«La chromophobie se manifeste dans les tentatives nombreuses et variées d'éliminer la couleur dans la culture, de dévaluer la couleur, de diminuer son importance, de nier sa complexité.» Cette phrase de David Batchelor coiffe l'exposition actuelle de la galerie Gagosian genevoise, intitulée comme de juste «Chromophobia».
On pourrait penser que cette définition, due à un artiste anglais de 59 ans, s'applique à la seule création contemporaine. Il n'en est bien sûr rien. Des arts comme la gravure ou le dessin se révèlent en majorité chromophobiques (osons l'adjectif!). La photographie en noir et blanc l'est résolument, puisque le 8 e art utilise aujourd'hui essentiellement la couleur, au risque assumé de faire «chromo». Quant à la peinture, elle s'est parfois contentée de grisailles. Pensez aux volets extérieurs des retables du XVe siècle, aux scènes de marine hollandaises réalisées à la manière d'estampes ou à certaines esquisses rococo (1).
Minimalisme et abstraction
Il n'y a bien sûr rien de tout ça dans la galerie, qui occupe à Longemalle un appartement de poche, dont le corridor n'est pas plus grand que le vôtre ou le mien. L'absence de rouge, de bleu ou de jaune (il y en effet un peu de vert foncé sur une sculpture de Davide Balula) se combine ici avec des minimalismes en tous genre. Aucune figuration donc, même si Gerhard Richter a récemment donné de nombreuses peintures dans les gris. Aucune abstraction lyrique non plus. Un purisme les remplace, flirtant parfois avec le vide. Il y a ainsi un Olivier Mosset tout en hauteur de 2010 qui se distingue assez mal de son mur porteur. Le tableau reste tout blanc.
Peu de pièces bien sûr se voient présentés. Si l'art contemporain demeure fortement minimal, ses dimensions tendent à devenir maximales. Avec ses deux mètres sur deux, le beau dessin de Richard Serra semble presque petit pour le sculpteur américain. Il a pourtant fallu couvrir une assez longue période de production. Il reste en effet difficile de parler de chromophobie sans commencer avec un «Achrome» de Piero Manzoni. L'Italien est mort à 29 ans, en 1963. La pièce ici proposée date donc de 1958. Décédé en 1965, David Smith méritait aussi un détour. Le sculpteur états-unien se voit représenté par une oeuvre sur papier de 1955.
Le fil de décennies
Sur ces bases solides, il devenait facile de construire. L'italienne Dadamaino et le Bernois Olivier Mosset (qui ressemble aujourd'hui au Moïse de Michel-Ange, version motard, vu sa grande barbe blanche) rappellent en compagnie de Robert Ryman les années 70. Christopher Wool renvoie à la décennie suivante. Avec Rachel Whiteread, dont la galerie propose un objet métallique évoquant pour le profane un vase à fleurs, le millénaire nouveau se voit franchi. Il n'y a plus qu'à compléter avec ce qui se fait aujourd'hui, d'Alain Charlton à Sterling Ruby. C'est un peu la même chose, en fait. Le minimalisme décoloré a forcément tendance à se ressembler.
Qu'on apprécie ou non cette forme d'art, dont l'apparente pauvreté s'adresse en réalité à une clientèle très riche, l'exposition se révèle réussie. Ma préférence personnelle irait à deux petits dessins de Steven Parrino, mais tout demeure affaire de goût. Précisons que c'est sans doute la dernière fois que Gagosian Genève présente un accrochage en appartement. Au rez-de-chaussée, les travaux avancent. Le le local devrait être prêt au printemps. La multinationale aura alors pignon sur rue. La chose atténuera sans doute les timidités. Pour l'instant, il faut sonner à l'extérieur. On vous ouvre. Personne vous demande de montrer patte blanche (même si le blanc est achrome). Les gens de la succursale genevoise sont très gentils. Ils ne demandent à fait qu'à recevoir de la visite.
(1) L'historien Michel Pastoureau, auteur notamment de «Noir», explique cependant que le blanc et le noir étaient jadis considérés comme des couleurs. Les Anciens ne percevaient en en revanche pas le vert comme tel.
Pratique
«Chromophobia», galerie Gagosian, 19, place Longemalle, Genève, jusqu'au 27 mars. Tél. 022 319 36 19, site www.gagosian.com Ouvert du lundi au vendredi de 11h à 19h. Photo (Catherine Fiaux): Olivier Mosset dans les années 1970, alors qu'il peignait quelque 200 cibles avec un petit cercle noir dans un grand tableau blanc.
Prochaine chronique le dimanche 1er mars. Un livre très pessimiste parle de la situation actuelle des conservateurs de musée .
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GENÈVE/Gagosian fuit la couleur: "Chromophobia"