
«Moi, Hans Baldung, dit Grien, peintre.» Rédigé dans une belle et ferme écriture du XVIe siècle, ce préambule ne manque pas d’affirmation. Au moment où il met sur papier ce document, présenté dans une vitrine en ouverture d’exposition, l’homme est devenu un riche notable strasbourgeois. La ville fait alors partie du Saint-Empire romain-germanique. La carrière de l’artiste a atteint son sommet. Mais, soyons justes, elle avait déjà bien commencé. Son oncle était le médecin personnel de l’empereur Maximilien Ier. Son frère, juriste, coiffait l’université de Fribourg-en-Brisgau. L’homme lui-même avait fait tôt ses débuts prometteurs. Prêté par le Kunstmuseum de Bâle, son célèbre autoportrait dessiné le montre, sûr de son métier, à 18 ou 19 ans. L’adolescent y a déjà le regard en coin caractérisant plus tard ses personnages.

Les âges de la femme. Seule la partie gauche a survécu. Le musée montre pour la suite une ancienne copie, retrouvée à Rennes. Photo DR.
La Staatlische Kunsthalle de Karlsruhe montre donc Hans Baldung Grien, dont elle avait déjà présenté une mémorable rétrospective en 1959. Les choses ont été conçues sur un grand pied, en collaboration avec Strasbourg. D’où les textes de salles bilingues et le tirage du catalogue (un machin presque monstrueux de passé 500 pages) dans notre langue. La chose peut sembler logique. Si nul n’a l’idée d’associer Baldung à l’école française, l’homme n’en a pas moins passé presque toute sa vie en Alsace, où il était arrivé en1505 à 20 ou 21 ans. Né à Schwäbisch Gmünd en 1484, le peintre sortait alors de l’atelier de Dürer, dont il était davantage un collaborateur qu’un élève. Il fallait faire tourner la petite usine du Nurembourgeois. Baldung a ainsi créé dans son atelier, comme le public peut se voir à Strasbourg, ses premières estampes marquées du monogramme AD.
Un retable indéplaçable
La suite roulera sans encombre. Baldung deviendra un peintre recherché par les églises et les couvents. Il imaginera des vitraux, dont deux séries dispersées se sont vues réunies à la Kunsthalle. Il exécutera des tableaux de dévotion privée et des retables. Le plus vaste de ces derniers est bien sûr resté sur place. L’immense ensemble conservé par la cathédrale de Fribourg-en-Brisgau est indélogeable. Il se voit évoqué de manière virtuelle à Karlsruhe, seule concession faite par les commissaires Holger Jacob-Friesen et Julia Currasco aux nouvelles technologies. Figurent à côté quelques dessins préparatoires, l’œuvre graphique conservé de Baldung se révélant abondant. Notez au passage la dédicace de ce sommet du gothique tardif, comparable en importance au seul retable d’Issenheim de Grünewald, aujourd’hui à Colmar. «Je l’ai fait avec l’aide de Dieu et de mes propres forces.» Il semble cependant que Baldung ait développé un atelier pour satisfaire les commandes.

Autoportrait. Baldung a alors 18 ou 19 ans. Photo Kunstmuseum Bâle 2020.
L’expansion dès1520 de la Réforme va changer la donne. Elle pose en apparence peu de problèmes à Baldung. Il va travailler aussi bien pour ceux que l’on n’appelle pas encore les protestants qu’à l’intention des catholiques. Il ne se liera pas personnellement à la nouvelle foi comme le Saxon Lucas Cranach, dont bien des points le rapprochent et j’y reviendrai. Il faut dire que nous sommes dans les Allemagnes en terres luthérienne. Pas chez Calvin ou chez Zwingli. Autant dire que l’iconoclasme y reste «soft». Luther n’a rien contre une certaine peinture religieuse, débarrassée des saints présentés en tant qu’intercesseurs. De la présence d’un Dieu figuré aussi, bien sûr. Celui-ci apparaissait il est vrai sur certains Baldung précoces. Avec une grande barbe blanche, cela va de soi.
Un type féminin
Baldung va donc continuer en mettant en avant ses qualités de portraitiste. Il y a un mur entier de jeunes et de vieux à Karlsruhe. Curieusement aucune femme. Toutes ont apparemment disparu, puisque nous savons par les sources qu’elles ont existé. Le peintre va aussi se faire une spécialité des sujets érotiques, avec avec énormément de nus féminins. Il y a un type Baldung, comme il existe un physique Cranach. Tout aussi irréaliste. Certaines effigies deviennent ainsi des beautés idéales, aux traits toujours semblables et aux costumes extravagants. Il devait exister une clientèle pour cela, comme il yen avait une pour ses dessins finis, signés et datés. La Kunsthalle peut proposer de ces derniers de prodigieuses séries. Les plus étonnants sont en clair obscur. Sur un papier préparé de couleur sombre, l’artiste inscrit son sujet à la plume et à l’encre noire. Le relief se voit créé par d’admirables rehauts de blanc.

