J'arrive en retard, mais sans regrets. Il ne suffit pas d'annoncer une nouvelle. Il faut l'étayer. Or donc une «Vénus» de Lucas Cranach (1472-1553) appartenant au prince Hans Adam II de Liechtenstein vient d'être saisie par la Justice à Aix-en-Provence, où elle se voyait exposée à l'Hôtel de Caumont (1). Il s'agirait d'un faux. Un plainte, anonyme comme il se doit, en serait la cause (d'après Sabine Gignoux de «La Croix»). La juge parisienne Aude Buseri fera procéder à des expertises.
L'affaire semble opaque. C'est en 2013 que le prince a acquis (chez Colnaghi pour 7 millions d'euros, selon le journal en ligne «La Tribune de l'art») ce panneau daté de 1531 et récemment découvert. Le tableau ne possède pas d'historique clair. Avoir «fait partie de plusieurs collections privées» ne signifie rien dire du tout. Plusieurs experts l'ont approuvé. Aujourd'hui en veilleuse, vu la morne plaine qu'est devenu le marché du tableau ancien, Colnaghi prend généralement ses précautions. Ceux qui ont contemplé ce panneau le disent d'une beauté stupéfiante.
Une ressemblance confondante
Restent beaucoup d'éléments troubles. Le premier est que le panneau évoque beaucoup la célèbre «Vénus» de Cranach conservée au Städel Museum de Francfort, même si des détails divergent. C'en est au point que «Le Figaro» s'est trompé d'illustration. La chose n'inquiète pas en elle-même. Cranach et son atelier saxon ont multiplié les répliques jusqu'à extinction de la demande. Plus ennuyeux, Cranach est devenu à la mode. Il suffit de rappeler le succès de l'exposition coproduite avec Bruxelles ayant inauguré en 2011 le Musée du Luxembourg parisien, désormais aux mains de la RMN (Réunion des Musées nationaux). Il existe donc une demande.
Hans Adam II, qui a un temps rouvert son palais viennois au public, dispose d'énormes moyens financiers, issu en partie de la banque. Il s'agit de plus gros acheteur d'art ancien actuel. Une forme de rattrapage. Ruinés après 1945 par la saisie de biens désormais en Allemagne de l'est (RDA ), les Liechtenstein avaient dû vendre dans les années 1950 et 1960 nombre de leurs trésors accumulés depuis le XVIIe siècle, dont la «Ginevra de Benci» de Léonard de Vinci désormais à la National Gallery de Washington (2). Hans Adam passe par ailleurs pour très susceptible. Une exposition de ses œuvres a été annulée à la dernière minute en 2009 à Londres à la suite d'une fiction internationale, le prince étant aussi chef d'Etat.
Un cas qui fit tache d'huile
Où les choses gênent davantage, c'est quand on apprend que l'affaire Cranach ne resterait pas isolée. Certes, il circule un chiffre, fixé de manière fantasmatique, de 30 pour-cent de faux sur le marché de l'art. Il circule là des sommes d'argent inouïes. Mais, contrairement au XIXe siècle, ce fric va au moderne et au contemporain. La demande en toiles ancienne de prestige a diminué. La qualité des expertises scientifique (analyse des pigments, notamment) a, elle, augmenté de manière exponentielle. Un faux exige désormais non seulement du talent, mais des dons de chimiste.
Or «La Tribune de l'art» nous apprend que d'autres redécouvertes de ces dernières années, attribuées comme de juste à des artistes très célèbres et très chers, se verraient également remises en question. Aucun nom ne se voit prononcé. «Des rumeurs à propos d'une vaste entreprise de faux courent de manière feutrée dans le monde de l'art depuis ds mois. Plusieurs autres tableaux seraient en cause, de peintures flamandes et italiennes des XVIe et XVIIe siècles notamment. Certaines sont passées en vente publique, deux d'entre elles sont en dépôt dans des grand musées anglo-saxon». On imagine mal un seul auteur pour le Cranach et celles-ci. Alors...
Historiques pe clairs
Reste que ces nouveaux chefs-d’œuvre ont en commun de constituer des variantes de réalisations connues et d'avoir un historique vasouillard, ou nul (3). Une affaire à suivre, pour autant qu'elle ne s'éternise pas ou qu'elle vire en eau de boudin.
(1) L'Hôtel de Caumont est un ancien conservatoire de musique d'Aix, transformé en musée privé l'an dernier. Il s'agit du frère jumeau provençal du Muée Jacquemart-André de Paris. Même style. Même gestion faîtière. - (2) La National Gallery de Washington l'a payé en peu plus de 5 millions de dollar en 1967. Mais un dollar représentait alors encore une somme. Il valait 4,25 franc suisses. - (3) Certains faussaires ont cependant pensé à glisser de faux documents historiques justifiant leurs productions dans les archive d'institutions anglo-saxonnes.
Photo (Hôtel de Caumont): La Vénus du prince de Lichtenstein. Celle de Francfort a les cheveux recouverts par une résille.
Texte intercalaire.
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JUSTICE/Le Cranach saisi du prince de Liechtenstein et ses dessous sulfureux