ls sont venus. Ils sont tous là. Enfin presque. La salle de conférence du Commun au BAC (Bâtiment d'art contemporain) ressemble en ce jeudi 21 décembre à une réunion d'ancien combattants. Les gens derrière la table se sont en effet battus pour que le Centre d'art contemporain (CAC) existe, puis perdure à Genève. Il y a bien sûr au milieu Adelina von Furstenberg, une coriace, sans qui rien ne serait jamais arrivé. A sa droite (et donc à notre gauche) se trouvent son successeur Paolo Colombo, un peu vieilli, et Andrea Bellini, actuel directeur de l'institution. De l'autre côté se tient John Armleder. Il n'a jamais été partie prenante dans le Centre. Mais l'homme reste pour Genève une figure tutélaire. Une icône. Un totem.
Si ces personnages se retrouvent sur l'estrade, c'est pour présenter un bébé tardif. Le livre devait paraître pour les 40 ans du Centre. C'était il y a trois ans. Notez que la tranche de ce gros livre toilé gris perle (1) a l'honnêté d'avoir relevé le compteur jusqu'au bout. C'est «Centre d'Art contemporain Genève 1974-2017». Il a fallu du temps pour sa confection, qui reprend tous les clichés typographiques et graphiques à la mode. L'ouvrage entend ne rien oublier, ni surtout personne. «Je ne vois pas Katya García-Antón, sans doute n'est-elle pas invitée», murmure perfidement ma voisine, sachant que la directrice a fini en délicatesse avec le CAC. Eh non! Katya dispose de la même place que le autres dans le bouquin, où elle se voit longuement interrogée par Andrea Bellini.
Compagnons de route
Dans la salle, tout le monde est prêt à écouter les laïus. Se retrouvent là les compagnons de route, ou ceux qui ont suivi un chemin parallèle. Je remarque aussi bien Pierre Mirabaud, banquier et mécène, que des anciens du Mamco voisin, avec lequel le CAC n'a pourtant pas souvent vécu en bonne intelligence. Il y a les aficionados de la première heure du contemporain. Aujourd'hui trésorière du conseil de fondation, Renate Cornu s'est longtemps occupée d'Halle Sud en l'Ile. Certains journalistes ont aussi répondu présent, même si je ne remarque ni Samuel Schellenberg du «Courrier», ni Laurence Chauvy du «Temps» cités à longueur de pages. Il y a enfin ceux qui s'apprêtent à rejoindre la «Christmas Party», une tradition très «arty» du Centre.
Les discours ont commencé. Adelina lit hélas le sien, ce qui lui enlève toute spontanéité. Elle en a, pourtant, des choses à dire! Sans cette étudiante de 23 ans à l'époque, qui y allait au culot après avoir eu la révélation à une Documenta de Kassel, il n'y aurait eu aucune exposition au Rath en 1974. Ni l'installation par la suite dans divers lieux que la dame investissait à tous les sens du terme. C'était une autre époque, rappelle Adelina, qui gère aujourd'hui «Art for the World». Les artistes demeuraient accessibles. Le milieu international de l'art contemporain ressemblait à une tête d'épingle. Un contact personnel en amenait un autre. Même Warhol est venu. Les œuvres ne valaient presque rien. D'ailleurs personne ne les achetait.
Itinérant par force
Dommage pour les investisseurs! Tout ce qui compte aujourd'hui a passé par la Salle Patino, puis la rue Plantamour, la rue d'Italie, l'ancien Palais des Expositions et enfin le Palais Wilson. Le Centre restait itinérant par force. Un congé rue d'Italie. La grêle au Palais des expositions. Le feu au Palais Wilson. La liste des invités semble d'autant plus impressionnante qu'Adelina les a saisi à l'aube de leur carrière, quand ils acceptaient encore de dormir sur le canapé du salon. Vous voulez des noms? En voilà! Laurie Anderson, Daniel Buren, Sol LeWitt, Daniel Libeskind, Francesco Clemente, General Idea, Rebecca Horn... Une photo historique (la plupart de celles du livre sont signées par Egon von Furstenberg, fils de Gloria Guiness et mari d'Adelina) montre d'ailleurs ensemble dans l'album Giulio Paolini, Alighiero Boietti, Luciano Fabro, Enrico Castellani et Michelangelo Pistoletto. Les accointances italiennes de la directrice. Difficile de faire plus chic!
Aujourd'hui à Istanbul après avoir dirigé le MAXXI à Rome, Paolo Colombo a logiquement pris la relève. Adelina l'a exposé quand il restait artiste. Le commissaire a pris sa place, avec son appui, au moment où il avait bassé de l'autre côté de la barrière. C'est, comme l'intéressé l'explique, le moment où le Centre s'est professionnalisé. Il passait du réseau amical à l'organisation stable et (un peu) subventionnée. Paolo s'est installé en premier à l'ex-Société d'Instrument Physiques, destinée à devenir un lieu d'art contemporain. Le maire de la Ville René Emmenegger lui avait donné les clefs. C'est lui qui a pu choisir le premier, s'octroyant ce qu'il jugeait le meilleur emplacement. Sur la rue des Bains. Dans de grandes salles très hautes, aux planchers en billes de bois. Adelina avait alors émigré au Magasin de Grenoble, où son passage devait faire des dégâts financiers.
La fin du jeunisme
Andrea Bellini, qui a défini ses objectifs en préface (il n'allait tout de même pas s'interviewer lui-même!) tend ensuite dans le livre le micro à Katya García Antón, qui venait d'Espagne. Ses réponses sont longues. Intellectuelles. Un brin barbantes. La directrice a voulu populariser le Centre. L'ouvrir sur la cité, comme on dit. Engager des partenariats. Avec elle, fini les anecdotes. Nous entrons dans une entreprise sérieuse qui n'avance pas pour autant sans problèmes. Le livre a beau avoir été taillé, raboté, poncé et laqué jusqu’à ce qu'il ne demeure plus aucune aspérité. Il y avait déjà eu une vacance entre Paolo et Katya. Après elle, ce seront les grands vacances. Plus d'un an avant d'enfin retomber sur des pieds avec Andrea Bellini, son carnet d'adresses, sa volonté de créer un Centre plus muséal (avec lui aucun jeunisme à tout prix!) et son sourire Colgate.
Tandis que la présentation se termine, je feuillette le livre. Il comporte un historique on ne peut plus complet. Analytique, en plus. François Bovier et Adeena May s'en sont chargé, exposition après exposition. C'est très bien fait, certes. Mais terriblement sérieux. Les deux auteurs ne jargonnent pas vraiment. Ils ont pourtant placé tous le mots faisant bien dans le paysage en 2017. Langage abstrait. Références. Ce pavé (il compte tout de même près de 500 pages) doit visiblement faire date. Le président du Conseil de Fondation Xavier Oberson parle dans son introduction d'un «espace de liberté» à propo du CAC. Il s'agit ici d'une liberté très contrôlée.
(1) Sur la toile grise sont frappés tous les noms des artistes exposés par le CAC depuis 1974. C'est joliment fait. On risquait pourtant là une impression de monument aux morts.
Pratique
«Centre d'art contemporain Genève, 1974-2017», édité par Andrea Bellini, 487 pages.
Photo (Egon von Furstenberg/Image tirée du livre): Le Centre d'art contemporain, qund il se trouvait à la rue d'Italie entre 1979 et 1982.
Prochaine chronique le jeudi 28 décembre. Paul Klee et la guerre de 1914 au Zentrum Paul Klee.
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GENÈVE/Un pavé pour raconter la vie du Centre d'art contemporain