Federica Tamarozzi installe "La fabrique des contes" au MEG
Le musée genevois se penche cette fois sur l'Europe. Huit histoires se voient racontées. Le genre, lui, se fait décortiquer. A quoi servent au fait les contes?

L'un des contes, illustrés par le photographe du MEG Jonathan Watts.
Crédits: MEG, Genève 2019Il était une fois... Deux fois. Trois.
Huit fois même. Depuis aujourd'hui 17 mai, le MEG (ou musée
d'ethnographie de Genève) nous plonge dans «La fabrique des
contes», avec comme cheville ouvrière Federica Tamarozzi. La
responsable du Département Europe de l'institution propose une sorte
de labyrinthe dans le sous-sol du boulevard Carl-Vogt. Il y a un
envers et un endroit, la scène et ses coulisses, le côté pile et
le côté face. Le visiteur se retrouve d'une part plongé dans huit
univers féeriques et de l'autre dans leurs arcanes. C'est vrai, au
fait! Comment décrire un conte? Que nous dit-il? Que nous cache-t-il
aussi, que nous soyons enfants ou adultes?
Federica Tamarozzi, les présentations
d'abord.
Je suis Italienne, avec des origines
mêlant les Pouilles et l'Emilie-Romagne. Je suis arrivée au MEG en
2012, alors que le musée s'apprêtait à rouvrir dans ses nouveaux
locaux. Je m'occupe de l'Europe. «La fabrique des contes» est ma
première grande exposition à Genève.
On a de la peine à concevoir l'Europe
comme un produit ethnographique.
C'est bien là le problème! Par
rapport aux autres continents, elle semble moins exotique. Le public
pense qu'il trouvera ici moins de surprises et de sujets
d'étonnement. Or le MEG possède une collection européenne. La plus
forte en nombre par rapports aux autres. Elle compte environ 30 000
pièces. Il suffit de rappeler l'achat des milliers d'objets récoltés
par le Genevois Georges Amoudruz dans le bassin alpin. Un
extraordinaire ensemble, acquis par la Ville. Il possède à la fois
une portée régionale et internationale. Mais cette notion reste mal
perçue de l'extérieur. En temps qu'Européens nous sommes à la
fois trop bien et pas assez bien pour faire partie du MEG.
Pourquoi une exposition européenne
maintenant?
Le musée avait à sa réouverture en
2014 le projet de montrer successivement les cinq continents.
L'Europe se trouvait une fois de plus en fin de liste. Il fallait
pour elle un projet fédérateur, couvrant une quantité de pays
différents. Mais lequel? Quel pouvait être le concept à la mesure
de cette mosaïque? C'est ainsi qu'est né un sujet portant sur le
conte. Il en existe dans le monde entier, mais le genre a pris chez nous
une tournure particulière. Une identité double, finalement. Il
s'agit d'une part de balivernes pour les enfants et de l'autre
d'éléments d'une identité profonde. Une identité en péril...
Jusque dans les années 1950, les gens simples connaissaient jusqu'à
cent contes, dans des formes souvent très différentes. Aujourd'hui,
c'est presque un signe de grande culture que de pouvoir en citer
vingt. Ils sont en général issus des frères Grimm ou de Charles
Perrault.

