En danger de mort aujourd'hui, vu lararéfaction des ventes s'y déroulant, l'Hôtel Drouot a longtempssemblé insubmersible. L'endroit a fonctionné sous le canon de la«Grosse Bertha» en 1918. Il n'a jamais fermé en Mai 68. Comme onpouvait s'y attendre, le rideau n'est pas tombé entre1940 et 1944. L'établissement (qu'un nouvel immeuble a remplacédans les années 1970) fonctionnait alors à plein régime, toutcomme la Galerie Charpentier, située en face d'un Elysée déserté.Charpentier est aujourd'hui occupé par Sotheby's France.
Reste que ce marché était véreux. Jedirais même vérolé. Il y avait quantité de vilains asticot dansles fruits proposés aux amateurs venus de plus en plus nombreux.Longtemps occulté (le monde du spectacle a été «outé» dès 1976par le film d'André Halimi «Chantons sous l'Occupation»), ce sujetpassionne aujourd'hui pour toutes sortes de raisons. Il y a lesbonnes. La justice des restitutions aux descendants des propriétaireslégitimes. Et les mauvaises. Le commerce juteux que font certainsavocats et les maisons d'enchères autour de la chose.
Des faits et encore des faits
Emmanuelle Polack a pris le sujet àbras le corps dans «Le marché de l'art sous l'Occupation,1940-1944», sorti sous forme de livre chez Taillandier et présentéen tant qu'exposition au Musée d'Art et d'histoire du judaïsme àParis. Il s'agit d'une spécialiste de la question. Dès 2009, lachercheuse a produit deux ouvrages sur Rose Valland, la femme quiavait eu l'intelligence de noter les arrivées d’œuvres spoliéespar les Allemands au Jeu de Paume dans des carnets, tenus secrets.Elle a donné plus tard un troisième livre avec Philippe Dagen, parailleurs son maître de thèse. Le monde est petit. C'est néanmoinsLaurence Bertrand Dorléac qui préface l'actuelle publication, enpartie financée grâce à la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.
L'ouvrage se veut sec. EmmanuellePolack travaille au scalpel. Des faits. Encore des faits. Pas decommentaire. Aucunes grandes phrases. L'historienne démonte ce quiest rapidement devenu un système. Tout n'est de loin pas spoliédans ce qui se vend de mieux en mieux, les cotes ayant étémultipliées par neuf en cinq ans. Il règne en fait un abominablemélange. Des marchands allemands (dont Hildebrand Gurlitt) font leurmarché en France. Certains travaillent pour le pharaonique muséeque le Führer veut installer à Linz. Il se tisse des liens parfoisétroits entre collaborateurs français et agents hitlériens. LaSuisse sert de plaque tournante. J'ai même repéré dans le texte leGenevois Aimé Martinet, non identifié («un certain Martinet»). Unfutur donateur de nos musées locaux. A la Libération, il y aura peu deremous contrairement à ce qui s'est passé dans les milieux ducinéma ou de l'édition. Bien des gens épinglés continueront àfaire carrière, alors que les œuvres volées sortent peu à peu del'ombre.
Un indispensable répertoire
Le livre comprend bien sûr un texte.Il vaut aussi par ses 85 pages de notes biographiques etbibliographiques. Un travail de bénédictin, ou plutôt debénédictine. Il y a ainsi, en bref, les vies de tous lesprotagonistes, avec l'indication de leurs réseaux. Elles permettentd'apprendre bien des choses n'ayant pas trouvé leur place dans lecorps central d'un ouvrage qui se révèle du coup indispensable.
Pratique
«Le marché de l'art sousl'Occupation, 1940-1944», d'Emmanuelle Polack, aux EditionsTaillandier, 303 pages. L'exposition dure jusqu'au 3 novembre auMusée d'art et d'histoire du judaïsme, 71, rue du Temple, Paris.Tél. 00331 44 42 38 77, site www.mahj.org.fr Ouvert du mardi au dimanche de 11h à 18h, jusqu'à 21h le mercredi.
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Exposition et livre. Emmanuelle Polack raconte "Le marché de l'art sous l'Occupation"
Entre 1940 et 1944, il s'est vendu un nombre d'oeuvres incroyable en France, dont beaucoup provenaient de spoliations à des familles juives. La chercheuse a creusé son sujet autant que possible.