
La nouvelle n’a pas fait la Une. Et pourtant… Au cours de sa vie, Josep Bosch (comme Jérôme, mais lui est Espagnol!) aura rassemblé quelque 18 000 premières pages de journaux du monde entier. L’ensemble vient de lui être racheté à un prix d’ami, au propre comme au figuré, par la Fondation Martin-Bodmer. Voilà qui représente une montagne de papier, à la fois précieux et fragile! L’affaire conclut un long procédé, puisque journaliste a collaboré une première fois avec le musée privé colognote en 2014. «Une exposition qui a duré un mois à peine», rappelle Jacques Berchtold, qui faisait alors ses débuts dans un temple de la «grande littérature», qu’il a depuis entrouvert au jazz comme à la BD. Mais sans iconoclasme. L’homme enseigne aussi les lettres du XVIIIe siècle à la Sorbonne.

Josep Bosch. Photo tirée de son site.
«Josep Bosch s’est passionné pour la manière dont les journaux ont reflété les grands événements», explique Jacques Berchtold. «La plupart d’entre eux demeurent politiques. La collection dégage beaucoup de sérieux. Mais il y a aussi de l’économie. Des sciences. La mort des gens célèbres.» Il s’y trouve également des faits devenus mythiques. Charles Blériot traverse en avion la Manche en 1909. Un exploit alors presque inconcevable. En 1927, c’est un autre Charles, Lindbergh, qui franchit l’Océan. «Il y a aussi les déclarations de guerre, et heureusement les annonces de paix.» La bombe lâchée sur Hiroshima, qui si mes souvenirs sont bons n’avait alors pas fait la manchette de la «Tribune de Genève». Le suicide de Marilyn, partie juste à temps pour accéder à une éternité blonde. La plupart des stars disparaissent lorsque leur gloire s’est lentement fanée. Elle se contentent donc d’un articulet en pages intérieures. Sic transit…
Un lieu peu évident
L’ensemble avait-il sa place à la Bodmeriana? La question s’est posée. «Pendant longtemps, nous n’aurions pas pu l’accueillir pour des raisons pratiques. Notre bibliothèque manquait de place. La restauratrice ne disposait pas de table assez grande pour s’occuper des énormes pages des quotidiens des années 1940 ou 1950.» On sait que le lieu a pris de l’extension. Des années après l’agrandissement de Mario Botta, la fondation a continué son travail de taupe. Je vous ai emmené voir sa seconde extension en sous-sol, qui comprend notamment un vrai laboratoire pour les travaux cliniques de Florence Darbre. Restait la question morale. Du papier éphémère, qui ne se voit de nos jours même plus recyclé en emballage de salades au marché, avait-il vraiment sa place auprès de Dante (qui se verra ici honoré fin 2021), d’Homère ou de Shakespeare? «Il y avait des réticences. La matière ne possédait pas la noblesse des belles-lettres. Le support n’avait rien de bibliophilique.» L’ensemble aurait du coup tout aussi bien finir à la Bibliothèque de Genève.

La mort de JFK. Le choc des années 1950. Photo Fondation Martin-Bodmer, Cologny 2021.
C’était oublier les liens qui s’étaient tissés en 2014 lors de la courte aventure de l’exposition d’un mois. Bosch, qui travaillait dans la presse accréditée auprès des organisations internationales, désirait que l’ensemble reste à Genève. Il n’entendait pas démembrer le résultat d’une quête entreprise avec l’aide de rabatteurs tout autour du Globe. «Les Espagnols se montraient très intéressés par la partie consacrée à la Guerre Civile des années 1936 à 1939, mais pas vraiment au reste.» Bref. L’affaire a traîné. Il fallait une «meilleure lecture» des objectifs de Martin Bodmer, mort il y a pile un demi siècle en 1971. Comme il y avait eu à Genève une réinterprétation du testament d’Alfred Baur, le grand collectionneur de la Chine. «Ses carnets prouvaient que l’histoire le passionnait autant que la littérature. La fiction et la philosophie s’inscrivaient en son sein.» Restait à donner un coup de pouce final, afin d’assurer le financement. La «Tribune de Genève» s’y est prêtée «en disant que le départ de la collection Bosch rejoindrait celui des tableaux Thyssen pour Madrid.» C’était un peu fort de café, certes. Mais l’appel a fait mouche. Un mécène institutionnel a fourni l’argent voulu. Autour d’un demi million.
Exposition en 2024
Tout s’est terminé le 30 mars. «Deux camions de Natural-Lecoultre bien chargés ont amené les Unes à Cologny.» Il y aura maintenant beaucoup de travail sur des papiers fragiles et cassants. Il s’agira, comme on dit, de «conditionner». Puis de numériser, afin de rendre accessible. Josep Bosch se dit ravi de cette heureuse conclusion. Jacques Berchtold est conscient d’avoir donné un nouvelle impulsion à la collection conservée à Cologny. L’ensemble, qui s’arrête en 2020, lui semble cependant terminé. «Il manque juste la première page de «L’Aurore» avec le «J’accuse» d’Emile Zola, dont nous aimerions un exemplaire en bon état de conservation.» Pour la suite, rien. Pourquoi ce vide? «Il me semble qu’on arrive au bout des grandes «Unes» de journaux. La presse papier connaît en ce moment des jours difficiles. Mes enfants, par exemple, ne lisent plus les quotidiens que sous leur forme numérique.» Autant dire que l’ensemble apparaît muséal au sens un peu nécrologique du terme. Il y a obsolescence.

L'arrivée de la collection à la Bodmeriana. Photo Fondation Martin-Bodmer, Cologny 2021.
«Les Unes de l’Histoire» se retrouveront en vedette dans trois ans. Elles formeront alors la trame de la grande exposition de la Fondation. Une présentation qui durera près d’un an. D’une manière générale, la Bodmeriana prévoit du reste de passer au rythme, nettement plus lent, d’une seule présentation par saison. Le Dante, dont le vernissage est annoncé pour le 23 septembre prochain, devrait ainsi se prolonger jusqu’au 28 août 2022. Il y aura ensuite les «Trésors enluminés de Suisse», annoncés pour 2020, puis pour 2022. 2023 se passera sous le signe des livres de santé. Ce sera la seconde fois que la Fondation reviendra sur le sujet après la spectaculaire présentation de Gérald d’Andiran en 2010 intitulée «Du corps aux étoiles». Un accrochage qui avait fait date. Suivront les récits de voyage ou les livres d’enfants illustrés. Mais c’est encore loin, 2025 et 2026... Et il faut souhaiter qu’il y ait tout de même quelques «Unes» de journaux d’ici là!
Pratique
Fondation Martin-Bodmer, 19-21, chemin Martin-Bodmer, Cologny. Tél. 022 707 44 35, site www.fondationbodmer.ch Ouvert du mardi au dimanche de 14h à 18h.
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La Fondation Martin-Bodmer acquiert les 18 000 "Unes" de journaux de Josep Bosch
Le musée privé de Cologny, près de Genève, prend un virage historique avec ces documents. Ils viendront compléter une bibliothèque très littéraire.