Quelle est au fait la différence en la
matière entre conte savant et conte populaire?
Il n'y a pas de cas bien tranchés. Une
fois écrits, mis en forme, rendus littéraires, des contes
populaires peuvent devenir savants. Le procédé a commencé tôt,
dans l'Italie de la Renaissance. Il y a alors eu les premières
collectes, avec une intention de publication. Dans l'autre sens, des
récits littéraires, comme «La Jérusalem délivrée» du Tasse ou
le «Roland furieux» de l'Arioste, ont donné naissance à des
récits imagés que jouent encore les théâtres de marionnettes
siciliens. Vous avez aussi des textes se situant à la limite des catégories. «Pinocchio», «La Belle et la Bête», «Ondine» sont à
la base des créations d'écrivains. Leur succès durable en a fait
des sortes de contes.
Comment les choses se sont-elles
passées pour vous sur le plan pratique?
J'ai commencé par beaucoup lire. Je
l'ai fait à partir de septembre 2016, quand le projet s'est vu
avalisé. Il y avait dès lors un délai. Il fallait être prêts
pour le printemps 2019. La première chose à faire était de
sélectionner. Je suis finalement arrivée à sept contes, parce
qu'il s'agit là d'un chiffre magique. Pensez à «Blanche-neige et
les sept nains». Je voulais que les histoires soient aussi diverses
que possible, peu connues du public suisse et attestées sous
plusieurs formes dans plusieurs pays. Philippe Mathez, qui dirige les
projets du MEG, m'a alors suggéré d'ajouter un récit érotique, ce
que j'ai fait. Avec cela, nous disposions d'une base. Il fallait voir
après la manière dont nous pouvions raconter chaque conte en
utilisant des objets européens appartenant au MEG. L'idée est en
effet ici, comme pour le bouddhisme japonais et les religions
africaines, d'utiliser notre fonds et de révéler au public des
pièces qu'il n'a jamais vues, ou plus contemplées depuis longtemps. Il y a
au final des emprunts, bien sûr, mais finalement très peu.
Vous avez en revanche passé commande à des illustrateurs.
C'est logique. Il y a dans le conte à
l'européenne trois éléments constitutifs. Le premier, c'est bien
sûr la parole. Un conte se raconte. Est ensuite très vite venu le
livre. Celui-ci comporte depuis longtemps des images. Il y en a
déjà pour les ouvrages de Charles Perrault, dont la Fondation
Bodmer nous prête gentiment des éditions originales du XVIIe
siècle. Nous avons donc demandé à quatre artistes contemporains de
s'occuper chacun de deux contes. Leurs styles se révèlent très
différents. Camille Garoche a conçu des boîtes, avec plusieurs
niveaux de papiers découpés. Lorenzo Mattotti a donné de grands
dessins, où domine le noir. Jean-Philippe Kalonji a conçu des
œuvres aux tonalités d'aquarelle. Carll Cneut propose des planches
très picturales. A eux quatre, ils offrent un support à
l'imaginaire du public. Dans les coulisses, où nous déconstruisons
les contes, il n'y a en revanche aucune place pour ce type d'images.
Nous sommes dans le document. Il s'agit d'expliquer comment
fonctionne ce type de fictions. Nous tentons de donner des clefs.

Il fallait pour cela un décorateur.
Nous avons mis ce poste au concours,
comme le veut le règlement, alors que les illustrateurs
constituaient pour nous des choix. Il s'agissait d'une compétition
sur invitation. Cinq cabinets suisses nous ont proposé une
scénographie. Celle de Tristan Kobler correspondait le mieux à nos
envies. Sa proposition tenait compte de la diversité des contes, en
nous plongeant dans huit univers différents. Il y avait un peu
d'humour. En plus, nous avons beaucoup aimé la manière dont il
imaginait des coulisses. Nous sommes comme derrière les portants
d'un décor de théâtre.
Quel est le but final de «La fabrique
des contes»?
D'abord, naturellement, de faire
redécouvrir des récits oubliés. Mais il s'agit aussi de montrer
comment ces fictions peuvent se voir instrumentalisées par les
politiques, les éducateurs ou même les scientifiques. Est ainsi né
le mythe d'un conte issu d'un génie national, alors qu'il s'agit le
plus souvent d'une histoire existant sous différentes formes un peu
partout. Nous ne tirons cependant pas de conclusions. A la sortie, le
visiteur devrait logiquement disposer d'une boîte à outils.

Que sont pour vous les conteurs
actuels? Il en existe beaucoup à Genève...
Les conteurs genevois exercent un
métier qui s'est créé en Amérique dès les années 1950. Ce sont
des professionnels des arts de la scène. Ils proposent une sorte de
«one man show». Chacun d'eux se bâtit une identité en se basant
sur une tradition. D'où des ambiguïtés. Le conteur s'approprie un
patrimoine, s'invente une profession et change la relation que nous
avons au conte. Pour plaire à certains publics, il a souvent
tendance à édulcorer. Disparaît ainsi ce que le récit peut offrir
d'inquiétant ou de rugueux. Apparaît à la place une morale. Cela
dit, nous avons bien sûr prévu des conteurs pour les animations qui
entoureront «La fabrique des contes».
J'ai oublié de vous le demander,
Federica Taramozzi. Combien y a-t-il d'objets présentés au MEG à
l'occasion de votre exposition?
Si je compte tout, 453. Plus les livres
de la Fondation Bodmer, choisis par Nicolas Ducimetière. Celui-ci
m'a d'ailleurs révélé que Martin Bodmer s'intéressait beaucoup au
conte. La chose explique qu'il les ait beaucoup collectionné pour sa
bibliothèque idéale.
Vous parlez enfin, avec les huit récits
mis en scène, de «théâtre de l'imaginaire». Certaines personnes
ne seraient-elles pas dotées de davantage de fantaisie que d'autres?
Sans aucun doute. Mais l'imaginaire,
c'est comme l'intelligence. Ça se travaille!
Pratique
«La fabrique des contes», MEG, 65, boulevard Carl-Vogt, Genève, jusqu'au 5 janvier 2010. Tél. 022 418 45 50, site www.meg-geneve.ch Ouvert du mardi au dimanche de 11h à 18h. Catalogue édité par La Joie de lire.