La femme selon Baldung. Photo Museo Thyssen-Bormenisza, Madrid 2020.
L’Alsacien d’adoption n’est pas seul dans cette exposition regroupant quelques 200 œuvres, plus la projection des images du carnet que possède Karlsruhe, riche de 110 créations graphiques. Il y fallu faire apparaître Dürer (1), dont il se distingue. La mise en regard illustre bien la volonté classique et ordonnée de ce dernier, alors que Baldung apparaît plutôt expressionniste, puis maniériste. Un maniérisme en version allemande, bien entendu! Il y a aussi du Barthel Beham, du Bernard Strigel, de l’Hans Schäufelein, de l’Hans Burgkmair…Non seulement il s’agit de souligner les points de rencontre comme de divergence, mais il fait bien laisser une place à ces seconds couteaux. Ils n’auront jamais l’honneur d’une rétrospective. L’actuelle a déjà du mal à trouver son public.
Fascination pour les sorcières
Et pourtant. Et pourtant… Organisée de manière très classique, l’exposition de Karlsruhe donne une occasion unique de voir, rassemblé après des années d’efforts, l’œuvre d’un des ténors du gothique tardif, puis de la première Renaissance germanique. Il y a là la moitié de son œuvre peint conservé. Oh, pas toujours en bon état! Acquis l’an dernier par la Kunsthalle, le «Loth et ses filles»très érotique s’est ainsi vu coupé en plusieurs morceaux, dont certains manquent. Plusieurs portraits se révèlent abrasés. Certains panneaux semblent mal, ou trop restaurés. Et puis il y a aux cimaises les feuilles à admirer! Des dessins magnifiques. Beaucoup de gravures aussi, dont les «Combats de chevaux» et «Le palefrenier ensorcelé» dans de superbes épreuves. Il y a bien d'autres sorcières aux murs dont deux, sur fond de flammes, font l’affiche. Baldung se situe ici du côté sombre de la Renaissance. Il n’y a jamais eu autant de bûchers qu’alors. Comme si une lumière nouvelle ne pouvait susciter que des ténèbres renouvelés.

"Le palefrenier ensorcelé". La plus connue et la plus mystérieuse des gravures sur bois de Baldung. Photo DR.
(1) De Dürer, il y a aussi une mèche de cheveux dans une sorte de reliquaire. Elle a été coupée après sa mort en 1528 afin de se voir remise à son disciple. Un document à côté en donne les possesseurs depuis 1550, Baldung étant décédé en 1545. L’authenticité semble donc plus que probable.
Pratique
«Hans Baldung Grien, Staatische Kunsthalle, 2, Hans Thomas Strasse, Karlsruhe, jusqu’au 8 mars. Tél.0049 721 926 26 96, site www.kunsthalle.krlsruhe.de Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h. L’exposition occupant le premier étage, une partie des collections de ce musée exceptionnel a été remisée. Reste le domaine allemand des XVe et XVIe siècles, qui complète bien la très longue visite. Comptez au moins trois heures. Strasbourg organise parallèlement une petite exposition graphique au Musée de l’Oeuvre Notre-Dame. Site www.musees.strasbourg.eu

Le portrait d'homme prêté par Londres. Photo National Gallery, 2020.
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Karlsruhe dédie une vaste exposition à Hans Baldung Grien, mort en 1545
Le peintre reçoit un hommage riche de quelques 200 pièces, peintures, dessins, gravures... Il y a aussi aux cimaises des créations de ses contemporains germaniques.