Ce n'est pas une exposition facile.Elle n'a rien d'aimable non plus. Son sujet reste austère, et lesdocuments qu'elle présente ne le sont pas moins. Le titre, «Guerreet paix», semble ramener au roman de Tolstoï. La chose se voitd'ailleurs confirmée en fin de parcours par la présence de quelquesfeuillets autographes du livre, obtenus à prix d'or de Russie.«Aucune page de «Guerre et paix» n'était jamais sortie du pays»,précise Jacques Berchtold, le directeur de la FondationMartin-Bodmer, «alors qu'on avait déjà vu en Occident des extraitsmanuscrit d'«Anna Karénine» en prêt.» L'actuelle présentationdu musée privé de Cologny n'en sort pas moins des implicationslittéraires. Il s'agit d'y parler sur le mode le plus général deguerre, de paix, et de toutes ces zones grises se situant entre lesdeux. Des zones qui se multiplient aujourd'hui.
La préparation de cet accrochage,doublé d'un gros livre paru chez Gallimard, a pris deux ans.«Journaliste et enseignant, Pierre Hazan nous avait proposé uneexposition sur la seule paix. C'est un homme engagé dans lesactions humanitaires.» Pour la Bodmeriana, il s'agissait là d'unpoint de départ seulement. «Nous voulions aller plus loin avec leretour aux pulsions destructives auquel nous assistons aujourd'hui.»Résultat, Jacques Berchtold a suggéré d'élargir le champ pouraborder la question des conquérants croyant que l'homme s'accomplitdans la guerre. «Autrement, le propos serait demeuré un peulénifiant.» L'itinéraire est donc devenu historique et thématique.Mais sans tenir compte de la chronologie. «Il fallait montrer quecertaines civilisations, depuis Sumer, ont vu dans le conflit un artsupérieur, créant ainsi une véritable culture de la guerre.»
Trois axes
Après un travail en concertation(«Pierre Hazan aime bien les réunions»), la manifestation s’estfinalement développée en suivant trois axes. Une constructionfinalement logique. Rien n’a changé depuis la nuit des temps.«Tout commence avec la montée des périls. Il y a l'endoctrinement.Puis les insultes. Les froids diplomatiques. L'armement se développeen parallèle.» La religion peut puissamment aider. «Nous montronsen ouverture les trois grands livres, la Torah, la Bible et le Coran,ouverts aux passages justifiant la bataille. Il y a des motsterribles même dans le Nouveau Testament. La guerre devient ainsilégitime, voire sainte comme le Jihad ou les Croisades.» Mais,redoutable contradiction, les mêmes ouvrages incitent par ailleurs àla paix. «En fin d’exposition une autre Torah, une autre Bible etun autre Coran sont donc ouverts avec leurs textes iréniques.» Oupacifiques, si vous préférez.

Evidemment, la Fondation Bodmer peutproposer des documents extraordinaires, dont une partie luiappartient. «Il y a 40 de notre fonds, contre 20 provenant de l'ONUet 20 autres de la Croix-Rouge.» Plus le reste bien entendu, arrivéaussi bien des archives de France que du MEG genevois (un calumet dela paix...). Le visiteur peut ainsi voir la feuille manuscrite surlaquelle Napoléon, exilé à Sainte-Hélène se compare,favorablement bien sûr, à Alexandre. Le télégramme original de1933, où l'Allemagne se retire de la Conférence sur le désarmement.Ou encore l'énorme parchemin décrétant la paix perpétuelle entreFrançois Ier et les cantons suisses, peu après la bataille deMarignan disputée en 1515. Il y a là, tout en bas, l'énorme sceau royal et dix-huitcires colorées représentent non seulement les cantons mais des évêchés oudes villes libres. Comme Mulhouse, aujourd'hui en France.
