L'Ariana genevois nous invite avec une collectionneuse "A la table de l'art moderne"
De 1919 à 1937 environ, l'Allemagne a produit une céramique courante à décor géométrique proche des courants les plus audacieux du Bauhaus, strictement contemporain.

Chez Nathalie Mouriquand, dans son ancienne cuisine.
Crédits: Anneliese Hoffmann, Musée Ariana, Genève 2019.La céramique, même en musée, ne se
limite pas aux Sèves royaux ou aux plus coûteuses créations des
potiers américains ou japonais actuels. Il existe toute une
production modeste, parfois à la limite de l'industriel.
L'Ariana genevois peut donc nous inviter aujourd'hui «A la table de
l'art moderne». Une table se situant plus souvent à la cuisine qu'à
la salle à manger. D'ailleurs, Nathalie Mouriquand, qui prête
l'ensemble des 117 pièces présentées dans des vitrines du premier
étage, les présentait au départ près de son potager ou de son
évier. «Puis j'ai commencé à avoir trop de choses et je me suis
mise à les conserver dans des cartons.» Un début bien utile,
puisque mon interlocutrice est aujourd'hui en train de déménager.
Nathalie Mouriquand s'intéresse, en tant que collectionneuse, à un seul type d'objets. Il s'agit de la vaisselle diffusée avec des décors réalisés à l'aérographe en Allemagne par la République de Weimar à partir de 1919. Le pays se trouvait pour la première fois sous un régime démocratique, mais dans un état économique souvent épouvantable. «C'est aussi l'année de fondation, précisément à Weimar, du Bauhaus», situe en contexte Stanislas Anthonioz, commissaire de l'exposition. Il y a eu, au propre comme au figuré, des vases communicants. «J'ai été surprise de découvrir», reprend Nathalie, «à quel point le graphisme le plus moderne inventé par cette école s'était rapidement communiqué à une production populaire. Certains plats à gâteau ronds, vendus par différentes fabriques à travers le pays, reflètent ainsi Klee ou Kandinsky.» Ils étaient pourtant destinés aux acheteurs moyens, contrairement à la porcelaine révolutionnaire soviétique à décor suprématiste, qui sortait au même moment des anciennes manufactures impériales.
Débuts aux Puces
Comment les choses ont-elles commencé
pour Nathalie Mouriquand? Par hasard, bien sûr! «Je cherchais des
flacons de parfum, en me concentrant sur ceux qui possédaient un
bouchon émerisé. Pour cela, je fréquentais les Puces,
principalement celles de Plainpalais à Genève. Ils devenaient plus
difficile à trouver. En regardant bien, je me suis mise à voir des
céramiques aux beaux décors géométriques. J'ai ainsi acquis ma
première pièce, que je trouve rétrospectivement très médiocre.
C'était une chocolatière jaunâtre, avec des nuances brun noir.
Nous sommes en 1979.» Facile de continuer! Avec une attention un peu
soutenue, il demeurait facile à l'époque de trouver des faïences fines
analogues un peu partout. Dans les années 1980, on liquidait en
Suisse romande les appartements de gens nés vers 1910. «La
production de Weimar s'est diffusée au loin à l'époque», rappelle
Stanislas Anthonioz, Sauf en France, pour des raisons autant
politiques que de goût national. Chez nos voisins, les consommateurs restaient frileusement petites fleurs.

La collectionneuse a donc constitué des séries. Il faut dire qu'en regardant les catalogues d'époque, l'amateur découvre qu'il existe beaucoup de modèles, déclinés dans davantage encore de décors et de couleurs. «J'ai privilégié les plus audacieux. Je voulais éviter ce que cette production de masse peut garder de gnangnan. Je garde une préférence pour les plateaux dont le vous parlais tout à l'heure, souvent cerclés de métal pauvre. Ce sont eux qui se rapprochent le plus, par la force des choses, des tableaux les plus audacieux de ces années.» Aucune marque ne se voit privilégiée. Il reste d'ailleurs difficile, en l'état d'une recherche ne faisant que débuter, de savoir de quels fours sortent les pièces anonymes. Il en va d'ailleurs de même pour la suite. Les pots et vases germaniques des décennies d'après-guerre. Une création industrielle qui a peu à peu remplacé aux Puces celle des années 1920 et 1930. Le temps passe inexorablement...
Arrêt brutal après 1937
L'exposition se termine aux alentours
de 1937. Pourquoi cette date? A cause bien sûr de la montée du
nazisme, plus lent à imposer son empreinte sur les objets du quotidien
que sur les beaux-arts. «Le Bauhaus a brutalement fermé en 1933»,
explique Stanislas, «Mais il en est resté un temps une influence
diffuse sur la céramique de grande consommation.» En 1937 se
déroule la fameuse exposition sur l'«art dégénéré», qui
connaît plusieurs étapes dans les villes importantes du Reich.
Certaines choses ne restent plus possibles, alors même que l'Italie
mussolinienne se veut au même moment ultra-moderne. «Les petites
fleurs reviennent en force, même si elles sont parfois stylisées. J'ai cependant noté, même dans certains catalogues tardifs, la présence d'un ou deux motifs géométriques.»

La collection n'est pas terminée à l'heure actuelle, mais fortement ralentie. La dernière trouvaille est récemment sortie du Centre social protestant. «Je dois avoir 500 pièces, et il s'agit pour moi de trouver d'autres modèles, même si je reste prête à acquérir un doublon très bon marché.» Et pour cause! Cette faïence se révèle fragile. «Il y a eu un peu de casse, dont je me sens responsable», avoue Nathalie Mouriquand La production de la République de Weimar tend surtout à se raréfier. Les prix ce l'e-commerce ou dans les ventes ont augmenté. Parfois considérablement. «On sent, surtout en Allemagne, un intérêt, s'étendant aux musées.» Plusieurs expositions ont eu lieu, les premières remontant déjà à la seconde moité des années 1980. Bref, la céramique sous influence du Bauhaus, qui fête ses 100 ans en 2019, est entrée non seulement dans l'Histoire, mais dans celle de l'art. Les Puces, comme chacun sait, sont non seulement la fin mais aussi le début des objets.
Pratique
«A la table de l'art moderne», Ariana , 10, avenue de la Paix, Genève, jusqu'au 8 septembre. Tél. 022 418 54 50, site www.ariana-geneve.ch Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h. Pas de catalogue, mais une brochure donnée au visiteur. Elle comporte des textes de Stanislas Anthonioz et de Claire Stoullig.