La Fondazione Peggy Guggenheim de Venise retrace le parcours de Jean Arp
Peggy a commencé sa collection avant la guerre avec une sculpture de l'artiste alsacien. Elle a suivi son parcours. Une rétrospective semble ici logique.

"Objet désagréable", vu de face, 1930.
Crédits: Sucession Jean Arp, Photo fournie par la Fondazione Guggenheim, Venise 2019.Il faut un début à tout. Quand Peggy
Guggenheim achète sa première œuvre d'art, au milieu des années
1930, c'est un Jean Arp: «Tête et coquillage». Sans doute
l'a-t-elle fait grâce au concours de ses deux mentors d'alors. Un
binôme pour le moins étrange. L'héritière américaine installée
en Europe s'appuyait à l'époque sur Jean Cocteau et Marcel Duchamp.
L'Alsacien Arp n'était plus un jeune homme. Peggy n'était plus une
jeune fille. Il avait une quarantaine d'années et elle arrivait en
fin de trentaine. Devenue collectionneuse, puis galeriste et enfin à
la tête d'un musée privé, Peggy a continué à suivre Jean Arp. Il
peut sembler normal que l'actuelle rétrospective de sa Fondazione
vénitienne soit dédiée au sculpteur, mort à 80 ans en 1966.
L'itinéraire d'Arp, que restitue le parcours, se trouve à cheval sur trois pays. Arp est né de père allemand dans une Strasbourg annexée en 1886. D'où un prénom double, le second étant bien entendu Hans. La vie dans cette province du Reich de Guillaume II n'avait pas le côté insoutenable de l'occupation allemande de 1940-1945. Arp ne sent pas moins proche de Paris. Ses débuts y demeurent lents. Il pratique au départ la poésie. On le retrouve néanmoins dans les débuts du Blauer Reiter à Munich vers 1912. Pendant la guerre, il se réfugie en Suisse pour ne pas se retrouver enrôlé. Il fait ainsi la connaissance en 1915 d'une certaine Sophie Taueber, qui revient de Bavière. Elle se destine aux arts appliqués. Très impliqué dans le mouvement dada qui se crée à Zurich autour du Cabaret Voltaire, le couple va du coup commencer par des broderies et des collages. L'exposition débute du reste avec certains d'entre eux.
Des formes sensuelles
L'itinéraire passe ensuite par toutes
les phases de la carrière d'Arp seul, même si les époux couple travailleront à nouveau de concert à la fin des années 1920 pour le décor de
L'Aubette à Strasbourg. Un ensemble décoratif en partie restauré (et à moitié reconstitué) lors d'une lourde restauration il y a
quelques années. Arp fait au début un peu de peinture. Puis il
passe à des assemblages en forme de bas-reliefs colorés. Cette
troisième dimension l'amène progressivement à la sculpture, aux
formes rondes comme celle qui produira un peu tard l'Anglais Henry
Moore. Coulées par la suite en bronzes, ses statues appellent la
caresse, en dépit de l'usage de plâtres. Elle reflètent ce que je
pourrais appeler une abstraction sensuelle. La Fondazione Guggenheim
se devait d'importer au moins une grosse pièce. En duraluminium,
elle est venue de Locarno. Marguerite Hagenbach, la seconde épouse (et veuve) d'Arp, après la mort accidentelle de Sophie à Zurich en 1943, a
réparti le contenu de l'atelier entre différents musées, créant
parallèlement des fondations. Une manière intelligente de créer
des fonds d'une taille raisonnable.
Le visiteur peut ainsi découvrir un œuvre qui avance et progresse en douceur, sans grande révolutions. Le choix de la commissaire Catherine Craft se révèle intelligent et varié. Il souffre un peu du décor tout blanc. Difficile d'éclairer des plâtres se détachant sur un tel fond, même si certains d'entre eux ont reçu à l'époque des patines colorées. Il y a même du vert vif sur «Eveil», qui provient, du Kunsthaus d'Aarau. Les liens entre Arp et notre pays ne se sont en effet jamais distendus. L'artiste est d'ailleurs mort à Bâle en 1966.
Sculptures aux jardins
La commissaire Catherine Craft
appartient à l'équipe des Nasher Sculpture Gardens, qui a depuis
longtemps un pied à la Fondazione. Il s'agit du reste d'une des
pommes de discorde entre les différents héritiers de Peggy, dont
certains multiplient les procès contre la direction actuelle. Les
uns veulent un musée vivant, qui s'enrichit et s'agrandit. Les
autres entendent momifier la collection. N'auraient ici droit de
cité que les œuvres ayant un jour appartenu à la collectionneuse
et marchande, morte en 1979. Pour le moment, ce sont les premiers qui
ont gagné. Les autres ont juste obtenu que les différentes
provenances soient clairement séparées et indiquées.
Pour en revenir aux Nasher Sculpture Gardens, qui se trouvent dans les anciennes cours et dans les deux nouvelles issues d'achats d'immeubles contigus, il y a en ce moment des nouveautés. De nombreuses statues, plus ou moins modernes, se sont vues déposées à long terme. J'ai ainsi noté du Mimmo Paladino, du Max Ernst (un artiste proche de Peggy, vu qu'ils ont été un temps mariés), de l'Eduardo Chillida ou du Luciano Minguzzi. Il y a aussi de l'Anish Kapoor et une phrase en néon de Mario Merz courant parmi les plantes grimpantes. S'agit-il là d'une dénaturation ou d'une progression? Je pencherais plutôt pour la seconde hypothèse. Il faut toujours se méfier des ensembles par trop verrouillés.
Pratique
«La natura di Arp», Fondazione Guggenheim, Palazzo Venier di Leoni, 201 Dorsoduro, Venise, jusqu'au 2 septembre. Tél. 0039 0041 24 05 411, site www.guggenheim-venice.it Ouvert tous les jours, sauf mardi, de 10h à 18h.