Arles donne sa cinquantième édition. La quantité est là. La qualité un peu moins...
Il y a 51 expositions. Le ton est à la nostalgie et à l'analyse historique. De nouveaux lieux se profilent, tandis que les Ateliers SNCF se gentrifient.

L'affiche avec une photo inversé de l'Espagnole Ouka Leele
Crédits: Rencontres d'Arles, Ouka Leele.Le festivalier ayant le malheur
d'arriver cet été à Arles en train (le mien avait cinq heures en
retards cumulés depuis Genève) bénéficie d'un spectacle
inattendu. La tour de Frank Gehry semble posée au bout du quai. Sur
les rails. Notez que ce gros suppositoire argenté n'est toujours pas
terminé. Ce sera paraît-il pour 2020. N'empêche qu'il fait
toujours tache dans le paysage, même s'il se présente ici du bon
côté. Celui autre qu'une vilaine masse de béton. Ce «hochet de vanité»,
comme on eut dit au temps de Savanarole (1), couronne désormais des
ateliers SNCF, peu à peu dévastés par le «propre en ordre». On
est aujourd'hui bien loin de leur magie décatie, lors de la première
utilisation par les «Rencontres» photographiques en 2007. Il y a un
côté «Putzfrau» (2) dans la Fondation Luma de Maja Hoffmann, qui
veut refaire le monde à l'intention des bobos les plus friqués avec
beaucoup de design et un peu d'écologie.
Arles en arrive aujourd'hui à sa 50e édition. C'est en 1970 que la manifestation s'est déroulée pour la première fois, en marge d'un tutti frutti culturel et estival. Sept jours seulement, avec en vedettes Jean-Pierre Sudre, Jean-Philippe Charbonnier et Denis Brilhat. Des noms aujourd'hui tombés dans l'oubli, ce qui est grand dommage pour Charbonnier. Un bel artiste. Remarquez au passage qu'au même instant, ou peu s'en faut, se déroulait en Suisse l'"Art/Basel" initial. Tout a ensuite gentiment progressé, comme le rappelle aujourd'hui une exposition-hommage un peu courte réalisée à l'église des Trinitaires. Montmajour et son abbaye ont été conquises dès 1972. En 1975, «Le Monde» parlait de cette cité paupérisée comme de la «capitale de la photographie». L'est-elle encore? La question mériterait de se voir posée. En 1980, les «Rencontres» débordent sur août. Il faudra attendre 2002 pour qu'elles grignotent septembre. 2012 marque le record du nombre des expositions. Il y a en a alors 60, ce qui dame le pion à la version actuelle, la quatrième dirigée par Sam Stourdzé. Notre ambitieux de service se contente cette fois de 50 accrochages «+ un». Vu le résultat, très moyen, je me dis que c'est pourtant déjà trop.
Avalanche culturelle
Où se situe le problème? Pas dans la
fréquentation, très honorable. Le festival a bien remonté la pente
depuis le début des années 2000, quand les «Rencontres»
semblaient en perdition. Le directeur actuel a donc pu parader lors
de la semaine d'ouverture (à laquelle je ne participais pas) dans sa
BMW, la marque faisant désormais partie de sponsors. C'est une
affaire qui roule, si j'ose dire. Elle s'exporte même. Arles a ainsi
triomphé de toutes ses imitations, même s'il est clair que depuis
1970 le 8e art s'est introduit partout en France. Paris,
mais aussi Tours ou Perpignan. D'où le fait que le pèlerinage
provençal ne s'impose plus vraiment. Le succès durable de la
manifestation me semble en bonne partie dû à la beauté de la
ville, à juste titre classée au patrimoine de l'Unesco. Une cité
médiévale intacte, aux allures de carte postale géante. Un lieu
qui attire du reste d'autres formes de culture. Après les fondation
Luma ou Van Gogh se termine ainsi, dans un superbe bâtiment rénové,
celle du Coréen Lee Ufan (1600 mètres de salles annoncés). Et
l'on murmure que la fermeture du bel Hôtel Saint-Trophime, que j'ai
longtemps fréquenté, cache l'aménagement d'un nouvel espace
dédié au patrimoine provençal... Ceci alors même que le Musée
Arlatan devrait (enfin!) rouvrir ses portes in 2019.

