés verre de Camille Corot en France. Richard Wilson et John
Smith (en attendant William Mallord Turner) de l'autre côté du
Channel. Tous ont été fascinés par l'Italie, qu'ils ont vue avec
l’œil du Lorrain. Un grand parc ensoleillé aux arbres
magnifiques, avec par-ci par-là, quelques ruines romaines. Le pays
où fleurit le citronnier, comme on dit chez Goethe.
Si l'exposition a aujourd'hui lieu à Genève, c'est pour marquer l'entrée d'une très importante suite de pièces du Lorrain dans les collections locales. Oh, ce don n'est pas tout neuf! Il date de 2011. Nous sommes dans une cité où tout prend son temps. Il y a huit ans donc, la Société des Amis du musée, aidée par le mécénat de Jean Bonna et de Pierre Darier, aidait à l'acquisition de ce fonds comportant quelques pièces uniques par leur tirage, comme la contre épreuve (qui forme donc une image inversée) retouchée à l'encre du «Mercure et Argus» de 1662. Même la direction actuelle a admis qu'il fallait enfin accuser réception. Le reste se compose pour l'essentiel de pièces tirées de l'ancien fonds. Jean Bonna et la Fondation Jan Krugier ont fourni des dessins. Le Cabinet complète ceux-ci par du Töpffer père ou du Jean-Pierre Saint-Ours. L'angle genevois.
Catalogue en attente
Le catalogue n'est bien sûr pas sorti à temps de presse. Les instances responsables sont semble-t-il débordées. J'ai noté à ma grande surprise que les éditions du MAH relevaient de la communication. Avouez que pour un lieu communiquant si peu et si piteusement, cela fait mal dans le paysage. Un paysage à la Claude Lorrain, bien sûr!
Pratique
«Apprivoiser la lumière, Claude Lorrain et la perception du paysage», Cabinet d'arts graphiques, Musée d'art et d'histoire, 5, promenade du Pin, Genève, jusqu'au 16 juin. Tél. 022 418 25 00, site www.mah-geneve.ch Ouvert du mardi au dimanche de 11h à 18h.