La Collezione Peggy Guggenheim révèle le peintre Osvaldo Licini
Mort en 1958, l'artiste des Marches reste inconnu hors d'Italie. Une belle rétrospective restitue son parcours entre figuration et abstraction.

Une toile caractéristique de la période abstraite dans les années 1930.
Crédits: Succession Osvaldo Licini/Collezione Peggy Guggenheim, Venise 2018.Il faut savoir rester original. Peu
d'institutions le demeurent. Elle sont poussées par le besoin assez malsain de «faire des entrées». Leur public ne vient pas voir,
mais revoir. Je vous ai déjà dit ce que j'ai pensé des soixante
expositions méditerranéennes de Picasso cet été. J'avoue me
sentir peu attiré aujourd'hui à Paris par le Miró du Grand Palais
ou le Basquiat-Schiele de la Fondation Vuitton. J'aurais l'impression
d'entendre un bruit de tiroir-caisse en entrant, même si j'aime
beaucoup le premier Miró. Celui où il créait encore avant de
«faire du Miró».
La Collezione Peggy Guggenheim de Venise possède une double chance. D'abord, elle reste riche. Ensuite, le public vient spontanément. Aucun touriste, surtout américain, ne saurait revenir de la Sérénissime sans avoir visité cette sorte d'ambassade artistique. C'est le réceptacle des grands classiques du XXe siècle. Il s'agit aussi l'été d'un jardin aux sculptures. Tout cela se révèle bien géré, avec un petit personnel résolument polyglotte. Activités pour les enfants. Visites guidées selon des modules adaptés. Long ou court. Restaurant avec terrasse. Il y a enfin les présentations temporaires, toujours intéressantes. Je vous ai dit comment la Collezione a récemment créé un lieu pour les manifestations de poche. Peu importe si les touristes voient cette partie de la fondation. De toute manière, ils ont payé.
Triomphe vénitien en 1958
La dernière fois que je vous ai parlé
d'une exposition en ces lieux, c'était avec Josef Albers. Une
présentation remarquable, reprise du Guggenheim de New York. La
Collezione puise à l'occasion dans une sorte de pot commun. Elle
l'avait ainsi fait l'an dernier à pareille date pour les
symbolistes. Sa direction crée cependant volontiers. Des
rétrospectives en principe liées d'une manière ou d'une autre à
Peggy. On sait, ou plutôt on on sait pas, que cette dernière, après
avoir soutenu les jeunes artistes d'outre-Atlantique, s'est beaucoup
intéressée aux Italiens à partir de 1948. Elle a suivi et promu
des gens qui ont longtemps peiné à se voir reconnus sur le plan
international. La Péninsule faisait à l'étranger province, ou
alors vieux machin.
Il n'existe curieusement pas de lien entre Peggy et Osvaldo Licini, qui fait aujourd'hui l'objet d'une éblouissante présentation. C'est à peine si les archivistes ont pu découvrir une image. Elle remonte à la Biennale de 1958, où l'homme avait reçu à la stupéfaction générale (il suffit de lire l'article indigné du critique français Alain Jouffroy reproduit dans le catalogue) le Grand Prix de peinture. Peggy fait face, lors d'une visite, à un Osvaldo Licini. L'homme présentait 50 tableaux. L'honneur est donc sauf. Il semble pourtant permis de se demander pourquoi la mécène a dédaigné un artiste tout à fait dans ses cordes. Il y a chez cet créateur des Marches aussi bien l'abstraction que la figuration surréalisante voulues.
Une vie dans un village
Licini est donc né à Monte Vidon
Corrado en 1894. Un village comptant à l'heure actuelle 768
habitants. Il a passé là le plus clair de son existence. Il s'agit
en plus de son lieu de décès. On pourrait du coup imaginer un
destin provincial. Retiré. Replié. Voire même reclus. Il n'en est
pourtant rien. Licini est de la campagne des Marches comme le grand
photographe Mario Giacomelli. Il s'agit pour lui d'une terre
nourricière, dont il lui faut à l'occasion s'éloigner. Ses parents
ayant émigré tôt en France, le laissant enfant avec le reste de la
famille, il a longtemps fait les allers et les retours de Paris.
Licini a plus tard fait partie des «Montparnos», ces créateurs
venus de partout respirer l'air de ce qui restait pour quelques
décennies encore la Ville Lumière. Il a ainsi été lié à son
compatriote Modigliani, même si son ami de toute un vie restera à
Bologne Giorgio Morandi.
Dans les cafés de Montparnasse.
Osvaldo a ainsi rencontré une riche Suédoise, un peu peintre, Nancy
Hellström. Il prendra en 1925 sa décision. Celle de rentrer au
pays, en pleine montée fasciste. Elle prendra sa décision en 1926.
Le rejoindre et l'épouser. C'est la muse et le modèle des toiles
encore figuratives qui ont succédé chez lui à une fin de
futurisme. Mais assez vite l'artiste change d'orientation. Il stylise
le paysage environnant. Puis c'est l'entrée dans l'abstraction. Je
dois ici préciser que Mussolini n'a rien contre les lignes et les
carrés. Licini donne alors des choses magnifiques. Il s'agit d'une
peinture stricte, géométrique et anguleuse, mais sans sécheresse.
Comment est-il possible de se révéler d'avant-garde à Monte Vidon
Corrado? Parce que le peintre, comme beaucoup de gens isolés,
entretient une importante correspondance avec des intellectuels et des
théoriciens (dont Carlo Belli, l'auteur du concept
d'«archipittura»). Voire même des philosophes. Et puis il expose!
Il fait ainsi partie des poulains du Millione de Milan des frères
Gino et Peppino Ghiringhelli, la galerie la plus ouverte en
innovations du pays!
Angelots et diablotins
La guerre, puis l'après-guerre amènent
un retour à la figuration. Une figuration libre, assez ludique, avec
des angelots (bien sûr rebelles) et des diablotins (leurs petits
frères). La couleur prend son essor. Il y a des fonds rouges, bleus
et jaunes dans ces toiles qui se ressemblent sans jamais se répéter.
Le sous-titre de l'exposition le dit d'ailleurs bien. C'est «qu'un
vent de folie me soulève». L'ascension dans les cieux suppose une
certaine légèreté, que Licini a su conserver. Il n'y a pas chez lui
ce côté lourd et vieilli de certains peintre importants avant
1939. C'est un artiste à la fois jeune et fêté qui s'éteint en
1958. Licini disparaît en effet juste après son grand Prix vénitien.
Montée par Luca Massimo Barbero, qui a
déjà donné bien des choses intéressantes à la Collezione,
l'exposition reste claire et simple. Il s'agit de faire découvrir.
Licini demeure inconnu hors d'Italie. Absence de curiosité, hélas.
Je n'ai jamais vu une toile signée de lui à Beaubourg ou à la Tate
Modern. Rien non plus dans les ventes, de plus en plus cotées, que
Christie's ou de Sotheby's consacrent à l'art italien
d'après-guerre. Le parcours de cette rétrospective reste donc
chronologique, avec ses va-et-vient entre abstraction et figuration.
Le décor se permet tout de même quelques audaces. Les toiles sur
fond bleu vif se retrouvent sur des murs bleu vif. Rien de tel pour
le rouge et le jaune. Il faut tout de même de se montrer sage dans
un lieu grand public respectant ses visiteurs.
Pratique
«Osvaldo Licini», Collezione Peggy Guggenheim, 701-704 Dorsoduro, Venise, jusqu'au 14 janvier 2019. Tél. 0039 041 240 54 11, site www.guggenheim-venice.it Ouvert tous les jours, sauf mardi, de 10h à 18h.