Il y a des rendez-vous qu'il ne faut pas manquer. Il me semble ainsi bon, une fois par an, de dresser avec Jean Terrier le bilan archéologique d'un canton comme Genève. La chose permet d'échapper à l'événementiel, qui reste ici l'exception. Je citerai tout de même la découverte d'un pont médiéval, en partie fait de remplois de blocs romains. C'était à Carouge en 2012. Le travail de la petite équipe (11 personnes pour 8 postes à temps complet) s'attelle normalement à des recherches ponctuelles, ou alors à des travaux de longue haleine. Le château de Rouelbeau, avec qui je vais commencer en compagnie de Jean Terrier, est un chantier démarré en 2001.
Où en êtes-vous, au fait, avec Rouelbeau? - Nous avons accompli la dernière étape. Il s'agit d'un projet complexe puisqu'il comprenait, après les fouilles, la conservation d'un bâti se dégradant gravement, sa mise en valeur, sa restauration et la création à venir d'un parcours didactique. Ce chantier aura traversé toute ma carrière d'archéologue cantonal, poste auquel j'ai été nommé il y a dix-huit ans. C'est long... Il aura aussi connu bien des responsables politiques à la tête d'un département dont les contours se modifient souvent. J'aurai ainsi connu Laurent Moutinot, Robert Cramer, Mark Müller ou François Longchamp, avant que dépendre d'Antonio Hodgers. Il a fallu chaque fois recréer un dialogue.
Trêve de politique, maintenant. Avant d'en dire plus sur l'avenir du château, pourriez-vous nous résumer son histoire? - Il a été construit en très peu de temps, au début du XIVe siècle. Le sire de Faucigny désirait protéger Hermance. Ce que nous avons retrouvé, ce sont les traces du premier bâtiment, celui de 1318, élevé sur une butte artificielle. Il était en bois. Ce que nous avons mis au jour, ce sont les empreintes des pieux laissées dans le sol. Le château en négatif, d'une certaine manière. Dès 1355 a été élevé un autre édifice, en pierre cette fois. Il est venu entourer le premier à la manière d'une boîte protectrice. La partie en bois a ensuite été démolie.
On n'en voyait donc plus rien, tandis que les ruines des murs, pourtant classées dès 1921, se détérioraient lentement. - Pas si lentement que ça... Il menaçait donc de disparaître, alors qu'il s'agit du premier objet que les Genevois ont décidé de mettre à leur inventaire des monuments historiques. Il a fallu un gros chantier pour consolider le château maçonné. Il est maintenant en ordre. Nous ne pouvions pas laisser telles quelles les traces de l'ancienne partie en bois. Il y a eu remblayage. Elles se retrouvent sous couverture. Le souvenir que nous en gardons sera pérennisé par un relief réalisé d'après notre documentation. Coulé en bronze à Cortaillod, il fera partie du parcours didactique à venir.
C'est à dire... - Le bureau d'architecte de Charles Pictet a été mandaté, comme la société française On Situ, pour réaliser un cheminement comprenant le château, les douves que nous avons reconstituées et les environs immédiats. L'idée est de créer un site à la fois culturel et environnemental, lié à la «renaturalisation» de La Seymaz. L'inauguration est prévue par trois journées, les 3, 4 et 5 septembre. Il a bien sûr fallu trouver un mécène, puisque la Confédération n'entend pas participer à la mise en valeur. Je dirai qu'une fondation ne voulant pas se voir nommée a tout pris en charge.
Quelle impression cela fait-il d'arriver enfin à bout touchant? - Je suis vraiment heureux. Et soulagé. Au départ, tout le monde me disait qu'on n'y arriverait pas. Trop tard. Trop mauvais état.
Votre autre grand chantier reste Saint-Antoine. - En 2015, nous avons presque achevé les excavations. Il ne s'agissait plus d'opérer des découvertes, comme en 2012, 2013 et 2014. On parle d'ailleurs bien de «fouilles de vérification». Nous avons aussi protégé des vestiges qui, rappelons-le, couvrent toute l'histoire genevoise, des Allobroges à la destruction des fortifications au milieu du XIXe siècle. Le terrain est sain. La chose n'a pas posé de problèmes. Nous avons en quelque sorte emmitouflé la butte. Ici, l'affaire en arrive à la préparation du concours d'architecture, afin de réaliser une autre mise en valeur. C'est une première étape avant bien d'autres. Nous sommes à Genève...
Saint-Antoine est proche du parking, où d'autres vestiges ont été maintenus, comme du Musée d'art et d'histoire. - Il semble clair qu'un rapprochement aurait son sens. Nous aurions d'une part des traces historiques in situ, de l'autre des collections archéologiques régionales. L'ensemble permettrait un véritable discours. Pour cela, il faut une bonne intelligence entre la Ville et l'Etat.
Qu'est-ce qui a par ailleurs débuté en 2015? - Qu'avons-nous fait démarrer? Je vais vous parler du Grand-Saconnex. Il y a un projet avec échangeur routier et lien avec l'autoroute, en partie souterrain. Nous avons pratiqué des sondages. Un menhir a été trouvé. Oh, un petit menhir... Les habituels fragments de céramique. Des silex. Il n'y a rien là de spectaculaire, mais l'Université a été mandatée pou ouvrir un chantier. Les travaux continueront donc, avec l'argent de l'Office fédéral des routes. On n'ouvrira bien sûr pas tout!
Et autrement? - Une jolie découverte à Cartigny, où l'on n'avait jamais rien trouvé de gallo-romain. Cartigny, c'était plutôt burgonde ou carolingien. Il y avait un projet de villa. En creusant, nous avons déterré une série d'urnes funéraires, qu'a étudiées notre spécialiste Marc-André Haldimann. Une douzaine en tout, remontant à la fin du Ier siècle avant Jésus-Christ. Il y avait là les os brûlés avec leurs parures. C'est modeste, mais ancien pour la région. Je citerai aussi Compesières. Le retour. Nous avions naguère étudié le sous-sol de l'église. Avec un projet de construction, nous examinons maintenant les vestiges d'un établissement médiéval lié aux Hospitaliers de Jérusalem de la Commanderie. Bernex, maintenant. Nous reprenons une fouille des années 1970. Daniel Paunier avait exhumé les dépendances d'un poste romain. La «pars rustica». Nous y sommes parce qu'on pense y construire. Ce n'est cependant pas de la fouilles d'urgence. Elle a été programmée.
Et en ville? - La cathédrale, c'est fini. Saint-Gervais aussi, même s'il nous reste encore là à publier. Une campagne de fouilles n'existe vraiment que lorsqu'elle a donné lieu à un livre. Béatrice Privati planche sur le sujet, qui se révèle énorme. Publier, c'est une carte de visite. Il s'agit aussi du véritable moyen de diffuser la connaissance. Il faudra aussi le faire pour la villa romaine du parc de La Grange. Le drame, c'est que ces énormes mises au net prennent un temps infini, et qu'elles arrivent par conséquent toujours en retard. Je ne les verrai du reste pas toutes paraître sous ma direction. Il me reste cinq ans, puisque j'en ai aujourd'hui 60. Il faudrait déjà penser à l'après-Terrier.
Photo (Keystone): Jean Terrier au micro. Il ne suffit pas de creuser. Il faut aussi diffuser et populariser la connaissance.
Prochaine chronique le 6 mai. Archéologie toujours. Leyden, qui possède de très importantes collections égyptologiques, les montre à Bologne.
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GENÈVE/L'année archéologique 2015 du canton, avec Jean Terrier