
L’église est comme posée sur un plateau, auquel le public accède par un grand escalier. Il s’agissait cependant moins de manifester avec ces gradins la gloire du Seigneur que de compenser la déclivité du terrain. A Lausanne, tout est pentu. La nouvelle Notre-Dame catholique, qui devait faire face à l’ancienne cathédrale du même nom revenue réformée en 1536, s’est donc perchée sur une éminence en 1832. D’où de petits mouvements souterrains. L’édifice est donc entré en restauration il y a quelques années. Le chantier vient de terminer sa phase la plus artistique. Fin juillet, Eric-James Favre-Bulle, Olivier Guyot et Julian James ont mis leur dernière main à la fresque de l’abside. Un gros morceau, au propre comme au figuré. Cette «Assomption» de Gino Severini couvre avec son fonds d’or (unique en Suisse) deux cent cinquante mètres carrés. Un bon sujet pour les Journées du patrimoine, qui se sont tenues cette année dans le pays les 11 et 12 septembre!

La Crucifixion dans le bas. Photo Basilique Notre-Dame, Lausanne 2021.
«Il y a en fait trois églises successives enchâssées l’une dans l’autre», expliquait l’architecte Christophe Amsler à ses ouailles venues écouter la bonne parole à raison de quinze par petit groupe. La première, c’est bien sûr celle d’Henri Perregaux. Un protestant qui devait lui donner une allure réformée avec bien peu de décorations pour ce premier lieu de culte romain bâti en Pays de Vaud depuis le XVIe siècle. Plan basilical, en petit évidemment. Pas de clocher. Le canton ne l’aurait pas toléré. «Cent ans plus tard, en 1932 est née l’idée d’un édifice plus somptueux, en phase avec un catholicisme militant, que réalisera par transformation Fernand Dumas.» Un campanile de trente-huit mètres pourra cette fois se voir érigé. «Du béton tout fin, histoire de ne pas peser sur la colline du Valentin.» Gino Severini (1883-1966), ancien peintre futuriste recyclé dans le religieux (il se montrera très actif en Suisse romande) s’est vu convoqué en 1934, et j’y reviendrai. «Il y a enfin eu une intervention au milieu des années 1970, dirigée par Jean-Pierre Fragnière.» C’est un peu le coup d’éteignoir, bien dans le goût de Vatican II. La spiritualité se voulait alors intérieure.
Un artiste louvoyant
L’essentiel a bien sûr été la participation de Severini, comme l’a rappelé Constantin von Schoenborn, à la fois architecte et conseiller de paroisse. L’Italien se trouvait alors en crise. Eprouvé par plusieurs deuils familiaux, cet incrédule s’était retrouvé pratiquant. Esthétiquement, il ne savait plus trop bien où se situer. Sa carrière en zigzags, entre Rome et Paris, avait culminé très tôt dans un futurisme rompant tout lien avec le passé. L’homme avait ensuite adopté la figuration la plus stricte, en accord avec le mouvement Novecento lié au fascisme. Puis il avait donné, avec ses Pulcinella, dans le néo-baroque à la fin des années 1920. Il opérait maintenant une synthèse, sous le signe de la peinture sacrée. Comme son contemporain Giorgio de Chirico, l’homme louvoyait. Il n’y a pas chez eux cette belle continuité que l’on a pu observer à la même époque chez Mario Sironi ou Felice Casorati. Du reste, Severini allait produire dans ses dernières années du néo-futurisme en se plagiant lui-même. Le retour du refoulé.

Les anges futuristes, saint Dominique et l'Annonciation. Photo Basilique Notre-Dame, Lausanne 2021.
A Lausanne, l’homme devait produire sa fresque, une vraie fresque sur enduit préparatoire, en cent quatorze «journées» de travail. Au centre, il y avait bien sûr une Madone très byzantine tenant l’enfant. Curieusement vêtue de vert, la Dame! Elle dominait une Crucifixion triangulaire entourée de plusieurs saints, dont ceux titulaires de la Lausanne médiévale. Des anges un peu cubistes, un peu futuristes, un peu primitivistes donnaient sur le haut des envols stylisés. «Mais il fallait aussi montrer l’époque présente», ont expliqué les intervenants, alors que les quinze visiteurs étaient juchés en haut d’un échafaudage. D’où la présence à gauche de la Tour Bel-Air de Lausanne qui venait d’être construite au milieu des protestations. Elle fait face à droite à une réalisation mussolinienne du même genre affirmatif. «L’Assomption et la Crucifixion, c’est aussi maintenant.»
Le temps des grands décors
La fresque était encrassée. Deux autres, décoratives, s’étaient vues badigeonnées en 1975. Abîmée notamment par les effets du chauffage («Le goût du confort est fatal aux monuments historiques», a rappelé Christophe Amsler), la première avait besoin de soins intensifs. Les autres de revoir la lumière. La peinture sortie des restaurateurs produit du coup tout son effet. Elle appartient en majesté au cycle des églises décorées avec éclat en Romandie dans les années 1930, à une époque où nul n’imaginait que l’après-guerre irait se dépouillant jusqu’à la nudité. Chapelles catholiques autant que temples réformés, du reste! Entre les productions menées par le Groupe de Saint Luc (Luc étant le patron des artistes) et celles voulues à Genève par le pasteur Christen, il n’y a finalement qu’un léger écart esthétique et théologique. Il s’est agi pendant quelques années de tout simplement magnifier. Le protestantisme sec des années 1950 aura honte de ces débauches de figurations colorées. Et le catholicisme se voudra un peu Abbé Pierre. Moins de luxe.

Le centre de la fresque absidiale, avant restauration. Photo DR.
Afin de remettre Notre-Dame à flots, il a bien sûr fallu trouver de l’argent. Le budget global, avec une terrasse extérieure un peu plus riante qu’aujourd’hui, est d’environ onze millions. L’État a participé, mais la seule Eglise d’État reste protestante. D’où une campagne de mécénat, qui doit encore trouver 800 000 francs. Une campagne œcuménique, je dois dire. Philippe Biéler, le président du Comité de patronage, est réformé. Un pasteur fait partie des intervenants dans la brochure de lancement. «L’importance de ces travaux dépasse les questions confessionnelles.» On n’est plus, du moins en Suisse, dans les luttes religieuses. Un mariage mixte n’a aujourd’hui rien d’une honte pour les deux familles, comme c’était encore le cas vers 1960. Pour l’art comme pour la foi, l’ennemi devient aujourd’hui l’indifférence. Une indifférence que ne méritent par ricochet ni Gino Severini, ni Maurice Denis, ni Alexandre Cingria, ni Erich Hermès, ni Marcel Poncet, ni Louis Rivier, qui ont marqué d'un pinceau sacré leur temps. Il y a bientôt cent ans.
Pratique
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Lausanne a montré la restauration de la fresque de Gino Severini pour les Journées du patrimoine
Conçue en 1934 à Notre-Dame, cette dernière avait souffert et deux autres peintures de l'Italien s'étaient vues badigeonnées dans les années 1970. Le goût change...