L'abattage des arbres a commencé aux Allières. La Maison du Tir à l'Arc va suivre
SOS Patrimoine Contre l'enlaidissement de Genève monte à nouveau aux barricades. Le combat est singulier. La droite est pour la conservation du site et les Verts en faveur du béton.

Les arbres sont déjà tombés. La maison va suivre.
Crédits: Tribune de GenèveIl y a des gens optimistes, dont Leila El-Wakil fait partie. Ils pensent qu'on peut encore enlaidir Genève. On connaît leur association (1), plus intransigeante que ne l'est par exemple Patrimoine Suisse Genève. Ses membres ne font pas de quartiers, alors que ceux-ci se font constamment maltraiter aux abords de la ville. Je vous rappelle les affaires en cours. Elles vont de la Villa Scriabine, qui a mystérieusement (laissons le bénéfice du doute) brûlé il y a peu à Vésenaz, aux Feuillantines, promises à la pioche pour construire une grosse boîte à musique du côté de la place des Nations (2). Le futur s'annonce encore plus chargé. Le 24 novembre, il y aura cinq référendums sur des limites de zones à construire en communes. «Le mécontentement est général.»
Aujourd'hui vendredi 23 août, c'est
d'un autre îlot de verdure qu'il s'agit de défendre, pour autant
que la chose reste possible. L'abattage a commencé le lundi
19 aux Allières, au dessus des Eaux-Vives. Plusieurs arbres
centenaires sont déjà tombés. Il n'en restera bientôt plus qu'une
poignée. Sept maisons vont suivre leur sort, dont l'Hôtel du Noble
Exercice de l'Arc, pour lequel ses propriétaires se sont semble-t-il
assez peu battus. Un immeuble magnifique. Tout un poumon va
disparaître de la rive gauche, histoire de faire place à 500
logements «construits par des architectes bien formatés par l'EPFL
pour aligner de gros cartons à chaussures sur du béton.» Il y aura
bien sûr de nouveaux arbres. «Mais ils mettront du temps à
pousser. Alors, entre-temps, on va végétaliser. Autrement dit
planter quelques fleurs dans des bacs. De toute manière, avec les
garages souterrains, les tilleuls ou les marronniers ne pourront
jamais développer de vraies racines.»
Manque de logements et bureaux vides
Officiellement, il s'agit bien sûr
d'un plan social. Genève manque de logements. «En fait», tonne
Leila El-Wakil, «une partie d'entre eux seront à vendre, ce qui
aura créé de juteux investissements. Tout se résume à des
affaires d'argent.» Et la pasionaria de dénoncer les éternelles
collusions entre architectes, politiciens et créateurs de plans de
quartier. «Le combat des opposants est extrêmement difficile dans
la mesure où tout a été fait pour le rendre en apparence
impossible.» Un seul exemple, bien mis en exergue dans la
documentation remise à la presse. Quand Contre l'enlaidissement de
Genève (CEG) a dénoncé la faillite d'un Conseil d'Etat «garant de
notre patrimoine», il a perdu sa cause. «Nous avons dû verser 3500
francs, dont 1000 de dommages et intérêts à l'Exercice de l'Arc,
qui n'a même pas eu l'élégance de les refuser.»

Il y a autour d'une table plusieurs orateurs, plus dans la salle des gens du quartier, affolés de voir disparaître d'un coup leur environnement naturel. Nous sommes au Café des Voyageurs, en face de feue la Gare des Eaux-Vives. L'établissement semble le rescapé d'une autre époque, pris comme il l'est par les interminables travaux du CEVA, qui l'ont transformé en camp retranché. Tous les intervenants sont d'accord. Abattre des arbres constitue non seulement un crime à l'heure actuelle, mais une solution de facilité. Il y a tant d'entrepôts à faire disparaître au PAV (Praille-Acacias-Vernets)! De quoi détendre le marché locatif. «Il faudrait aussi soulever la question de bureaux vides», rappelle Jérôme Fontana, président des Verts libéraux. Et l'homme de marteler qu'il y en a déjà 300 000 mètres carrés. «On en construit 300 000 nouveaux autres aujourd'hui... Ou alors des hôtels... Mieux vaudrait les transformer en logements.» J'ajouterai à titre personnel qu'on devra bientôt agir de même pour les magasins désertés.
Un Vert bien chahuté
On voit que la question se révèle
infiniment complexe. Elle va du patrimonial au social. L'exécutif
n'en campe pas moins sur ses positions. Le conseiller d'Etat Anthony
Hodgers a dû entendre siffler ses oreilles ce vendredi matin.
Monsieur Aménagement a pris une volée de bois aussi vert que son
parti. Mais il est vrai qu'à force de surdité volontaire, celui qui
se présente comme un gendre idéal doit avoir l'impression de
souffrir d'acouphènes. Comme pour le cinéma Plaza, il n'a ici rien
entendu. Hors de l'aspect proprement architectural, marqué par
l'abattage d'une maison construite pour les tireurs à l'arc en 1900
par l'architecte Lucien Montfort, il y a pourtant la présence du
végétal. «Nous devons nous adapter à une urgence climatique»,
souligne François Baertschi du Mouvement des Citoyens genevois. Un
parti à droite. Très à droite même pour certains. Mais en
écologie, le clivage politique ne joue pas, comme nous le rappelle
chaque jour le Vert Antonio Hodgers. «Dites plutôt le bétonneur
vert», me souffle mon voisin.
Voilà. Un moratoire va être demandé
au Grand Conseil en urgence. Il y a peu de chance qu'il ait une
utilité, mais c'est le pilonnage de l'Exécutif qu'il faut
poursuivre. Le Tir à l'Arc et ses arbres sont à mon avis perdus.
J'ai très peur pour Les Feuillantines. Les militants du patrimoine
collectionnent les échecs dans une ville se voulant «sociale et
solidaire», même si le pognon y domine partout. Cela n'empêchera
pas les politiciens de participer aux prochaines Journées du
patrimoine, prévues en septembre. Peut-être se fendront-ils même
d'une déclaration pleurnicharde sur la dévastation de forêts en
Russie ou dans l'Amazone. Le Brésil a pour eux une vraie chance. Il
se situe très loin.
(1) Association SOS Patrimoine Contre
l'enlaidissement de Genève.
(2) Je parle bien sûr de la Cité de
la Musique.
P. S. Je me rends bien compte que cet
article est partial. Mais peut-on décemment adopter un autre parti?