Mais revenons à la cuvée 2019 des «Rencontres». Deux déceptions pour commencer. Elles ont le défaut de situer dans des endroits en vue. Aux Frères Prêcheurs, Philippe Chancel prêche l'écologie. Vision catastrophiste. Tous les malheur du monde à subir en attendant d'aller manger une glace à la sortie. Comme dans bien des expositions arlésiennes de l'année, l'image se met platement au service d'un discours. Elle l'illustre. Les artistes et surtout les commissaires d'exposition sont devenus bavards. Avec plein de mots abstraits qui sentent bon les «sciences humaines» universitaires. Plus concrète, Libuše Jarcovjavoká nous raconte en noir et blanc, et surtout en gris, les années 1970 et 1980 dans une Prague marginale (un peu punk, un peu queer), placée sous haute surveillance par les Soviétiques. Là aussi, c'est intéressant. Le visiteur découvre. Il apprend. N'empêche que d'aussi piètres tirages n'existent que par leur caractère de documents. Il eut fallu un lieu plus confidentiel que l'église Sainte Anne.
Des femmes partout
L'hommage rendu par les «Rencontres»
à la «movida» espagnole des années 1970 complète à l'Archevêché
ce passéisme. Eh oui! Tout cela aura bientôt 50 ans. Là aussi, les
œuvres ont été réunies pour leur contenu. Des quatre élus, je ne
retiendrais du coup qu'Ouka Leele. Elle donnait de grands portraits
en noir et blanc, retouchés à l'aquarelle par horreur des vraies
couleurs conférées par la pellicule. L'un d'eux, la fille aux
citrons, fait du reste l'objet de l'affiche du festival. Renversé,
comme les autres images de posters depuis quatre ans. Il faut faire croire qu'Arles est
devenu renversant. Ouka Leele est donc une femme. Il y a en beaucoup à
Arles cette année. C'est le moment pour les lieux culturels de se
dédouaner des accusations de misogynie. Quatre Américaines occupent
par conséquent l'Espace Van Gogh, la photographe de rue Helen Levitt
se retrouvant un peu abusivement mise au premier plan. Rien à voir avec une révélation d'il y a quelques années comme Vivian Maier. Une chose
injuste pour Eve Arnold et surtout Susan Meiselas, dont Arles reprend
le cycle consacré aux strip-teaseuses foraines des années 1970. Un cycle très fort. Décidément, que de nostalgies, comme si Arles n'avait plus rien à
nous montrer de neuf!

Dans ce festival à géométrie variable, où certains lieux disparaissent tandis que d'autres s'ouvrent (en attendant sans doute une réfection, la ville se gentrifiant chaque année davantage à coups de galeries, de restaurants branchés et de boutiques de mode), il y a bien sûr ceux à visiter en priorité. Ce ne sont plus les Ateliers SNCF, même si c'est bien là que se trouve la rétrospective est-allemande dont je vous parlerai bientôt. Il ne s'agit qu'un peu de Croisières,un îlot d'immeubles resté à l'état brut. Si les architectures réelles compressées sous l'objectif de Marjan Teeuwen forment de la bonne photo plasticienne, si «La saga des inventions» dévoile toute l'ingéniosité des bricoleurs de la vie en temps de paix et ceux de la mort en temps de guerre, il y a en effet là le Nonante-Neuf helvétique. Plus surtout la représentation genevoise. Redoutable, cette dernière! Entre les élucubrations de la HEAD (je vous recommande le texte des plaquettes éditées par cette école) et les intentions expansionnistes de notre bonne ville dans le domaine du 8e art, il vous vient l'envie de demander l'asile politique dans le canton de Vaud. Enfin, la chose a au moins permis à nos édiles de parader lors de la semaine inaugurale...
La suite à demain...
Je préfère donc vous envoyer au Musée Réattu (il ne fait pourtant partie ni de «Rencontres» ni des quelque 140 présentations du «off»), à la Maison des Lices (qui propose un inventaire assez attendu mais toujours nécessaire, des «Murs du pouvoirs» séparant les peuples ou les populations) et surtout à la Maison des peintres. C'est là que se trouvent plusieurs de mes expositions préférées de 2019. Je pourrais bien sûr vous dire, vite fait bien fait, lesquelles et pourquoi je les ai aimées. Les titres et leurs contenus. Ce sera pour une autre fois. Demain si possible. On ne peut pas épuiser en un seul jour une manifestation aussi épuisante! Et pourtant, Arles, c'est du pipi de minet à côté du festival d'Avignon, où il y aurait à ce que l'on dit 1635 spectacles «off» cette année. De quoi dévaloriser le théâtre. il y a d'ailleurs bien moins de monde dans les rues d'Avignon cet été que l'année dernière (1).
(1) Cela dit, le festival annonce une augmentation du nombre des billets vendus pour le "in". Alors que croire? Ses yeux? Ou les belles paroles?

Cel(1) Savanarole est un pré-réformateur
florentin aux prêches austères de la fin du XVe siècle, Il a bien sûr très
mal fini.
(2) Je signale à mes lecteurs français
qu'une «putzfrau» est en Suisse une femme obsédée par ses tâches
ménagères.
Pratique
"Rencontres d'Arles", partout dans la ville, jusqu'au 22 septembre, certaines expositions se terminant déjà le 25 août. Site www.rencontres-arles.com Ouvert de 10h à 19h30 selon les lieux. Annexes à Avignon, à Nîmes et à Marseille.