
C’est l’événement de l’automne, promu comme tel par les médias internationaux. Francisco de Goya (1746-1828) ne bénéficie pas tous les jours d’une exposition. Surtout aussi généraliste, comme on dirait pour un médecin. La Fondation Beyeler montre en effet à Bâle le peintre à tous les âges et dans l’ensemble des médias abordés au cours d’une longue carrière. Il y a ainsi sur les murs, repeints de deux tons de gris, environ 270 pièces entre les peintures, les dessins et les gravures. Plus un film signé Philippe Parreno, ce qui fait tout de même très chic. La Fondation, qui se veut aussi tournée vers le contemporain, n’avait-elle pas déjà commandé un court-métrage en 3D à Wim Wenders afin de «booster» son Edward Hopper?

La souveraine d'Espagne devant "La Maja vêtue" pour le vernissage. Photo Keystone.
La reine Letizia est venue (elle aussi en gris) pour inaugurer cette rétrospective qui aura mis dix ans à se voir mise sur pieds. Elle sert de souveraine, d’ambassadrice mis aussi de voyageuse de commerce pour l’Espagne. Autant dire qu’il s’agit là d’une superproduction, comme pour le Gauguin Beyeler de 2015. Si le musée privé ne communique aucuns chiffres pour ce qui tient des coûts, le générique de la manifestation multiplie les remerciements à de riches organisations et privés amis. Le lecteur curieux retrouvera là aussi bien Novartis que la Fundacion Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el Arte ou la Berta Hess-Cohn Stiftung, en plus de l’habituel milliardaire Hansjörg Wyss. Il a beaucoup fallu dépenser pour encourager les bonnes volontés. Les prêts de tableaux accordés en échange par la Fondation Beyeler ne font pas tout. Même s’il s’agit de magnifiques Picasso.
Collaboration avec le Prado
C’est le Prado qui sert de partenaire principal pour cette exposition, primitivement agendée au printemps et à l’été 2020 et plusieurs fois repoussée depuis. Rien là que de très normal. Le Musée madrilène, qui a fêté ses 200 ans en 2019, sert en quelque sorte de réservoir ou de garde-manger pour l’artiste comme pour Vélasquez ou El Greco. Impossible, ou presque, de faire sans lui. Il semble à la limite permis de s’y risquer en France, comme le Palais des beaux-arts de Lille l’avait osé en 1999. La France conserve de très importantes toiles de Goya non seulement dans cette ville mais à Castres, à Strasbourg, à Besançon et bien sûr à Paris. En Suisse ce serait en revanche le flop assuré. La plupart des peintures acquises au XXe siècle par Emil G. Bührle ou Oskar Reinhart se sont révélés des travaux d’atelier ou des faux…

Le portrait de la duchesse d'Albe (il en existe un second à New York) qui ne sort en principe jamais du palais familial de Madrid. Photo DR.
L’énorme et très lourd catalogue de l’exposition (une version en allemand et une autre en anglais) n’en fait d’ailleurs pas mystère. Beaucoup de Goya ont perdu ces dernières années leur belle attribution. «Le Colosse» du Prado est d’une autre main, même s’il s’agit d’un chef-d’œuvre. Idem pour le «Portrait d’Isabel Porcel» de la National Gallery de Londres, remis en cause il y a de cela six ans. La chose ne fait pas que bousculer des certitudes. Elle remet en question le peintre lui-même. Qu’en reste-t-il, si certaines de ses meilleures réalisations disparaissent alors que d’autres, parfois modestes ou rudimentaires, restent comprises dans son catalogue raisonné? La même question s’était posée il y a trois ou quatre décennies pour Rembrandt. Un certain nombre d’experts ont discrètement rétropédalé depuis pour le maître néerlandais…
Le choix de la sécurité
Il ne s’agissait cependant pas pour les commissaires de la rétrospective actuelle, pilotés par Martin Schwander, de concevoir ici une exposition-dossier sur ce sujet brûlant, comme les amateurs avaient pu en découvrir une à Agen en 2019 sur Goya et ses élèves. Le but de la Fondation Beyeler restait comme toujours d’intéresser un large public. Le meilleur moyen d’y parvenir demeurait de présenter des réalisations sûres allant des années 1770 aux dernières productions (des lithographies surtout) produites par l’Espagnol durant son exil final à Bordeaux. Pour les gravures, heureusement, pas de problèmes! Tout est certifié. Dans son immense collection, le marchand bernois Eberhard W. Kornfeld (98 ans) a en plus inclus d’admirables exemplaires du premier tirage, voire des épreuves d’essai notamment pour «Les Caprices». Le «corpus» des dessins n’est pas trop discuté non plus. La Fondation peut donc en aligner des séries entières, souvent issues du Prado.

