Comme diraient nos amis (mais sont-ils vraiment nos amis?) américains, l'exposition se révèle "sexuellement explicite". Pas besoin de bons yeux, en plus, pour voir. Dans la manifestation sottement intitulée à Paris "Au temps des geishas", les vulves féminines sont larges comme des avenues. Et que dire des sexes masculins? Ils feraient pâlir de jalousie les "hardeurs" que les amateurs de pornographie peuvent voir en action sur le Net, quand les enfants sont couchés.
La Pinacothèque de Paris, dirigée par Marc Restellini (qui a programmé en pendant "Kamâ-Sûtra"!), a du coup opté pour la prudence. A une époque où Zep effarouche les Français avec son "Zizi sexuel", le musée privé a décidé de fermer ses portes aux moins de dix-huit ans. Retour au bon vieux temps. Surtout pas de vagues, ce qui pourrait se produire ici. Après tout, l'ukiyo-e des estampes japonaise reste une "image du monde flottant". Je noterai cependant que l'exposition "Shunga" du British Museum, l'an dernier à Londres, restait en libre accès. Le "shunga" constitue pourtant la partie la plus audacieuse cet océan d'images coquines, produites dans l'archipel entre la fin du XVIIe siècle et le milieu du XIXe.
Regain pour un art oublié
Les quelques 250 pièces aux murs se révèlent admirables. La Pinacothèque de Paris, aux visées toujours commerciales, ne nous avait pas habitués à une telle splendeur. Les plus grands maîtres se voient représentés. Tous ont donné dans le "Shunga", qui constituait environ le cinquième de la production totale. Kitagawa Utamaro, bien sûr, le spécialistes des "belles femmes", presque toujours vénales. Mais aussi Katsushika Hokusai. Un Hokusai dont le Grand Palais propose aujourd'hui la seconde partie de la rétrospective. Une deuxième mi-temps tout aussi soigneusement châtrée, sans doute. Ces deux géants ne sont pas les seuls. La Pinacothèque offre aussi bien Utagawa Kunimaro que le grand Kensai Eisen.
Il est intéressant de voir le regain actuel pour l'estampe japonaise, qui fit le délices des amateurs occidentaux entre 1880 et 1930. Elle était alors synonyme d'un goût hédoniste distingué. Venise présente ses Hiroshige, alors collectionnés par Enrico di Borbone. Genève connaît une véritable saison. Après les feuilles du Musée Baur, c'est le premier des trois volets consacrés au genre par le Cabinet des arts graphiques. Sur un ton bien plus sage, il est vrai. Et il y a, comme je l'ai déjà dit, l'événement Hokusai au Grand Palais. Ce n'est pas tous les jours que la gravure se trouve à l'honneur dans ce temple du tiroir-caisse!
Un musée tessinois rené de ses cendres
Ce qui surprend cependant le plus le visiteur venu de Suisse, c'est la provenance de 200 des pièces montrées, sur 250. Elles arrivent en direct du Museo delle Culture de Lugano. Un musée à l'histoire longtemps malheureuse. Prévu dès 1985, inauguré en 1989, il occupe l'Heleneum, une splendide villa néo-grecque des bords du lac, côté Castagnola. L'ancienne Collection Thyssen se trouvait alors juste à côté. Suite au départ de cette dernière pour Madrid, l'institution, largement formée avec les collections données par le surréaliste Sergio Brignoni (1903-2002), a commencé à dangereusement tanguer. Elle a même bien failli disparaître. Il aura fallu une campagne de presse pour que la Municipalité se bouge enfin les fesses en 2004.
Le lieu s'appelait alors le Musée des cultures extra-européennes. Il s'est trouvé des gens pour juger qu'un tel nom devenait choquant. "Extra" sonnait comme un rejet. Il fallait souligner le côté fédérateur. Comme celui de Bâle quelques années plus tôt, le musée est donc devenu celui des Cultures. Il est permis de lever le yeux au Ciel devant tant de concessions au politiquement correct. N'empêche que la chose n'a pas apporté que de l'estime! La collection Brignoni restait avant tout axée autour des mondes africains et océaniens. L'Asie restait sous-représentée. Une grande partie des estampes aujourd'hui visibles à Paris ont ainsi été acquises ces huit dernières années.
Appui officiel
Du coup, l'ambassadeur de Suisse à Paris, comme par hasard un Tessinois depuis 2014, a présidé à l'ouverture. Bernadino Regazzoni semble avoir survécu aux scènes montrées, qui deviennent de plus en plus chaudes au fil des salles, le final étant formé par des visions nippones actuelles du "shunga". Le diplomate aura donc pu féliciter le travail de son compatriote Francesco Paolo Campione, directeur du musée et commissaire de l'exposition. Que le public soit, ou non, sensible aux pénétrations sous les kimonos, il s'agit là d'un ensemble prodigieux pour une collection formée en si peu de temps.
Pratique
"Au temps des geishas, Les chefs-d’œuvre interdits", Pinacothèque I de Paris, 28, place de la Madeleine, Paris, jusqu'au 15 février. Tél. 00331 42 68 02 01, site www.pinacotheque.com Ouvert tous les jours, de 10h30 à 18h30, les mercredis et vendredis jusqu'à 20h30. Interdit aux moins de 18 ans. Photo (Piancothèque de Paris): Une estampe signée Eisen. Je me suis auto-censuré. Il s'agit sans doute de la plus chase de tout le lot.
Prochaine chronique le samedi 13 décembre. Retour à Yverdon, où le Centre d'art contemporain présente l'atelier de gravures de Raynald Métraux.
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ÉROTISME/L'estampe japonaise choque à Paris