
C’est la reconversion de la reconversion ou, pour parler plus simplement, un retour à la case départ. Quand j’ai connu Jean-MarcYersin au millénaire dernier, il était photographe et travaillait pour un Musée d’art et d’histoire genevois se portant déjà mal. L’homme a ensuite dirigé en tandem avec son épouse Pascale Bonnard le Musée suisse de l’appareil photographique de Vevey. Le couple semblait vivre dans une telle osmose qu’on les appelait en général «les Bonnard-Yersin». M’est avis que bien des gens ne savaient plus qui portait au départ chacun des deux noms. Il faut dire qu’il et elle se complétaient admirablement. Il y avait la scientifique et le praticien. Le bavard et la réfléchie. Et il en est allé ainsi jusqu’à leur retraite commune en 2018.

La tour rouge du col du Jullier. Photo Jean-Marc Yersin.
Pour Jean-Marc Yersin, cette plage de liberté permettait de revenir au 8e art comme créateur. Il a repris son travail comme s’il n’y avait pas eu un quart de siècle d’interruption. Même image conçue dans un noir et blanc strict. Inspiration semblable. L’homme avait photographié vers 1990, du côté de Chicago, une industrie réduite à l’état de traces archéologiques. «Nous étions alors loin de prendre conscience des risques d’effondrement de notre civilisation.» Cela pouvait encore passer pour une simple mue américaine. En Europe, nous semblions encore loin de tout cela. Quoique… Parmi les travaux plus récents de Yersin figure en effet l’étrange viaduc de béton devant supporter les trains du futur. Ses kilomètres de ruines viennent de se voir classés, près d’Orléans, même s’il semble impossible de les réhabiliter après cinquante ans... L’aérotrain prévu n’a en fait jamais roulé. Le TGV a pris sa place en dépit des milliards engloutis.
Une oeuvre d'art totale
Si des images de cette série ont été exposées en 2019 dans une galerie genevoise de la Grand-Rue, évanouie depuis, leur auteur en a fait d’autres. Il a aussi complété et publié ses «Vestiges». Un livre qui tient comme toujours chez lui de l’œuvre d’art totale. Jean-Marc photographie, tire, encadre et édite ensuite l'ouvrage. Le sujet nous devient cette fois plus proche, comme le public peut en juger au... Musée suisse de l'appareil photographique de Vevey. Nous sommes pour l’essentiel en Suisse, où l’on aime bien bétonner. Surtout en altitude. «C’est en montagne que la confrontation entre le bâti et le paysage atteint une intensité fulgurante.» Il y a depuis longtemps les barrages, bien sûr. La Grande-Dixence a ainsi aujourd’hui dans les septante ans. Se sont cependant ajoutés les autoroutes et leurs viaducs. Des serpents de matières synthétiques, qui aplanissent le sol pour les trains et les automobiles. Le photographe les regarde souvent d’en-bas, avec des cadrages aussi sobre qu’efficaces. «Encore intactes, encore orgueilleuses», elles évoquent pour lui «des sculptures monumentales ou des installations de Land Art.»

Noville, le Grand Canal. Photo Jean-Marc Yersin.
Planent cependant sur ces monstres de béton la menace du temps qui passe. De la désagrégation de la matière. Du changement climatique. De la folie humaine. Nous sommes ainsi avec eux devant une archéologie du futur. Il y aura un moment où ces structures seront abandonnées. Ces ouvrages d’art faits pour rester éternemellement neufs verront passer le temps, avec les inquiétudes qu’il suscite. Des ponts vont bien finir par tomber. Et l’on pense du coup à la désagrégation du réseau routier de certains pays… Il y a aussi le changement des habitudes. Dans l’autre partie du quatrième étage du Musée suisse de l’appareil photographique, auquel le public accède par un petit pont surmontant une ruelle, Jean-Marc Yersin nous montre ainsi la raffinerie Tamoil de Collombey-Muraz, en Valais. «Une véritable ville». Aujourd’hui mise au rancart, elle va se voir démontée comme un mécano, avant un terrifiant nettoyage des sols pollués. Cette ancienne «station sur la route des vacances» n’est plus qu’un «paquebot échoué». Autrement dit une épave.
Aucune présence humaine
C’est en 2021 que Jean-Marc Yersin a photographié ce qui ressemble du coup à un énorme décor de cinéma. Il devrait également y avoir un livre au bout. Avec des images cette fois en largeur, mais tout aussi dépourvues de présences humaines. Les «Vestiges» se présentent en effet comme des carrés, une forme ramassée et particulièrement stricte. Ils sont ainsi tous l’air calculés et construits, sans qu’il y a ait pour cela un protocole trop rigide, comme dans les images des Allemands Bernd et Hilla Becher par exemple. Jean-Marc Yersin amène toujours un élément de variété. Il ne s’agit pas d’un systématique. D’où un réel élément de plaisir à la vision. Ce n’est pas parce qu’on se montre pessimiste sur l’avenir qu’il convient dès aujourd’hui de gâcher la vie de tout le monde!
Pratique
«Vestiges», Musée suisse de l’appareil photographique, 99, Grand-Place, Vevey, jusqu’au 2 janvier 2022. Tél. 021 925 34 80, site www.cameramuseum.ch Ouvert du mardi au dimanche de 11h à 17h30.
Attention!!!! Changement de site!!!! -
Le dimanche 31 octobre, à minuit pile, le site de «Bilan» que vous voyez depuis des années se verra remplacé par un autre. La chose aura des conséquences pour la suite des parutions. La configuration de la maquette ne sera plus exactement la même. Vous ne retrouverez pas toujours les articles où vous avez l’habitude de les voir et leur forme sera légèrement différente. Le changement aura également des répercussion sur les textes anciens. La plus importante me semble valoir pour les photos. Les images carrées, et a fortiori en hauteur, ne sont pas prévues (du moins pour l’instant) par le nouveau système. Vous risquez donc un consultant un vieil article de retrouver les illustrations sauvagement recadrées, avec un certain nombre de personnages décapités. Ne vous en formalisez pas trop et lisez tout de même. Je profite pour vous rappeler qu’il est toujours possible de suivre ma chronique en utilisant comme mots clefs «bilan» et «dumont». On verra pour la suite!
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Cet article a été automatiquement importé de notre ancien système de gestion de contenu vers notre nouveau site web. Il est possible qu'il comporte quelques erreurs de mise en page. Veuillez nous signaler toute erreur à community-feedback@tamedia.ch. Nous vous remercions de votre compréhension et votre collaboration.
Jean-Marc Yersin présente ses "Vestiges" au Musée suisse de l'appareil photographique de Vevey
L'homme a repris son appareil en 2018 pour nous montrer une archéologie du futur. Elle est faite de nos orgueilleux viaducs et barrages de béton.