Un profil extraordinaire, avec un nezen bec d'aigle. Guy Cogeval a toujours l'air de vouloir foncer sur saproie. Il a pourtant dû lâcher sa prise la plus exceptionnelle,après en avoir fait son nid durant dix ans. Guy Cogeval a quitté latête du Musée d'Orsay pour s'occuper d'un Centre d'études desNabis et du symbolisme restant pour l'instant foireux. A 65ans, l'homme n'est pas près de raccrocher, même si on en alongtemps parlé comme d'un grand malade. Malade physique s'entend.Cela dit, les sautes d'humeur de Guy ont parfois dépassé les mursde son institution pour faire jaser jusque dans la presse. Lesjournalistes ne sont pas tous de bons garçons et de gentillesfilles.
Cogeval publie aujourd'hui sesmémoires. Oh, il ne s'agit pas là d'un texte continu, écrit d'uneplume nostalgique ou acrimonieuse! Edité chez Skira, l'ouvrageconsiste en une suite d'entretiens, ce qui fait toujours très chic.Caroline Dubois lui a tendu le micro. Dire qu'elle lui a servi lasoupe semblerait en effet désobligeant. Il y a pourtant de cela. Lesquestions ne se font jamais insidieuses. Elle ne visent pas à unapprofondissement. Il s'agit juste pour la dame de relancer le débat, son interlocuteur ayant tendance à digresser, ce qui me semble d'ailleursbon signe. Ce sont les digressions qui font les bons livres desouvenirs.
De Lyon à Montréal
Le lecteur apprendra donc peu de chosessur les débuts de l'homme, qui a été au Musée des beaux-arts deLyon en 1987-1988, puis au Louvre de 1988 à 1992 avant de prendre ladirection du Musée des Monuments français à cette dernière date.Guy a en effet réussi un brillant examen de conservateur dans unpays adorant les bêtes à concours. Cela ne l'a pas empêché devite devenir un homme de musée atypique dans un milieu où on lesaime bien calibrés, un brin castrés, sans aucun poilqui dépasse. Il y a en effet chez lui du brio, et même du brillant.Une rare puissance de travail aussi. Il suffit de regarder la listede ses expositions ou de ses publications. De quoi donner le tournis.Comment produire tout ça?
Après un long passage à la tête duMusée des beaux-arts de Montréal (1998-2006), Guy a ainsi abouti àla tête d'Orsay, où il avait commencé sa carrière comme stagiaireresponsable du cinéma. Oh, tout ne s'est pas fait tout seul! Un telposte, comme la direction du Louvre ou de Pompidou,correspond un peu à celui d'un ambassadeur. Nicolas Sarkozy a finipar dire oui. François Hollande n'a par la suite pas dit non. GuyCogeval a donc pu continuer sur sa lancée, ce qui est un bien. Unremodelage comme il l'avait prévu ne se fait en seul coup debaguette, même magique. Il s'agissait non seulement de reprendre etde compléter les collections (plus de 5000 pièces acquises sous sonrègne) mais de toucher à l'architecture. Gae Aulenti n'avait pasbien réussi son coup au moment de l'ouverture en 1986. Cogevalaurait d'ailleurs volontiers démoli les deux tours néo-babyloniennesde la grande halle, si l'une d'elles ne supportait pas l'escaliermenant à ses nouvelles salles montrant les arts décoratifs de lafin du XIXe siècle.

Pour arriver à tant de modificationset d'achats, notre homme a dû se dépenser. Réussir des expositionsà succès, en misant parfois sur le scandale. On se souvient de«Masculin-masculin», de «Sade, Attaquer le soleil» ou de«Splendeurs et Misères, Images de la prostitution 1850-1910». Lemusée se serait-il prostitué lui aussi? Il est clair qu'il s'estfait de l'argent en livrant partout des expositions clef en main.Certains tableaux, comme «Le Fifre» de Manet, se sont du coup vusprêtés de nombreuses fois. Si les voyages forment la jeunesse pourles êtres humains, il n'en va pas de même pour les tableaux. Cogeval a aussi caressé dans le sens du poil les donateurspotentiels, comme le couple formé par Marlene et Spencer Hays. Notezque dans ce dernier cas, la chose aura payé. Six cent œuvres,essentiellement Nabi, ont fini en France. Orsay possède du coup tropde Bonnard et de Vuillard. Il serait à mon avis bon qu'il en fasseprofiter équitablement la province.
Bilan positif
Le bilan du flamboyant apparaît ducoup positif pour Orsay et l'Orangerie, qu'il sera parvenue àannexer en 2010 en lui donnant enfin une politique d'expositionsdigne de ce nom. Le plus notable sera cependant immatériel. Ce serale nouveau regard accordé à l'art du XIXe siècle dans saglobalité. En 1986, la direction avait un peu honte de montrer autrechose que ces impressionnistes aujourd'hui devenus un goût demémères. Bouguereau, Gérôme et des étrangers jusqu'ici inéditsen France ont maintenant trouvé droit de cité. Idem pour les créationssurchargées du Second Empire. «Je crois qu'il est fondamental de serendre compte de la place que la peinture académique occupe dans lescollections d'Orsay et plus généralement dans le XIXe siècle.»
Un dernier mot. Non illustré,l'ouvrage s'intitule «Mémoires d'un anti-héros». Moi je veuxbien. Il n'empêche que cet immense entretien où Guy Cogevaldit tout le bien qu'il pense de lui-même n'a rien d'un traité demodestie, ni d'un précis de marginalité. Bien au contraire. Celadit, maintenant que l'ex-directeur a passé la main, commentpourra-t-on définir la suite?. Laurence des Cars, qui ne ressemblepas précisément à Superwoman ou à Barbarella, pourra-t-elle un jour se définircomme une anti-héroïne? L'avenir nous le dira.
Pratique
«Mémoires d'un anti-héros», GuyGogeval, propos recueillis par Caroline Dubois, aux Editions Skira.142 pages.
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Ex Monsieur Orsay, Guy Cogeval se raconte dans les "Mémoires d'un anti-héros"
Il s'agit d'un livre d'entretiens, conduits par Caroline Dubois. L'ancien directeur raconte comment il a à la fois modifié l'architecture d'un musée, ses collections et le regard porté sur le XIXe siècle.