Arrivé au troisième étage du Mamco, le visiteur se trouve face à des gravats, sanglés contre le mur par Tatiana Prouvé. Ils cernent l'iconique (et donc inamovible) container de Gordon Matt Clark. Ce pourrait être un chantier. Il s'agirait alors d'un chantier fantomatique. L'artiste italienne parle de ses œuvres comme de "Ghosts". Des coussinets, des matelas, des cartons se retrouvent ainsi autour de pièces inexistantes. On pense, en plus abstrait, à "L'objet mystérieux" d'Alberto Giacometti, où une dame émaciée délimite de ses mains une chose évanouie.
Mais attention! Il ne s'agit pas dans le musée genevois des vrais reliefs demeurés de l'installation de statues absentes. Coussinets et matelas se sont vus moulés, puis édités en bronze. Idem pour les cartons, les vieilles chaussures et presque tout le reste. Avec Tatiana, c'est le règne du copié-coulé. L'Italienne reproduit à l'identique pour utiliser dans ses installations. Le reste est fait de vide. D'air libre. Le bronze n'offre pas ici l'effet unificateur qu'il avait, par exemple, avec les statues faites au départ de bric et de broc par Pablo Picasso.
Un univers plutôt froid
Avec ses installations, qui complète au deuxième étage une étonnante galerie de grands dessins (mâtinés de collages), où l'artiste représente des espaces déshumanisés, le Mamco réussit brillamment sa saison d'été. Dérouté au départ, le visiteur trouve vite la cohérence d'un univers plutôt froid. Il faut dire que Tatiana, qui a vécu en Hollande après avoir passé à Nice par la Villa Arson de Christian Bernard, s'exprime aussi en "Polders". Et que tout cela part d'un BAI, ou Bureau d'Activités implicites. Son art garde forcément un aspect cérébral. Mais c'est du cérébral commercialisable. Le galeriste Emmanuel Perrotin représente cette femme de 46 ans en France. Elle se voit véhiculée dans le reste du monde par Gagosian, qui propose en ce moment quelques pièces d'elle à Genève. Un de ses principaux acheteurs s'appelle François Pinault.
Le plus simple, pour en parler, est de le faire avec Christian Bernard. Il la connaît depuis plus de vingt ans. C'est lui qui l'a voulue pour le Mamco genevois, où son exposition monographique succède à celles de John Armleder, Sylvie Fleury, Franz Erhard Walther ou Sarkis. Sur deux niveaux seulement, cette fois. Il est cependant permis de penser qu'une telle surface suffit. Aucun risque de redondance. C'est tout de même grand, quatre étages!
Christian Bernard: "C'est une artiste cultivée qui sait ne ressembler à personne"
Le moins qu'on puisse dire, Christian Bernard, est que vous connaissez Tatiana Trouvé depuis longtemps. - Près de trente ans! J'accompagne son travail. J'accomplis ici un devoir de fidélité. Le Mamco avait déjà montré l'artiste en 2004. Il y avait alors les maquettes du Bureau des Activités implicites, qu'elle a imaginé en 1997, plus quelques modules, dans deux salles du second étage. Ces maquettes forment le socle de son travail. Il fallait rendre compte de la suite.
Vous avez donc prévu d'en faire la grande exposition monographique de 2014. - Nous avons régulièrement confié le musée à une seule personne. Je trouvais bon d'en donner les clés à une artiste plus jeune. Une femme, en plus. Tatiana a donc envisagé une occupation globale durant des mois. Elle travaille en effet les espaces envisagés comme des œuvres. Tout se voit remis en jeu dans le lieu qu'elle s'approprie. Notre budget n'a pas permis d'aller jusqu'au bout. Elle n'a eu que deux étages à disposition, ce qui l'a obligée à tout repenser. A adapter. Tatiana avait tout de même pour elle deux mille mètres carrés.
Tatiana Trouvé est Italienne. Elle a passé son enfance en Afrique. Elle a fait ses études sous votre direction à Nice, puis elle a vécu aux Pays-Bas... - Comme tous les artistes, elle voyage. Elle se trouve aujourd'hui partout où elle est invitée. Ces étapes lui ont permis de construire, pallier par pallier, une création riche et complexe, d'accès plutôt difficile. Il y en fait plusieurs aspects chez elle, ce qui lui permet de ne pas se répéter. Il s'agit en plus d'une femme cultivée. Elle a vu beaucoup de choses. Mais elle a su les assimiler. Tatiana ne cite personne. Elle n'évoque donc personne, même si un homme comme Alighiero Boetti l'a beaucoup impressionnée.
