C'est une audace, mais mesurée. LeCentre Pompidou n'aime pas les risques. Il faut dire qu'on luidemande, comme à tous les grands musées d'Etat du reste, de «fairedes entrées». D'où la présence permanente, au sixième étage, destars vieillissantes ou décédées parfois depuis longtemps.Stéphane Mandelbaum occupe ainsi le cabinet graphique du quatrième,voué à l'expérimentation. Il faut dire que le Belge s'est limitéau dessin, même s'il se révèle parfois de grandes dimensions. Cemédium correspondait mieux à une forme de frénésie productrice.Il n'a visiblement pas été difficile de remplir cet espace même sil'artiste est mort, assassiné, à 25 ans.
Assassiné. Eh oui! Beaubourg peutaussi bien vendre une tranche de vie, ou plutôt de mort, au visiteurqui n'a pas l'habitude de vies violentes, ou plutôt «brûlées»comme l'a dit un de ses biographes pour Pasolini. Tout va vite avec lui. Stéphane naît en 1961 à Bruxelles, dans un milieuplutôt privilégié. Son père Arié est peintre et enseignant. Samère Pili une illustratrice connue. Il a deux frères apparemmentsans problèmes. Lui se passionne pour les sports de combat et selaisse fasciner par ce qui passe alors pour les figures de latransgression. Pier Paolo Pasolini, tué dans des circonstancesmystérieuses en 1975. Rimbaud. Francis Bacon, qui sait pourtanttoujours s'arrêter à temps. Pierre Goldman, qui se verra tué àbout portant par des inconnus en 1979. Avec ce dernier, lesadmirations du jeune Mandelbaum, considéré avec indulgence comme un «Wunderkind»par ses parents, glissent vers le banditisme. On se souvient (enfinles plus âgés se souviennent) que Goldman, défendu par toute lagauche intellectuelle française, de Jean-Paul Sartre à SimoneSignoret, aurait tué deux pharmaciennes de sang froid après avoircommis divers braquages. Il se verra finalement acquitté après unretournement de témoignage. Mais le témoin a depuis assuré avoirété victime d'intimidations gauchistes...
Fascination pour le nazisme
Tout cela apparaît déjà confus. MaisStéphane s'est de plus tôt mis à la recherche de ses racinesjuives, dans une ville comme Bruxelles qui contient une importantecommunauté israélite. Il a s'est ainsi appris non pas l'hébreu,mais le yiddish. Quelque chose de plus proche. Une langue identitaire et non pas archéologique. Les origines arméniennes de sa mère semblent enrevanche l'avoir peu intéressé. Avec elles, il devenait pourtantl'héritier d'un double génocide. Sa judaïcité l'a amené à sepencher sur les figures du mal. Goebbels ou Röhm sont ainsi apparusdans son œuvre proliférant aux côtés de Bacon ou de papa. Il y aquelque chose de malsain dans cette manière de produire et dereproduire ce qui vous a tué. Mais Mandelbaum s'est obstiné avecdes dessins résolument figuratifs qui se surchargent par ailleurs decroquis, de notes et parfois même de collages. Nous ne sommesfinalement pas loin, avec ces aspects obsessionnels, de l'art brut.Disons qu'on pourrait ici parler d'art brut cultivé, les deux chosesn'étant pas forcément antagonistes.

Mandelbaum va ensuite se mettre encouple avec une jeune Congolaise, mère d'un enfant qu'il adoptera.Ils en auront un autre ensemble après. Le duo fréquente lesmilieux interlopes nés de l'immigration zaïroise. C'est alors lachute dans la petite criminalité. Un passage à l'acte aprèsbeaucoup de vies rêvées. Mandelbaum se retrouve finalement mêléau vol d'un Modigliani chez une vieille dame. J'ignore ce qu'estdevenu le tableau. L'homme disparaît alors. Des enfants retrouverontson corps à demi décomposé dans une décharge près de Namur enjanvier 1986. La médecine légale découvrira qu'il a été tué,puis brûlé à l'acide, à moins que ce ne soit l'inverse. Nousvoici très loin du monde policé et feutré du Centre Pompidou, mêmesi celui-ci feint de s'intéresser parfois aux mauvais garçons.
Un désir de transgression
L'actuelle rétrospective organiséepar Anne Montfort sent donc gentiment le soufre. Il y a aux murs degrandes feuilles, avec des figures inquiétantes regardant lespectateur. Il s’agit au départ d'autoportraits. Puis viennent lesfigures admirées et haïes, la distinction entre les deux sentimentsn'apparaissant pas toujours bien claire. Puis les gens rencontrésdans les lieux fréquentés par les Congolais, auxquels il tente des'assimiler. C'est spectaculaire. Très personnel. Assez beau.Souvent dérangeant. Il y a là un constant désir de transgression,même s'il s'agit là d'un mot typiquement intellectuel. Disons quenous sommes dans une marginalité assumée, loin d'une familleembourgeoisée, même si les Mandelbaum se veulent très libéraux.
Une partie des œuvres appartient àBeaubourg, qui possède un important cabinet graphique contemporain,en partie dû au mécénat des époux Guerlain. D'autres sontjusqu'ici restées dans la famille. Le nom de certains prêteurs peutsembler éclairant. Il y a parmi eux Antoine de Galbert, qui avaitfait de la défunte Maison Rouge un centre culturel parisienparticulièrement vivant. J'ai aussi noté Marin Karmitz, fascinépar la culture juive à laquelle il se rattache de toutes ses forces.Il conviendrait maintenant que l'art de Stéphane Mandelbaum (car ils'agit bien là d'un art) sorte de cette ambiance mortifère. Nuldoute que certains galeristes vont s'appliquer à y parvenir.Pompidou constitue une excellente carte de visite.
Pratique
«Stéphane Mandelbaum», CentrePompidou, place Georges-Pompipou, Paris, jusqu'au 20 mai. Tél. 0033144 78 12 33, site www.centrepompidou.fr Ouvert tous les jours sauf mardi de 11h à 21h.
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Beaubourg présente les dessins de Stéphane Mandelbaum, assassiné à 25 ans
Le Centre Pompidou vend cette fois une tranche de vie et de mort. Obsédé par ses origines juives, graphomane, marié à une Congolaise, Mandelbaum a produit un oeuvre assez fascinant.