La Maison Tavel présente "Les pionniers de la photographie en Suisse romande" à Genève
L'exposition présente l'un des points forts de la Fondation Auer Ory. Il y a là quantité de pièces dues à des artistes oubliés. Je citerai Auguste Gardin et Samuel Heer.

Le Molard genevois, vu par Auguste Garcin. Vers 1865.
Crédits: Fondation Auer Ory, MAH, Genève 2019,La photographie a aujourd'hui une
longue histoire, précédée en prime d'une préhistoire. Michèle
Auer Ory le rappelle dans l'introduction du catalogue qu'elle signe
avec son mari Michel pour l’exposition d'une (toute petite) partie
de leur collection à la Maison Tavel. Il a en effet fallu se
concentrer sur un sujet. Local de préférence, vu que nous sommes
ici dans un musée d'histoire genevoise. Si le propos général
tourne autour des «Pionniers de la photographie», ceux-ci se
situent donc en Suisse romande. La tranche examinée reste
relativement courte. Elle va de 1840 à 1865, la préhistoire du 8e
art commençant bien avant la révélation du procédé Daguerre en
1839. Michèle cite ainsi les dates de 1816, 1822 et 1829.
Toujours est-il que la photographie a vite pris son essor chez nous. Il débute en Suisse alémanique dès 1839 avec Johann Baptist Isenring, mais le Saint-Gallois sort du propos. Celui-ci commence plutôt pour Tavel avec des gens comme Auguste de La Rive ou Artaria (absents de l'exposition). Plus Jean-Gabriel Eynard, bien sûr! Le riche banquier, qui a un pied à Paris et l'autre entre Genève et Rolle, s'y met dès 1840 ou 1841. Chez lui ou en voyage. C'est le premiers des pionniers proposés au sous-sol du musée avec des portraits de famille, pris dans son domaine de Beaulieu, et quelques vues urbaines. Il y en aura d'autres, de ces paysages nous montrant un pays inconnu. Genève a tant changé au fil des décennies! La plupart des rues et des maisons représentées ne sont plus localisables que par des spécialistes de l'histoire locale.
Genres et thèmes
Michèle et Michel Auer ont souhaité
réunir beaucoup de choses. Il y a largement plus de 200 clichés sur
les murs ou dans des vitrines. Les pièces se voient présentées par
genres ou par thèmes. Tous ne concernent pas la Suisse. Les
photographes ont vite voulu immortaliser ce qu'ils voyaient ailleurs.
Une sorte de Grand Tour. Il peut passer par Athènes, où Jean
Walther va fixer le Parthénon bien avant Fred Boissonnas. Jérusalem,
qui inspire le Russe de Lausanne Gabriel de Rumine (1). Les
Alary-Geier se sont même établis à Alger. L'essentiel ne tourne
pas moins autour de Genève et de Lausanne, surtout pour ce qui est
des artistes. Aucun praticien en Valais par exemple, alors que le
canton passe alors depuis longtemps pour pittoresque!

Que retenir de ce timide flot d'images, celles-ci restant alors encore rares et précieuses? Quelques noms peu connus, à part des spécialistes. La révélation majeure est sans doute formée par les portraits d'Auguste Garcin (1816-1895), qui a notamment donné des portraits d'enfants sous forme de daguerréotypes. Il faut dire que l'état de conservation de ceux présentés apparaît admirable. Il y a aussi, toujours sur plaques uniques, les effigies de Samuel Heer. Les vues topographiques du Veveysan Jean Walther (1806-1866) constituent en revanche des calotypes. Des multiples. Le procédé de l'avenir même si, vers 1850, il donne encore des épreuves un peu ternes. Walther n'en a pas moins donné quelques-uns des premiers beaux châteaux de Chillon. Un sujet inépuisable, qui n'avait pas encore tenté, dans les mêmes buts commerciaux, un peintre comme Gustave Courbet.
De grands rideaux
L'exposition, qui montre aussi des
étrangers de passage en Suisse comme l'Anglais Francis Firth et
l'Alsacien Adolphe Braun, aurait pu ressembler à un fouillis. Elle
se révèle certes un peu abondante, mais une sorte d'ordre a été
créé par les commissaires Alexandre Fiette et Mayte Garcia. Le
décorateur Laurent Pavy a pour sa part structuré les salles avec de
grands rideaux, plus la reproduction géante d'une classe d'écoliers
photographiée par un anonyme et une allée centrale tracée en
diagonale. Cette dernière agrandit ce qui demeure tout de même une
cave de Tavel. Le visiteur doit bien sûr se montrer attentif.
Beaucoup de pièces présentées demeurent petites. Les
daguerréotypes, surtout lorsqu'ils sont en quarts de plaques,
frôlent la miniature.

Les visiteurs les plus jeunes doivent
donc s'attendre à une rencontre avec une photographie autre. Il y a
non seulement le noir et blanc, même si certaines œuvres se sont
vues coloriées à la main, mais le temps de pose qui fige le naturel. La sensation de
montrer les choses pour la première fois. Le besoin de produire une
image rare. Bien des gens se faisaient photographier une ou deux fois
dans leur vie. Plus tous les problèmes techniques qu'il avait fallu
tant bien que mal surmonter. Comme récompense à leur curiosité,
ces mêmes jeunes visiteurs pourront découvrir un monde perdu. Tout
a changé depuis. C'est ce qui confère à des pièces parfois un peu
faibles leur force de témoignage. Avec le double portrait du
portrait du pasteur Ernest Naville, avec sa main glissée dans sa
veste comme Napoléon, et de son épouse Ernestine on pourrait écrire
une histoire du protestantisme au XIXe siècle!
(1) C'est l'argent de la famille de Rumine qui a permis de bâtir la Lausanne le palais du même nom.
Pratique
«Pionniers de la photographie en Suisse romande», Maison Tavel, 6, rue du Puits Saint-Pierre, Genève, jusqu'au 29 mars 2020. Tél. 022 418 37 00, site www.mah-geneve.ch Ouvert du mardi au dimanche de 11h à 18h. Catalogue écrit par Michèle et Michel Auer, édité par la Fondation Auer Ory, 223 pages.
Cet article est immédiatement suivi par un entretien avec le commissaire Alexandre Fiette.