C'était en septembre 1959. La Galerie Kasper de Lausanne, 4, rue de la Paix, présentait trois Milanais dont Piero Manzoni. Un choix audacieux à l'époque. Avec ses tableaux tout blancs (on pense du coup à la pièce «Art» de Yasmina Reza), cet Italien de 26 ans se situait à la pointe de l'avant-garde internationale. Il y eut d'ailleurs des polémiques par voie de presse. La critique émettait encore des idées à l'époque. Sept ans plus tard, comme le rappelle aujourd'hui son actuel directeur Bernard Fibicher, le Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne montrait son premier Manzoni. C'était il est vrai sur un stand, lors du second «Salon des galeries pilotes» lancé par René Berger, un lointain prédécesseur de Fibicher.
Manzoni revient aujourd'hui en gloire au Palais de Rumine. Organisée par Choghakate Kazarian (c'est une dame) et Camille Lévêque-Claudet (c'est un monsieur), cette rétrospective ne se veut cependant pas globale, comme l'était celle du Palazzo Reale de Milan, dont de vous ai parlé au printemps 2014. Elle se focalise sur les «achromes» qu'il ne faut pas voir comme des blancs, mais en tant qu'absences de couleurs. Le jeune Manzoni a radicalisé la démarche d'un Yves Klein, partisan du monochrome. Le bleu (ou le rouge, ou l'or que Klein utilisait aussi), c'était encore trop. L'Italien utilisera le plâtre sur toile, puis le kaolin avant que le support lui-même ne disparaisse, histoire de faire place à la fourrure synthétique ou au papier d'emballage.
Une Italie bouillonnante
Manzoni était né en 1933. Famille bourgeoise et aristocratique. Son père se nommait Egisto Manzoni, comte de Chiosca e Poggiolo. Sa mère appartenait à une très ancienne famille d'industriels. Le jeune homme a commencé par faire du droit, avant de bifurquer vers la philosophie et de très vite adopter une pratique artistique en autodidacte. L'Italie des années 50 se révélait en plein bouillonnement. Le «boom» économique y devenait le pendant transalpin du «miracle» allemand. Les avant-garde culturelles, que le fascisme n'avait pas étouffé, trouvaient là un terrain favorable. Toute une élite, située au Nord du pays, se voulait moderne. Les nouveaux riches suivront. Des tableaux du genre de Manzoni (et des meubles «design» clinquants) apparaîtront ainsi dans les films des années 60 montrant les financiers et les promoteurs «at home».
Le débutant, qui présente pour la première fois ses œuvres (il s'agit de tableaux encore assez classiques) au public en 1957, va rapidement se faire remarquer. Il adhère à divers mouvements (Zero, Azimuth). Il se répand sur la scène internationale, Hollande ou Danemark. Ce grand adolescent poupin se révèle aussi médiatique, comme Klein. Il choque ou il amuse en montrant des œufs ou en signant des modèles nus. Ce qui frappe cependant le plus ses admirateurs, c'est la vitesse de sa trajectoire, brutalement interrompue par une crise cardiaque en février 1963. Sa radicalité, pour employer un mot aujourd'hui très à la mode, leur semble conduire droit dans le mur. Malévich, en Russie, a au moins fait des tableaux jusqu'au bout. Un ultime point de repère.
Blanc sur blanc
Comme pour Klein, il est permis de se demander ce que Manzoni pouvait donner après. Il aurait pu tout arrêter, revenir comme certains au classicisme ou se répéter indéfiniment. C'est le cas de son condisciple Enrico Castellani. Né en 1930, ce dernier produisait encore, il y a quelques années, le même genre de toiles monochromes, épousant le relief créée en dessous d'elles, qu'en 1965. Des pièces très prisées par le marché, mais il faut dire que l'Italie «Post War» devient très à la mode. Il suffit de voir les «Italian Sales» proposées par Christie's ou par Sotheby's. Choghakate Kazarian est d'ailleurs une spécialiste de cette période. On lui doit notamment, en 2014, la belle rétrospective Luciano Fontana au Musée d'art moderne de la Ville de Paris, où elle travaille.
Que penser de «Piero Manzoni, Achrome» au Palais de Rumine, une exposition que l'existence d'une Fondazione Manzoni a facilitée? Du bien. Il y a là beaucoup d’œuvres. Elles se voient disposées sur des murs blancs, qui les font sembler sales. Mais c'est voulu. Un Manzoni est fait pour évoluer. Les poils de fourrure synthétique (blanche, bien sûr) se hérissent d'une manière différente dans chaque lieu. Les tampons d'ouate comportant du chlorure de cobalt rosissent ou bleuissent à l'instar de certains baromètres. Les toiles recouvertes de toiles plissées enduites de kaolin (un matériau plutôt lié à la porcelaine) s'empoussièrent en dépit des vitrages.
Produits synthétiques pauvres
Esthétiquement, ces achromes-là séduisent bien sûr davantage. Ils participent encore d'une esthétique remontant à l'Antiquité, celle des drapés. Tout devient ensuite plus cérébral. Le coton hydrophile apparaît sans le moindre «glamour». Sacralisé par le musée, il n'en reste pas moins un de ces produits pauvres, industriels, artificiels, technologiques comme Manzoni les aimait. Le Milanais voulait éloigner, en les utilisant, l'artiste de ce qu'on appelle la création. On sait que l'«Arte povera», qui va bientôt suivre du côté de Turin, préférera le retour aux racines. Aux terroirs. A l'essentiel. Le synthétique se verra du coup mis entre parenthèses. L'Italie d'avant 1968 restera assez pop art.
Pratique
«Piero Manzoni, Achrome», Musée cantonal des beaux-arts, 6, place de la Riponne, Lausanne, jusqu'au 29 septembre. Tél. 021 316 34 45, site www.mcba.ch Ouvert les mardis, mercredis et vendredis de 11h à 18h, le jeudi de 11h à 20h, les samedis et dimanches de 11h à 17h. Particulièrement luxueux et soigné, le catalogue a paru chez Hazan. Il comporte 193 pages.
Photo (Musée cantonal des beaux-arts/Pro Litteris): Un achrome à plissé de kaolin de Manzoni. Celui-ci se trouve en temp normal au Musée d'art moderne de Rome.
Prochaine chronique le samedi 25 juin. Des livres.
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LAUSANNE/Le Musée cantonal des beaux-arts est achrome avec Manzoni