Je me demandais à quoi la chose allait ressembler à Berne. Notez que je n'étais pas le seul à me poser la question. Nous étions beaucoup à nous interroger sur la façon dont Nina Zimmer allait rattraper le coup avec le Hodler du Musée Rath, dont je vous ai parlé le 23 avril. La rétrospective pour le centenaire de la mort du peintre avait été conçue d'emblée en partenariat avec Genève, ce qui me semble d'une rare imprudence. Surtout quand on sait que son organisation avait été confié à Laurence Madeline. L'ancienne conservatrice recevait là son cadeau de rupture après son éloignement du Musée d'art et d'histoire (MAH). La Française est en effet autant spécialiste de l'artiste suisse que moi de la science quantique.
Le résultat peut se découvrir depuis la mi-septembre au Kunstmuseum, qui abrite l'exposition sur deux étages. L'institution a intelligemment retenu le bâtiment ancien, plus ou moins contemporain de Ferdinand Hodler (1853-1918). Il y a donc l'escalier de marbres et les espaces voulus. Le peintre a besoin de ces volumes, qui sont ceux de son temps. Le célébrissime «Guillaume Tell» (roux et en bermudas blancs), venu de Soleure, prend un tout autre air comme pivot central que coincé dans un coin de salle du Musée de Rath où il avait l'air en punition. Quant à «La nuit», perdue dans le sous-sol à Genève, elle se retrouve ici en compagnie d'autres chefs-d’œuvre symbolistes. Une réunion logique. Nina Zimmer a fait simple et efficace. Le but de la surintendante des musées bernois demeure avant tout de montrer de la peinture, en donnant juste quelques indications sur les intentions de son auteur, en commençant bien sûr par la notion de parallélisme.
Théorie et contexte
Dans ce conditions, vous aurez déjà compris qu'il n'y a pas ici de lustres en formes de nuages, d'éclairages aux couleurs changeantes et de moquettes profondes comme des tombeaux. Aucunes de coquetteries de mise en scène sur les murs laissés en blanc ou badigeonnés en gris perle! Le fameux manuscrit de «La Mission de l'artiste», confié par Fribourg, ne se voit plus présenté comme le saint Graal dans une vitrine-reliquaire. Il se contente de former la pièce centrale d'un espace dédié à la théorie et son contexte. Ont été inclus auprès de lui d'autres documents, montrant que la notion de parallélisme était alors largement répandue. Pour le zoologue Ernst Haeckel, la symétrie constituait par ailleurs le système de construction de la nature. Quelques citations bien choisies se retrouvent aux murs en compagnie de quatre petits autoportrait de Hodler ourlés de cadres blancs et datant tous de1912. Effet garanti. Et on moins là, on comprend de quoi on parle.
Autrement, les tableaux demeurent pour la plupart les mêmes. Il n'y a pas davantage de dessins. L'accrochage cherche à favoriser les meilleures toiles, le choix initial en comportant de mineures et même de faibles. Le mur d'ouverture, en haut de l'escalier, met ainsi côte à côte trois stupéfiants «Lac de Thoune», avec reflets des montagnes dans l'eau. Ce coup d'éclat fait passer les petits paysages ou les gros plans sur les cailloux des rivières. Vient ensuite la grande galerie, avec le «Guillaume Tell» au milieu et quelques «Bûcherons» (un de moins qu'à Genève). C'est là que sont casées, faute d'un meilleur endroit, Augustine Dupin et Valentine Godé-Darel, la première morte et la seconde à l'agonie. Il ne faut pas oublier que la présentation alémanique tient tout de même du sauvetage. On ne pouvait pas tout reprendre à zéro pour tenter de faire aussi bien qu'à Vienne.
Un achat fondateur
La fin se trouve au rez-de-chaussée. Spécialement admirable avec des sommets comme «Eurythmie», «L'heure sacrée», «L'élu», «La vérité» ou «Le jour», la salle symboliste est complétée d'un côté par des «paysages vus de Genève» et de l'autre avec les portraits. L'idée du mur tapissé d'effigies est reprise du Musée Rath, mais épurée et centrée sur l'image en hauteur de Gaston Carlin, ce qui équilibre l'accrochage. Deux autres cimaises proposent des autoportraits. Les autres sont laissées vides, ce qui me paraît raisonnable. L'exposition revue et corrigée ne donne ainsi jamais l'impression du trop-plein. On aurait juste dû pouvoir troquer certaines pièces secondaires contre d'autres plus représentatives.
Faut-il y voir une continuité historique? Si la version bernoise me paraît très supérieure, j'ai noté en lisant les cartels que les meilleures toiles appartiennent depuis longtemps au Kunstmuseum. Le Musée d'art et d'histoire de Genève possède peut-être un ensemble quantitativement plus important. Il n'en reste pas moins que depuis son achat fondateur de 1901, alors que l'artiste restait très contesté en Suisse, l'Etat de Berne a créé un élan. Il a fait entrer d'un coup dans les collections publiques «Le jour», «La nuit», «Eurythmie» et «Les âmes déçues». Autour de ce noyau pouvait s'édifier un ensemble de pièces remarquables, axées sur la veine symboliste. La chose a fini par créer un autre regard, que l'on pourrait dire «sur l'infini» pour paraphraser un autre titre hodlérien. C'est dans cette direction que part aujourd'hui le Kunstmuseum, qu'on a rarement connu aussi inspiré. Si le MAH genevois se situe d'un avis quasi général au bord du gouffre, l'institution bernoise ne se porte pas très bien non plus.
Pratique
«Hodler, Parallelismus», Kunstmuseum, 8-11, Hodler strasse (eh oui!) jusqu'au 13 janvier 2019. Tél. 031 328 09 11, site www.kunstmuseumbern.ch Ouvert le mardi de 10h à 21h, du mercredi au dimanche de 10h à 17h.
Photo (Kunstmuseum, Soleure 2018): Le haut du "Guillaume Tell".
Prochaine chronique le samedi 27 otobre. Vicence consacre une grande exposition aux paparazzi.
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BERNE/Le Kunstmuseum rafistole avec bonheur le Hodler du Musée Rath