On parle beaucoup de restitutionsdepuis quelques mois. Ce sera l'un des grands thèmes de 2019. Voirede 2020, ou même de 2025. Jusqu'ici, les revendications n'ont étévues que d'un point de vue national, pour ne pas dire nationaliste.Les œuvres devraient revenir à leur point départ. Une visioncontredisant le côté universel de l'art naguère promu parl'Unesco, même si certains pays ont été pour le moins dépouillés,par la force puis par le commerce.
Il y a cependant une chose à laquellenul ne pense. Ce sont les créations démembrées. Quand la Grèce apour la première fois revendiqué officiellement en 1983 la partie des sculptures duParthénon se trouvant au British Museum depuis 1817, elle a surtoutinsisté sur la perte pour le pays d'une partie de son héritage. Leplus raisonnable eut alors été de plaider une réunification. Leproblème le plus grave ne me semble pas que ces sculptures du Vesiècle avant Jésus-Christ demeurent loin du nouveau Musée del'Acropole, inauguré en 2009. C'est à mon avis que personne ne puisse voir ce chef-d’œuvre dans son entier. Un bout de la frise, sauferreur jamais réclamé, se trouve en plus au Louvre...
Polyptyques coupés en morceaux
Quantité d’ensembles ont ainsi étédépecés au cours du temps. Passant de mains en mains, les fragmentsont fini dans des institutions différentes. C'est exceptionnellementque des réunions se voient organisées. Et encore, pour quelquesmois à peine. Berlin a ainsi pu montrer pour la première foisdepuis des siècles le diptyque d'Etienne Chevalier, peint par JeanFouquet au milieu du XVe siècle. Ce sommet de la peinture françaisese trouve pour moité à Berlin, l'autre partie étant ordinairementaccrochée à Anvers. Chacun tient bien sûr bec et ongles à sonmorceau. Conçue comme un tout se répondant, l’œuvre n'existedésormais que sous forme de deux tableaux indépendants. Il a ducoup perdu une bonne partie des son sens.
L'Italie a subi d'énormes dommagespour cause de ventilations. La chose vaut surtout pour lespolyptyques des XIVe et XVe siècles. Les dégâts ont commencé trèsvite. Démodés, ces retables ont souvent passé dès le XVIe sièclede l'autel principal à une chapelle secondaire. D'où de premierscoups de scie. Puis, dès la fin du XVIIIe siècle, ces panneauxanciens se sont retrouvés dans le commerce, acquis au clergé par des antiquaires. Il était né un intérêtnouveau pour les «primitifs». Les marchands ont découpé ce qu'ilsont pu afin de vendre aux clients, souvent anglais, des bouts dece qui fut un jour un ensemble parfois énorme (1). L'idée de cedernier s'est perdue. Il aura fallu des générations d'experts pourreconstituer les puzzles à partir de photos. Reconstitutionvirtuelle. Sauf dans de très rares cas, les différents morceauxn'ont plus jamais été réunis pour de vrai.
Emiettement mondial
Là, le drame est bien pire qu'auParthénon ou d'autres groupes de sculptures antiques. Qui peut lireun retable quand un bout se trouve à New York, la prédelle diviséeentre Boston et Budapest et les pinacles dans une collection privéeitalienne, la partie centrale étant perdue? Personne. Je veux bienque certaines dispositions d'origine restent conjoncturelles, maistout de même! Je prends un exemple sûr. La récente exposition«Bellini-Mantegna» de la National Gallery londonienne proposait la«Crucifixion» du second. Elle se trouve en temps ordinaire auLouvre. Les petits panneaux allant à sa gauche et à sa droite sontà Tours. Les trois grands du dessus, en revanche, demeurent à SanZeno de Vérone. Une église à laquelle ils ont été rendus par laFrance après Waterloo en 1815. Il y a donc trois lieux pour uneseule entité. Avec un problème tout de même. Impossibled'approcher à Vérone du retable à moins de dix mètres, alors quecertains personnages peints par Mantegna mesurent à peine uncentimètre...
Que faire? Ne pourrait-on pas, saufpeut-être dans un cas aussi complexe que le Mantegna, réunir lesfrères séparés? Il faudrait sans doute éviter de parler derestitutions. Le mot fait mal. Il suppose qu'il y a un coupable, etque ce méchant (ou plutôt son descendant) doit offrir uneréparation. Mieux vaudrait lancer l'idée de collaboration. Evitersi possible de changer de propriétaire. La chose pose de grosproblèmes politiques et légaux. On pourrait imaginer des dépôts àlong terme. Ils ne vexent personne. Ces échanges transforment mêmeune vilaine affaire en acte positif. Pour en revenir àl'archéologie, le Louvre possède ainsi le corps d'une statuesumérienne dont New York a la tête, découverte lors d'autresfouilles. Tous le monde trouve très bien que la sculpture tout soitquelques années aux Etats-Unis, puis pour la même durée en France. Iln'y a pas eu besoin d'en faire une drame international, même sipersonne n'a il est vrai demandé ici l'avis de l'Irak.
Monet, Baselitz, Jasper Johns...
Souvent, les échanges pourraient enplus se révéler mutuels entre grandes institutions. Il faut justequ'il n'y ait pas de perdant. Il y aurait un progrès, quibénéficierait tant à l'histoire de l'art qu'au public. On ne peutbien sûr pas totalement revenir en arrière. Nous resterions dans leponctuel. Pour le reste, c'est trop tard. A la fin du XIXe siècle lepoliticien Georges Clemenceau déplorait l'éparpillement des«Cathédrale de Rouen» alors toutes neuves de son ami Claude Monet. Il y a aujourd'huides «Cathédrales» partout. Clemenceau a mieux réussi son coupavec les «Nymphéas», aujourd'hui à l'Orangerie. Plus récemment,François Pinault a acquis à la Biennale de Venise de 2015 une suitede huit toiles de Georg Baselitz. Tant mieux! Aucun problème derecomposition de la série, comme pour les «Saisons» de JasperJohns, appartenant à quatre collections différentes.
Il faudrait enfin éviter quel'émiettement continue. Est-il admissible que Christie's ouSotheby's cassent des ensembles, ou plus banalement divisent despaires. Le portrait de Monsieur, lot tant. Celui de madame, lotsuivant. Il s'agit là d'un acte irrévocable. Pensez, dans ledomaine de l'art islamique, au plus beau manuscrit du monde persan.Un «Livre des Rois» enluminé au XVIe siècle pour Shah Tahmasp. Cevolume énorme est resté entier jusqu'au début du XXe siècle,avant de se voir vendu page après page pour d'inavouables motifsfinanciers. L'ouvrage n'existera plus jamais en tant que tel, mêmesi les Iraniens actuels font tout pour en récupérer des éléments.C'est pire que pour ne statue africaine revendiquée. Après tout,cette dernière existe dans son entier quelque part, et aucun lieud'accueil n'est définitif.
(1) On parle d'une trentaine depanneaux pour le polyptyque livré par le peintre siennois Sassetta àBorgo San Sepolcro au XVe siècle. Il y en a en 2019 des fragmentsdans dix musées différents. On court encore après certainsmorceaux. Le Louvre en a fait en 1990 un sujet d'exposition.
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Faut-il restituer des oeuvres ou reconstituer en priorité des ensembles démembrés?
On parle toujours de pillages. Il y a un autre mal, qu'on évoque guère. Des ensembles picturaux ou archéologiques ont été divisés pour des raisons commerciales. Ne faudrait-il pas des rassemblements avec des prêts à long terme?