La Semaine du dessin à Paris vue du côté des enchères
Tout le monde a voulu s'engouffrer dans la brèche. Il y a eu un jour trois vacations à la même heure. Dans l'ensemble, les choses ont marché correctement. Le Louvre a préempté.

Le Baccio Bandinelli à passé 300 000 euros. Pour ce prix, il y a un autre dessin au verso.
Vivement dimanche! La Semaine du Dessin
parisienne, qui aura duré du 25 au 31 mars avec une prolongation
jusqu'au lundi 1er avril pour le Salon situé à la Bourse
(1), a mis son public non pas à genoux d'admiration mais sur les rotules de fatigue. Il y a
naturellement eu davantage de choses que je vous l'avais annoncé.
Quatorze galeries au Quartier Drouot, par exemple. Chacun a
voulu se greffer sur l'événement, avec une frénésie suicidaire.
Pourquoi faut-il que toutes les manifestations autour de ce médium
se situent fin mars, quand il n'y a rien le reste de l'année?
Théoriquement, les acheteurs devraient certes absorber cette masse
(et non plus cette manne) jetée en pâture. Mais pour cela, il
faudrait qu'ils soient nombreux. Or à Paris, on compte toujours sur
les Américains. Et je dois dire que j'en ai peu vus cette année.
La chose importe bien sûr peu pour les marchands de dessins contemporains. Ils ont leurs artistes, leur stock et si possible leur clientèle. Nous sommes ici dans le «premier marché», celui du neuf. Les galeries proposant des dessins anciens (le XIXe siècle est aujourd'hui entré dans cette catégorie) ont davantage de soucis à se faire. Elles subissent la concurrence des ventes publiques, Christie's et Sotheby's étant entrées dans le jeu depuis la libéralisation de la loi en 2000. Que se passe-t-il sur le plan pratique? Les amateurs commencent par tenter leur chance chez Artcurial ou Ader, comme s'ils allaient au casino. Là-bas, les choses se révèlent parfois moins chères, en dépit des échutes démentes que ces maisons s'octroient pour des services parfois inexistants. Ils reviennent ensuite chez les marchands, avec qui tout peut toujours se discuter, surtout en fin de Semaine. A la baisse cette fois. Notez que pour le Salon du Dessin, nous sommes tout de même dans l'ex-Bourse!
Le froid et le chaud
C'est le mercredi que les vacations ont
par tradition commencé. De Baecque d'abord dans un Drouot bondé aux
allures de souk. Christie's ensuite, dans le genre douairière pincée
ne recevant que des invités bien élevés. Artcurial le soir dans
une atmosphère plus détendue, en bonne partie grâce à Matthieu
Fournier, qui joue à la fois ici le rôle du chef de rayon et celui
du commissaire-priseur. Artcurial, qui a les dents longues et
l'estomac solide, possède en plus un restaurant et une librairie
absents de la multinationale voisine, où l'on a guère le sens de la
convivialité. Comme chez Sotheby's, du reste, qui se contentait
cette année de dessins modernes dus à des crayons ou à des plumes
ultra-connues. Du connu. Du sans surprise. Le goût des gens
très riches reste souvent conventionnel. Picasso. Chagall.
Magritte... Il faut bien que les amis reconnaissent la main et
sachent que tout cela vaut très cher.
Christie's a toujours de la peine à remplir sa salle, où l'on s'ennuie poliment. Les commissaires priseurs, aux annonces bilingues, y demeurent réfrigérants. Pas une once (puisque nous sommes chez des Anglo-saxons) d'humour donc en ce mercredi. Le catalogue de l'année était honnête, sans plus. Jean Bonna n'a donné que quelques feuilles, et il a retiré à la dernière minute la plus prestigieuse, comme il a enlevé un Picasso de la vente moderne. Des dents ont dû grincer. Les grosses offres se sont fait attendre. Le désastre a néanmoins été évité. Le Louvre a préempté un Pajou, ce qui fait bien dans le décor. Les modernes ont comme prévu mieux fait l'affaire le lendemain, mais je n'y étais pas.
Vente de Boissieu annulée par la Justice
Il a un peu fallu attendre avant la
vente d'Artcurial tant la maison proposait de sculptures avant les
dessins, prévus en sandwich sur le coup des 19 heures. L'humeur
était ici excellente. Une statuette de la Renaissance, dérivée de
Giambologna, avait suscité les passions. Elle a centuplé son
estimation à 3,8 millions d'euros. Dès lors, tout devenait
«peanuts». Il y a tout de même eu de beaux résultats. Plus de 300
000 euros, frais compris, pour un sublime Baccio Bandinelli, l'ennemi
de Michel-Ange (qui était il est vrai brouillé avec tout le monde).
Il n'y avait ensuite plus qu'à passer à la peinture ancienne. Là,
il y aurait eu des affaires à faire. Certains tableaux français du
XVIIe et du XVIIIe siècles se sont vendus pour une bouchée de
pain... quand ils ont trouvé un client! Joseph Parrocel ou
Jean-François de Troy ne sont pourtant pas n'importe qui.
Le lendemain, c'était le tout à la
fois à Drouot, avec de petites choses qui auraient dû susciter des
vocations de collectionneurs (2). Ambiance en général plus
débraillée. Maître Millon a la plaisanterie particulièrement facile. La journée ne
s'en est pas moins mal terminée. Je vous avais parlé de la vente
Aguttes. La maison proposait un fonds familial Jean-Jacques de
Boissieu, resté intact depuis la mort de l'artiste en 1810. Tout le
monde souriait encore dans l'après-midi. Eh bien, la dispersion a
été annulée par la Justice in extremis! Il y a eu référé. Une
partie des héritiers protestait contre cette atteinte à leur
patrimoine. On devinait la bataille féroce, à laquelle va sans
doute participer Aguttes atteint dans sa réputation et ses intérêts
financiers. Une histoire bien française, dans le genre balzacien,
dont Drouot n'avait pas besoin. Fondée en 1852, la maison se meurt.
Si les salles étaient cette Semaine presque remplies, des étages
entiers restent depuis quelques années souvent vides faute de
marchandise à proposer. Et je ne vous parle pas des vacances que
Drouot se permet! Même les instituteurs seraient jaloux.

(1) Mon article sur les Salons se
trouve une case au-dessus dans le déroulé de cette chronique.
(2) Chez Mirabaud et Mercier, une
nouvelle association, le Louvre s'est cette fois offert une miniature
de Clouet représentant Henri II.