Le temps des destructions
Après les préparatifs vient le tempsdes destructions. «On se retrouve en plein conflit. Il fallaitmontrer qui souffre. L'ONU, qui détient les archives de la Sociétédes Nations, ou la Croix-Rouge nous ont ici bien aidés.» DepuisHenry Dunant, des hommes de paix ont tenté de contrer par desréglementations les excès de la guerre. Ils ont obtenu, mais bienaprès 14-18 où ils ont été utilisés massivement, l'interdictiondes gaz mortels. «Mais comme dans toute l'exposition nous avons icivoulu mettre l'accent sur les incohérences.» Ces fameux gaz ont étélâchés par les troupes de Mussolini en Erythrée lors de laconquête de 1936. La SDN n'a pas protesté, de peur que l'Italiequitte l'organisation. «Jusqu'où faut-il faire des concessions pouréviter ce que l'on considère comme le pire?» Idem pour les campsnazis visités par la Croix-Rouge. Comment dénoncer sans couper leterrain aux délégués? Le moins qu'on puisse dire est que lasolution adoptée par l'organisation ne fait pas aujourd'huil'unanimité...

Il y a bien sûr là desreprésentations littéraires ou artistiques. Parmi ce dernières,Jacques Callot a été préféré à Goya. Il fallait bien faire unchoix. On retrouve ainsi là le Latin Lucain. L'émigré huguenot àGenève Agrippa d'Aubigné. «Stendhal avec «La chartreuse deParme», dont la description de Waterloo comme un chaos, incompréhensible mais violent, a influencé Tolstoï.» Voltaire et son «Candide» ont trouvé leur coin. Tout comme Louis Pergaud avec sa «Guerredes boutons». «Pergaud était un grand pacifiste, à l'image de ce RomainRolland exilé en Suisse qu'est venu voir le jeune Gandhi.»
Traités de paix
Le parcours en arrive heureusement à la paix,sans cesse menacée. C'est là où figurent aussi bien Rollandqu'Albert Camus («il a écrit son article paru dans «Combat» justeaprès Hiroshima»), précédés par Erasme. «Nous célébrons aussibien Rousseau que Kant ou les rédacteurs de la Société desNations, implantée il a juste un siècle à Genève.» Il y a également là l'objet le plus ancien aujourd'hui présenté à la FondationMartin-Bodmer. Il s'agit d'un traité de paix, sous forme d'un cloude fondation en terre cuite. On y lit en cunéiformes l'accord entreUruk et sa rivale Lagash. C'était vers 2400 avant Jésus-Christ.L'objet appartient à l'institution. Près de lui, un des traités deWestphalie en 1648. Il s'agissait de mettre fin à la Guerre deTrente Ans, qui avait vu certaines populations germaniques fondre demoitié. La question religieuse s'était auparavant vue (provisoirement) régléepar l'Edit de Nantes de 1598, montré un peu plus loin. «La France aénormément soutenu notre exposition, qui donne l'idée demultilatéralisme.» Les accords d'Evian, un simple tapuscrit de1962, se trouvent donc aussi à Cologny.
Il fallait un peu de littératurepacifique, avant d'en arriver au final représenté par Tolstoï. Lepublic le trouve chez Baudelaire, mais en prime, et avec quellesurprise, dans «L'Enéide» ou dans «L'Iliade». Tout dépend despassages utilisés. Il n'a plus ensuite qu'à se plonger dans lecatalogue. Plus de 300 pages. Vingt auteurs. Une multituded'approches. Je signale cependant qu'il existe des visites guidées.«L'exposition se verra ainsi parcourue par de très nombreusesclasses d'écoles genevoises.» Une chose utile si l'on pense que laguerre commence parfois dans les préaux scolaires... Comme Pergaudl’avait si bien dit en 1912.
Pratique
«Guerre et Paix», FondationMartin-Bodmer, 19-21, route Martin-Bodmer, Cologny, jusqu'au 1 er mars 2020. Tél. 022 707 44 33, site www. fondationbodmer.ch Ouvert du mardi au dimanche de 14h à 18h.
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La Fondation Martin-Bodmer se penche sur la guerre et la paix
Préparée pendant deux ans, l'exposition de Cologny comprend des documents extraordinaires, prêtés notamment par l'ONU et la Croix-Rouge. Elle s'accompagne d'un énorme livre.