Le couperet va tomber. Dans quelquesheures, tout sera fini. Le 17 décembre 2018, la plate-forme Tumblr sera devenue «safe» comme on dit aujourd'hui dans ces Etats-Unisvoulant tout aseptiser. Le contenu «pornographique» en auraété expulsé. Les locataires indésirables ont été prévenus ennovembre. Il leur fallait soit émigrer ailleurs (chez des gens àmon avis plus tolérants), soit se faire hara-kiri, soit s'amender.Mais là, les pornographes se retrouvent selon moi plombés par leurpassé. La rubrique «archive» de chacun des sites impliquésregorge d'images désormais jugées «inappropriées». Vous imaginezle travail de ménage quand on pense que certains blogs durent depuisdes années et que leurs propriétaires postent plusieurs photos parjour...
«Pornographie» est un mot qui veuttout dire, c'est à dire rien. Pour un André Breton cette foistaquin, c'était «la sexualité des autres». Il s'agit aujourd'huidu grand épouvantail. Les régimes forts, et je suppose que vousvoyez ce que je veux dire, brandissent ce mot pour briser touterésistance. C'est le cas de la Russie, de la Chine ou de la Turquie,pour ne pas parler des pays du Golfe. Ceux qui consomment un maximumde porno «hard» en secret. Ici, avec Trumbl, les choses se verrontrépertoriées, comme avec le Code Hays hollywoodien de 1934. Aucunsein nu par exemple ne se verra plus accepté, sauf s'il allaite. Desalgorithmes joueront les censeurs. La chose existe déjà pourFacebook ou Instagram. On connaît les problèmes qu'a connu«L'origine du monde» de Gustave Courbet, refusé plusieurs foisavec menace de fermer le compte. Tumblr a promis que l'art ne severrait pas châtré, mais Titien, Rubens, Boucher, Renoir ou Picassome semblent en grand danger.
Une popularité grandissante
Tout n'est pas arrivé d'un coup danscette navrante affaire. Créé par David Karp en 2007, Tumblr a vitegrandi. Deux chiffres. En janvier 2008, il comptait 170 000utilisateurs. En août 2010, 6,6 millions. And so on.... De quoisusciter des envies commerciales. En mai 2013, la plate-forme a étérachetée pour 1,1 milliard de dollars par Yahoo. Au début, rien n'achangé pour les utilisateurs. Mais Yahoo s'est vu absorbé par Oathen juin 2017. Tumblr a commencé à trembler. Du jour aulendemain, sans avertissement, des sites se sont retrouvésinaccessibles à moins d'acrobaties. «Il n'y a rien à voir ici.»La censure s'est opérée dans le désordre. La même image seretrouvait au pilori ici. Et pas là. Le principe du «reblog»permettait de vérifier la chose. J'ai bien dit «image». Le texteest resté hors-jeu. Tumblr prévenait certes que le langage était«strong», mais il suffisait de presser sur «OK». Je note enpassant que la nouvelle police restera identique à partir du 17décembre 2018. Le poids des mots joue peu face au choc des images...
Il fallait bien sûr un prétexte pourmettre ainsi le couvercle sur la marmite. Oath l'a trouvé. Tumblr aété exclus un certain temps par App-Store. Il y aurait accueilli àson corps défendant des sites pédophiles de plus en plus nombreux.Depuis vingt ans, il s'agit là du crime suprême, ce qui n'étaitpas le cas avant. Les utilisateurs nient cette augmentation. Il y atoujours eu une auto-régularisation. Un abus pouvait se voirsignalé. Ils pensent donc, comme Jean de La Fontaine, que «qui veutnoyer son chien l'accuse de la rage.» Les plus méfiants sedemandent même si des sites délictueux n'ont pas été introduitsvolontairement afin de permettre ensuite une vertueuse indignation.Le but réel serait d'introduire une publicité lucrative. Or lesannonceurs, très sollicités, n'aiment pas s'engager auprès deminorités sexuelles. Il s'agit pour eux d'un public de niche. Pasassez porteur.