La Fondation Beyeler montre cinq des dix natures mortes de Goya peintes durant la guerre civile de 1808-1814. Photo DR.
Pour les toiles, le comité scientifique s’est prudemment concentré sur des œuvres connues depuis longtemps, dont nombre appartiennent encore aux descendants des nobles qui les avaient commandées ou acquises à l’époque. La Teresa Cayetana de 1795 est ainsi restée chez les ducs d’Albe. Huit tableaux terrifiants de la fin du siècle, réalisés alors que l’Espagne allait droit à la catastrophe concrétisée par l’invasion française de 1808, se trouvent encore chez les marquis de la Romana. D’autres toiles majeures ont récemment fini au Prado. Il y a toujours des impôts ou des successions à régler. Le reste, bien certifié, provient parfois de musée lointains. J’ai une nouvelle fois dû constater que les tableaux recommençaient à voler allègrement par-dessus les océans. Des cartels portent ainsi les indications Houston, New York, Dallas, Minneapolis ou Richmond.
Révolution mesurée
Et qu’est-ce que cela donne au final? Une présentation bien faite, qui tente d’expliquer à la fois l’homme, politiquement assez louvoyant, et l’œuvre. Un œuvre révolutionnaire certes, mais dans les limites de l’acceptable, en tout cas pour les portraits. Nous tendons à voir un roi Charles IV et une reine Maria Luisa monstrueusement caricaturés. Or les modèles ont suffisamment bien accepté ces effigies, apparemment destructrices, pour en commander à Goya sans cesse de nouvelles. Il y a bien sûr à Bâle plusieurs tableaux capitaux comme «La Maja vêtue» ou le grand portrait horizontal de «Godoy, prince de la Paix». Mais on savait d’avance qu’il ne fallait pas trop demander pour la première exposition Goya à Bâle (c’était à la Kunsthalle) depuis 1953. Le musée national n’allait pas de dépouiller du «Trois Mai» ou de «La Maja nue». Si les Offices de Florence ou la Fondation Magnani-Rocca de Parme se sont une fois de plus laissés séduire, le Louvre n’a en revanche rien envoyé. Lille a par ailleurs gardé ses célébrissimes «Vieilles» et «Jeunes». Le Palais des beaux-arts organise autour d’elles une présentation virtuelle en ce moment.

L'une des nombreuses toiles de Goya dénonçant l'ignorance et l'Inquisition. Photo DR.
Autrement les dessins se retrouvent aussi sagement alignés que les gravures. Aucune coup d'éclat. Ils se suffisent à eux-même. Le musée privé bâlois, qui entendait présenter non plus un père mais un grand-père de la modernité (à quand Giotto comme aïeul?), ne s’est pas davantage lancé dans une débauche de décor. Difficile de faire plus sobre. Cette retenue m’a parfois semblé au bord de la sécheresse, d’autant plus que les éclairages naturels zénithaux possèdent ici quelque chose d’un peu triste, contraint et froid. Heureusement qu’en ces journées ensoleillées, les magnifiques frondaisons automnales du parc viennent mettre un peu de couleur dans le paysage… Il en fallait. Goya n’était tout de même pas un minimaliste ou un conceptuel! On le peut le tirer vers le XXIe siècle, certes. Mais il y a malgré tout des limites.
Pratique
«Goya», Fondation Beyeler, 101, Baselstrasse, Basel/Riehen, jusqu’au 23janvier 2022. Tél. 061 645 97 00, site www.fondationbeyeler.ch Ouvert tous les jours de 10 à$ 18h, le mercredi jusqu’à 20h. Réservation conseillée, surtout les samedis et les dimanches.
Attention!!!! Changement de site !!!!
Le dimanche 31 octobre, à minuit pile, le site de «Bilan» que vous voyez depuis des années se verra remplacé par un autre. La chose aura des conséquences pour la suite des parutions. La configuration de la maquette ne sera plus exactement la même. Vous ne retrouverez pas toujours les articles où vous avez l’habitude de les voir et leur forme sera légèrement différente. Le changement aura également des répercussion sur les textes anciens. La plus importante me semble valoir pour les photos. Les images carrées, et a fortiori en hauteur, ne sont pas prévues (du moins pour l’instant) par le nouveau système. Vous risquez donc un consultant un vieil article de retrouver les illustrations sauvagement recadrées, avec un certain nombre de personnages décapités. Ne vous en formalisez pas trop et lisez tout de même. Je profite pour vous rappeler qu’il est toujours possible de suivre ma chronique en utilisant comme mots clefs «bilan» et «dumont». On verra pour la suite!
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La Fondation Beyeler propose à Bâle un très riche Goya, promu grand-père de la modernité
Il y aux murs, repeints en gris, environ 270 pièces entre les tableaux, les dessins et les gravures. L'ensemble fait grande impression, même si l'exposition reste froide.