En matière d'hommages, pour lesanniversaires, on compte par 100. A la rigueur par 50. La PeggyGuggenheim Collection a changé la donne, ce qui n'a rien d'étonnantpour une femme qui ne faisait rien comme tout le monde. Elle marqueaujourd'hui les 70 ans l'installation de «l'ultima dogaressa» auPalazzo Venier dei Leoni, laissé inachevé au XVIIIe siècle le longdu Grand Canal. Elle rappelle aussi les 40 ans de la mort de cellequi repose, dans le jardin, entourée des tombes de ses nombreuxchiens. Des griffons belges, pour la petite histoire.
On connaît l'histoire. Je la rappelletout de même. De 1942 à 1947, Peggy, née en 1898, a dirigé à NewYork sa galerie Art of This Century. En 1948, elle se voit invitéepar la Biennale de Venise. L'Américaine est connue pour la nouveautéde ses goûts, et la manifestation rouvre péniblement après deuxinterruptions (1944 et 1946) dues au conflit. Un pavillon peut luirevenir. C'est celui de la Grèce, qui a sombré dans la guerrecivile. Communistes contre partisans du roi. Son espace, au-delà dupetit pont des Giardini, se révèle du coup libre. Peggy y installe sacollection. On va beaucoup en parler. En bien ou en mal, ce qui a enfait peu d'importance. Il est amusant de voir dans l'actuelleexposition que l'intéressée collait tous les articles, flatteurs ounon, dans d'énormes cahiers.
Un souffle moderne
En juillet 1949, Peggy qui n'a aucuneenvie de retourner aux Etats-Unis, achète le Palazzo Venier. Un édifice qui,soit dit en passant, a appartenu quelques années avant à LuisaCasati, l'extravagante muse des futuristes et des surréalistes.Luisa y avait installé sa ménagerie. Peggy y mettra sa collection,qu'elle finira par léguer indirectement à Venise. En 1979, à sondécès, elle devient donc une dépendance du musée fondé par sononcle Salomon à New York. La collectionneuse détestait le monsieur,mais elle pensait à juste titre que la gestion familiale de son musée serévélerait plus sûre que celles de l'Etat italien ou de la Ville de Venise.

La présence de Peggy dans la Ville desDoges trois décennies durant n'était pas qu'anecdotique, même sielle s'appliqua à étonner son monde avec ses tenues délirantes, sagondole privée et une vie personnelle qui l'était beaucoup moins (privée, donc).Pour les artistes italiens, qui sortaient de deux décennies defascisme (même si on découvre aujourd'hui que les années 1922 à1943 furent très riches pour l'Italie en matière culturelle), ellereprésentait un espoir. Elle s'intéressait au Vénitien EmilioVedova, mais aussi à Tancredi Parmiggiani ou Piero Dorazo. Peggyapportait le souffle de la modernité dans une cité représentanttout de même le passé. Si en 2019 la ville peut se targuer deformer une capitale de l'art contemporain, au même titre que LosAngeles, Berlin ou Shanghai, c'est à cette femme que Venise le doit.Il n'y aurait pas sans elle toutes ses fondations, de Pinault àMiuccia Prada en passant par Francesca Thyssen et Vuitton.
Un moment passé sous silence
Il s'agissait d'illustrer ce propos.Les commissaires Grazina Subelyte et Karole B. Vail (une descendantede Peggy) ont fait au mieux. Elles commencent par montrer des Pollocket un superbe Arshile Gorky, acquis par Peggy lors d'une visite àl'artiste en compagnie d'André Breton en 1945. Puis elles passent àl'activité vénitienne de la «dernière dogaresse». Un momentlongtemps laissé en friches. Il semblait que la collectionneuseavait alors eu la main moins heureuse. Il faudra attendre jusqu'àces dernières années pour que les abstraits italiens sortent deleur pays et fassent de gros prix partout. Et le féminisme va bienun jour s'emparer de Grace Hartigan, dont la fondation propose une énorme composition. Notez que pour «Life», au début des années 1950,il s'agissait le «la femme peintre la plus importante d'Amérique»à une époque où vivaient aussi Joan Mitchell ou HelenFrankenthaler, honorée cet été au Palazzo Grimani de Venise...

Bien sûr, certains noms aux murs nedisent plus rien à personne. C'est une règle implicite du jeu. Jesuis sûr que le public actuel serait très surpris de voir qui setrouvait exposé dans les stands du premier Art/Basel, en 1970. Tousles galeristes ont connu leurs échecs, du moins sur le plancommercial. Même Daniel-Henry Kahnweiler, cet hyper sélectif, n'apas présenté seulement ceux ayant aujourd'hui de grands noms. Quiparle aujourd'hui d'Eugène-Nestor de Kermadec ou de Francesco Bores?Il y a par conséquent des tableaux pleins les réserves de certainesgaleries prestigieuses . A Genève, ceux de la Galerie Jan Krugier ont ainsi fini perlés, après fermeture, dans les ventes de la maison Piguet. Avec des résultatsfinalement rassurants. Les toiles de Geneviève Asse sont très bienparties.
De Cobra au cinétisme
Mais revenons au Palazzo Venier, dontla salle des sculptures s'est audacieusement vue repeinte enturquoise. Les chefs-d’œuvre officiels se retrouvent entourés denoms rares, de Kenzo Okada à René Brô ou au sculpteur Reg Butler.Qui connaît Reg Butler hors du Royaume-Uni? Il y a aussi là desmouvements que l'on n'a guère l'habitude de se voir associés avecPeggy Guggenheim. Le cinétisme, par exemple, dont la grandeprêtresse était la galeriste parisienne Denise René. Cobra. La dernière salle offre ainsi du Pierre Alechinski comme de l'Asger Jorn oudu Karel Appel. Là, la Vénitienne d'adoption fait un peu figure desuiveuse, ce qui n'était pourtant pas son genre. Et puis, levisiteur remarque aussi de beaux morceaux isolés. Un Magritteimmense, par ailleurs bien connu. Un beau Graham Sutherland faisantface à un Bacon des années 1950. Un bon Jean-Paul Riopelle.

Plus éclaté, moins convenu, un peubrouillon, le goût réel de Peggy se retrouve bien illustré par cetteexposition n'ayant rien du pieux hommage. Il n'y a plus qu'à courir ensuite dans les salles permanentes, dont l'accrochage a dû se voir un peurevisité. Plus la Collection Schulhof, arrivée aux milieu depolémiques familiales en 2012. Si vous voulez mon avis (et vousl'aurez de toute manière), le nombreux public, en généralanglophone, peut ainsi repartir avec l'idée d'un musée vivant. Lamoindre des choses pour quelqu'un comme Peggy, Une personnedébordante d'énergie et semblant sans cesse capable de serenouveler. Quitte à se tromper parfois au passage,
Pratique
«Peggy Guggenheim, L'ultimadogaressa», Peggy Guggenheim Collection, 701-709 Dorsoduro, Venise,jusqu'au 27 janvier 2020. Tél. 0039 041 240 54 11, site www.guggenheim-venice.it Ouvert tous les jours, sauf mardi, de 10h à 18h.
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La Peggy Guggenheim Collection montre sa fondatrice en "ultima dogaressa"
L'exposition marque les 70 ans de l'installation de Peggy dans la ville et les 40 ans de sa disparition. C'est l'occasion de montrer aussi "ses" artistes n'ayant pas percé.