Six octobre. Dix heures vingt. De la fenêtre du train qui arrive à Lausanne, je distingue deux tentes blanches au bord du trou remplaçant la défunte halle des locomotives, dont un moignon se verra conservé à titre de vestige. Je remarque surtout la chenille processionnaire se déplaçant vers cet endroit. A vrai dire, il s'agit plutôt d'un mille-pattes. Il y a 450 invités pour voir poser la première pierre de la future Plate-forme 10. Dont moi, même si je n'a jamais reçu formellement mon carton. Un oubli, sans doute. Les gens sont si distraits...
Dans cette petite foule, qui domine maintenant les substructures solidement bétonnées du Mcb-a (Musée cantonal des beaux-arts), percées d'un gros trou pour les élévateurs, je note plein de têtes connues. Certaines évoquent le passé, comme Yvette Jaeggi, qui fut la syndique mythique de Lausanne avant de devenir Madame Pro Helvetia. D'autres sont toujours d'actualité, dont Alice Pauli, assise au rang d'honneur, avec une canne dont on sait jamais avec elle s'il s'agit d'une aide ou d'une arme. Vera Michalski, avec un superbe manteau orange tranchant sur la grisaille du petit monde de l'art contemporain, est bien sûr là. Il y a aussi les artistes parmi lesquels figure Giuseppe Penone, un ami de la maison. Setsuko, la veuve de Balthus (1) est arrivée en kimono. Certaines dames mûres, très élégantes, font «grandes donatrices». Mais, comme me le dira plus tard Tatyana Frank, directrice de l'Elysée, «il ne faut pas toujours se fier aux apparences.»
90 ans pour en arriver là
Silence. Les musiciens ont posé leurs instruments. C'est l'heure des discours introduits pas Chantal Prod'Hom, présidente du comité de coordination et maîtresse de cérémonie. Il y en aura beaucoup. Mais brefs. Doivent aussi bien pouvoir s'exprimer les politiques locaux que les CFF (2), qui ont confié et déblayé le terrain, ou Isabelle Chassot, à la tête du Département fédéral de la culture. Une nomination qui tombe bien. Isabelle est de Morges, à quinze kilomètres de Lausanne. Dans l'ensemble, il ne s'agit pas de beaux parleurs, comme on on en entendrait gloser (ou glousser) sur sol français. Il n'y aura bien quelques formules aussi creuses que le trou en face duquel nous sommes, mais peu. Et plutôt sympathiques. En rappelant la malheureuse affaire de la votation populaire de 2008, qui avait refusé le projet d'un musée à Bellerive, permettant l'actuelle situation, j'ai bien aimé entendre que c'était «un bien pour un mal», et non le contraire.
Grâce à ces orateurs, j'aurai tout de même appris que le projet n'aura pas mis vingt ans, mais quatre-vingts dix ans à se concrétiser. En 1926 déjà, un directeur du Musée cantonal des beaux-arts (dont le nom n'a pas été cité) se plaignait au Canton d'être à l'étroit. Il aura fallu cinq générations pour élargir ce cadre. Tout devrait maintenant aller très vite, comme l'a rappelé un Bernard Fibicher un peu ému. D'après le directeur du musée, les murs seront debout fin 2017 pour une ouverture en 2019. Un rythme quasi bâlois. Et maintenant, plus moyen de revenir en arrière, comme c'est naguère arrivé à Bordeaux ou à Marseille (3), qui ont creusé des fondations de musées sans jamais élever de bâtiments par dessus. La première pierre va se poser.
On en arrive effectivement au grand moment. La pierre est en fait une caisse de bois. «Nous avons demandé à 80 artistes de nous donner un objet, dont nous ne connaissons pas la nature», explique Bernard Fibicher. Ces œuvres (d'un maximum de quelque centimètres cubes) auront au peu la même mission que les clous de fondation chez les Mésopotamiens. C'est là un geste amical, convivial et participatif, comme on dit de nos jours en langage administratif. Je suis sûr qu'au temps joyeux de la préhistoire, il y aurait eu le sacrifice humain de l'un de ces plasticiens. Notez qu'il y en a aujourd'hui tellement!
Encore de l'argent à trouver
Voilà. La partie officielle est terminée. C'est la séance de pose pour les photographes. Des radios plus ou moins locales tendent leurs micros. A côté de moi, une consœur, qui a tout écouté d'une demi oreille, termine d'envoyer ses textos. Au bord du trou, deux cors de Alpes font entendre leurs doux meuglements. C'est à la fois bouleversant et drôle. Tant d'années, tant d'efforts pour en arriver là. Et ce n'est pas fini. Si les 34 millions privés ont déjà été trouvés pour le Mcb-a de l'avenir, il reste encore à manier le forceps pour totaliser les 40 millions nécessaires au nouveau Mudac et au nouvel Elysée. Ils se dresseront à côté du Musée cantonal des beaux-arts, dont les architectes barcelonais ont à l'avance été couverts de louanges (4).
La petite foule se disperse maintenant, après le dernier verre du vin d'honneur. Rouge et blanc, comme le drapeau fédéral. Bernard Fibicher a remercié les artistes, les mécènes, les amis et les collègues ayant fait le déplacement. Tiens! A ce propos, je n'ai vu personne de Genève, qui n'est il est vrai pas prêt de donner à voir une telle cérémonie. Ce doit être par modestie.
(1) La Fondation Balthus a déménagé du Musée Jenisch de Vevey au Mcb-a. - (2) Chemins de fer fédéraux, pour ceux qui me liraient en France. - (3) A Marseille, le Musée César, dédié au sculpteur. A Bordeaux, j'ai oublié. - (4) Présents à la cérémonie, Barozzi et Veiga viennent, il est vrai, de terminer le magnifique Bündner Kunstmuseum de Coire, dont je vous ai parlé cet été.
Photo (24 heures): Le trou, avec le moignon de l'ancienne halle des CFF.
Prochaine chronique le samedi 8 octobre. Un livre vient de paraître. Il raconte l'histoire de la censure cinématographique à Genève. Croquignolesque!
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Cet article a été automatiquement importé de notre ancien système de gestion de contenu vers notre nouveau site web. Il est possible qu'il comporte quelques erreurs de mise en page. Veuillez nous signaler toute erreur à community-feedback@tamedia.ch. Nous vous remercions de votre compréhension et votre collaboration.
LAUSANNE/La première pierre du futur musée à la gare est posée. Enfin!