Tout commence au troisième étage par des gravats. - L'espace est confié à un plasticien. Il peut donc le remodeler à sa guise. Tatiana a ouvert les espaces. Il restait du coup des débris de murs. Elle a recyclés. Certaines parois subsistantes ont accueilli ces restes, sanglés par des cordes qui le traversent de part en part. Le plateau normalement destiné aux sculptures accueille, lui, les dessins. Ils se retrouvent installés sur un dispositif métallique très sculptural. Il s'agit là d'une utilisation intelligente, mais réversible, d'un lieu bien connu des visiteurs. Il était bon de donner à ces grandes feuilles une place centrale. Elles constituent la matrice de l’œuvre.
Tatiana procède par série. - Absolument! Mais toutes n'existent pas, ou du moins pas encore. Il y a ainsi des "Indéfinis", isolés, qui restent comme orphelins. Il existe aussi des listes, établies depuis longtemps. Ce sont des séries possibles. Tatiana vit sans notion d'extérieur. Ses créations actuelles portent en germe des choses à venir. Il n'y a pas de temps mort. Tout peut se voir réutilisé. Elle a ainsi travaillé dans le musée pendant quinze jours, créant de nouvelles pièces, dont une immense installation blanche, qu'elle nous a d'ailleurs donnée. Le Mamco était devenu son atelier.
Il y a chez elle un côté très architectural. - Oui, mais elle se permet de changer les échelles, comme dans "Les voyages de Gulliver". Sa mise en scène est ici architecturale. Son accrochage pour les dessins aussi. Sa production sur papier constitue elle-même une architecture en deux dimensions.
Vous avez parlé tout à l'heure de restrictions budgétaires. - Disons plutôt que nos moyens restent les mêmes, alors que le coût des expositions tend à exploser en raison des transports ou des assurances. L'augmentation se situe pour moi à 25 pour-cent en peu de temps. Il faut faire avec, d'autant plus que nos tours de table pour chercher de l'argent deviennent plus difficile en raison de la crise, aujourd'hui bancaire à Genève. J'ai donc maintenu la reconstitution de l'exposition historique de Philippe Thomas au quatrième étage. Elle nous permet en plus de montrer de très belles pièces.
Les autres salles restants sont vouées à la collection. Où en arrive-t-elle, alors que le musée fêtera cet automne ses vingt ans d'existence active? - Là, tout va bien Nous possédons aujourd'hui 3000 pièces. Pour certains plasticiens, nous disposons de fonds très complets. Ils nous rendent incontournables. Il y a bien sûr eu de bonnes et de moins bonnes années. Mais je dois dire que les acquisitions, par dons, avec nos rapports avec les artistes et grâce aux achats, se sont multipliés depuis 2009. Ici aussi, il faut se montrer prudents. Je pensais naguère que je pouvais dépenser 600.000 francs par an avec un budget de 100.000, en tirant aux sonnettes. C'est nettement plus difficile en 2014. Parmi les dernières acquisitions montrées cette fois, je citerai les neuf vastes compositions de Pascal Pinaud. J'avais acheté une pièce de Marion Baruch. Elle nous a offert le reste de l'exposition organisée ici, fin 2013. Il faut aussi voir là les fruits de la fidélité.
Pratique
"Tatiana Trouvé, The Longest Echo", Mamco, 10, rue des Vieux-Grenadiers, Genève, jusqu'au 21 septembre. Tél. 022 320 61 22, site www.mamco.ch Ouvert du mardi au vendredi de 12h à 18h, les samedis et dimanches de 11h à 18h. Signalons par ailleurs que l'artiste a une autre exposition jusqu'au 7 septembre au Musieon de Bolzano, site www.museion.it Photo (Mamco): Le plateau des sculptures, revu par Tatiana Trouvé pour montrer ses dessins.
Prochaine chronique le vendredi 11 juillet. Visite à l'Antikenmuseum de Bâle, qui propose "Roma eterna".
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EXPOSITION / Tatiana Trouvé réarchitecture le Mamco