De la place pour tout le monde
Car tout le problème est là! SiInstagram ou Facebook ont un côté cul-cousu, qui correspond à unejeunesse incroyablement puritaine par rapport à la génération deMai 68 (où l'on croyait par exemple à la fin du mariage), Tumblrétait devenu le refuge des sexualités parallèles. Il y avait de laplace pour tout le monde. C'était le royaume des LGTB, mais aussides punks, des skins et des fétichistes. Il existait aussi bien des sites pourles fanatiques du pied (et donc de la chaussette) que pour lessadomasochistes ou les amateurs d'urine. Pour les admirateurs du poil masculin et lesamateurs de gros seins. Pour les émoustillés par les bottes nazieset ceux préférant les gens mûrs ou les excréments. Le tout avec toutes lesgraduations possibles. Certains sites restaient très soft. D'autresproposaient des versions dures. En cliquant sur les liens établispar les images «rebloguées», l'utilisateur apprenait à savoirjusqu'où il entendait aller. Jusqu'à l'extrême ou pas.
D'autres envois tenaient en revanche dumonde personnel. Leurs créateurs constituaient des sortesd'autoportraits avec ce qui les touchait. Une incohérence apparente,comme celle du puzzle. Mais une vraie personnalité. Un journalistede «Slate» a déclaré avoir adoré ce genre de mélanges. «Lecharme de Tumblr, c'était de pouvoir trouver sur la même page unebite de vingt-cinq centimètres et la reproduction d'un Gauguin etd'un Caillebotte.» Il y avait là du reste de quoi réfléchir. Enquoi un sexe, même surdimensionné, est-il plus choquant qu'un brasnu? Ne s'agit-il pas là d'un choix de société? Un choix évolutif.Je viens de vous dire que les antiques paysans égyptiens labouraienttout nus sans que nul y trouve à redire.
"The Guardian" et "Le Figaro"
Evidemment, les actuels propriétairesde Trumbl ne pratiquent pas ce genre de raisonnements. Ils pensentbusiness, et loin derrière morale puritaine. N'empêche qu'ilsprivent de vecteur des communautés déjà discriminées, même s'ilest toujours question de tolérance dans les discours officiels. Leslieux LGTB disparaissent à Londres ou à Paris, victimes du prix del'immobilier. La presse spécialisée est quasi morte. Il restaitTumblr. J'ai du coup découvert, en faisant ma revue de presse, queles soutiens aux utilisateurs LGTB (entre 10 et 22 pour-cent,personne n'est d'accord) venaient de supports inattendu. «TheGuardian» s'est fendu d'un article scandalisé. En France, même «LeFigaro», qui s'était pourtant fait le fer de lance contre lemariage pour tous, a dit son inquiétude (1). Les minorités sexuellesn'auront plus guère de moyens de s'exprimer en communauté.
Il faut dire que la fin du Tumblr d'antan (dont on se demande comment il supportera une baisse defréquentation) vient avec une autre petite nouvelle. Starbuck's vainstaller des filtres pour empêcher ses clients de regarder duporno. Une censure qui existe déjà au McDo. Notez que lesréfractaires pourront toujours aller ailleurs en évitant de boiredu mauvais café. Une petite nuit tombe, avec ce qu'elle suppose dequestions. Qu'appelle-t-on porno? En plus, ce qui part des Etats-Unisfinit généralement en Europe. Tout devrait alors chez nous devenir«safe», des discussions universitaires aux bibliothèques publiquesen passant par les salles de musée. Je veux bien qu'il failleprotéger les femmes, même s'il ne s'agit pas d'éternellesmineures, et les enfants, qui sont de nos jours des petits angesinnocents. Mais qui nous sauvera des Américains? Je vous le demande!
(1) Il y a "la crainte, pour les utilisateurs de la première heure, de voir changer irrémédiablement une plateforme qui n'est jamais devenue un grand réseau social, mais qui représente un pan de la culture Web."
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La plate-forme Tumblr interdit la pornographie dès le 17 décembre. Levée de boucliers
Créé en 2007, Tumblr a été racheté par Yahoo, absorbé lui-même par Oath. Pour attirer de la publicité, les sites jugés "inappropriés" sont expulsés ou détruits. Une atteinte à la communauté LGTB comme aux fétichistes en tous genres. La presse s'insurge.