Monaco, de Jeff Mills à Balanchine
Un carambolage culturel s’est tenu sur le Rocher, le week-end dernier, alors que les échafaudages et gradins jaillissent déjà de terre en vue du 76e Grand Prix de Formule 1.
Plusieurs manifestations artistiques ont convergé vers la Principauté en marge du troisième salon artmonte-carlo qui s’est tenu du 28 au 29 avril 2018 au Grimaldi Forum Monaco sous le haut patronage de S.A.S le prince Albert II de Monaco. De quoi donner le tournis aux curieux boulimiques. Il a fallu boire du rosé pour garder le cap vu le programme minuty (clin d’œil aux connaisseurs).
Baskets aux pieds, on trottine à la verticale, d’un ascenseur public à un escalator, tout en gérant tant bien que mal les paliers de décompression. Entre deux rendez-vous, on s'arrête devant les œuvres de Botero, Niki de Saint Phalle ou encore Brancusi dans les galeries monégasques établies en Principauté.
Avec certaines maisons de vente aux enchères, ces dernières profitent de la présence des collectionneurs et professionnels étrangers pour promouvoir leurs activités dans le cadre de la première édition de Monaco Art Week.
Une autre manifestation gravite elle aussi autour de la foire artmonte-carlo initiée par le Genevois Thomas Hug. Pour y accéder, on saute dans la navette du groupe de la Société des Bains de Mer qui dessert ses palaces. Direction la villa La Vigie perchée sur les hauteurs de Monaco. Ce joyau architectural, ancienne résidence d’été de Karl Lagerfeld, accueille la deuxième édition de Nomad. Ce projet, qui se déclinait à St Moritz en février dernier, célèbre le design de collection avec les pépites d’une quinzaine de galeries internationales comme celle d'Almine Rech que nous retrouverons le lendemain à la foire.
En route maintenant pour les Ateliers du Ballet de Monte-Carlo qui occupent les cinq étages d’une ancienne usine. Jessica Pinal, la responsable des relations presse, nous ouvre les antres de cette entreprise historique.
On se rappelle de Diaghilev qui, durant deux décennies, développera l'art chorégraphique à Monaco tout en collaborant avec des artistes de renom comme Cocteau, Picasso, Man Ray ou Balanchine. Ce dialogue entre artistes, scénographes ou stylistes se poursuit avec l’actuel directeur en place depuis 1993 qui fait appel à la vision d’un Ernest Pignon Ernest pour ses décors ou au crayon affuté de Karl Lagerfeld pour certains costumes.
Dans les ateliers, des petites mains s’affairent pour parfaire un costume, une perruque ou un décor. «Ici, la cinquantaine de danseurs, d’une vingtaine de nationalités, s’entend très bien», nous explique Jessica.
«Il n’y a pas à proprement parler de hiérarchie: une soliste dansera avec le corps de ballet pour la prestation suivante et vice et versa.» De quoi éviter les morceaux de verres cachés dans des "chaussons rouges" (attention, ceci est une petite référence cinématographique).
Les danseurs s’échauffent déjà sur la scène du Forum Grimaldi. Et pendant qu’ils s’écartèlent à la barre, j’en profite pour faire une parenthèse: je voyage avec une amie photographe de mode basée à Paris, Michèle Bloch Stuckens.
Elle profitera de ces exercices pour immortaliser ces corps sculptés dans la glaise. Le cours, lui, est donné par une prof invitée qui ne cessera de répéter en pointant ses pieds: « Uno, due, tre, four, five and six. Si o no?».
Le même soir, la compagnie exécute «Violin Concerto», une chorégraphie signée Balanchine. Pour l’artiste russe, le kiffe ultime se résumait en une phrase: «Voir la musique et écouter la danse».
De là, son plaisir de travailler avec la musique composée par Igor Stravinski. Sur un fond uni bleu, je trouve que les danseurs incarneraient à merveille le tableau « la Danse » de Matisse.
La deuxième chorégraphie est signée par le directeur et chorégraphe du Ballet, Jean-Christophe Maillot. Une vision post-apocalyptique, réunissant ce que je pourrais définir comme… des vers luisants (le dossier de presse préfère parler d’individus mi-hommes, mi-insectes).
Dans «Abstract/Life», les danseurs prouvent leur virtuosité sur un concerto pour violoncelle et orchestre composé pour l’occasion par Bruno Mantovani, avec une scénographie terreuse et une lumière sombre qui à la longue appuie la sensation d’asphyxie de ces êtres survivants.
Le lendemain, nous n’avons qu’une heure de libre que nous passerons dans la piscine des Thermes Marins Monte-Carlo. Les 6600 m2 donnent sur la mer et sont baignés de lumière. Il paraît que les danseurs et footballeurs de la Principauté s’y prélassent régulièrement.
Après un passage au sauna, Michèle et moi, telles des sirènes en peignoir et pantoufles, longeons les couloirs interminables de l’hôtel Hermitage qui possède (tout de même) 278 chambres. On passe le jardin d'hiver avec sa coupole Art nouveau d'acier: « Tiens, nous sommes déjà passées par là, je reconnais le concierge.» Nous n’avons plus que 20 minutes avant notre départ pour la foire. Voilà que nous courons dans les dédales de ce palace de style Belle Époque pour repasser devant le jardin d’hiver: «Excusez-nous, si vous voyez la chambre 208, dites-lui que nous la cherchons désespérément!»
15h. Un déjeuner est orchestré par artmonte-carlo pour la presse et précède le tour des galeries. Entre deux minis hot-dogs et une coupe de Ruinart, on papote sur l’une des terrasses du Grimaldi Forum Monaco. Cette année, Perrotin et Kamel Mennour (que j’adooooore) font partis des nouveaux arrivants.
On se laissera séduire par la scénographie de Gagosian qui recrée un appartement avec du mobilier des années 1950 dont celui de Jean Prouvé. Une manière de sublimer les mastodontes de l’art contemporain que la galerie représente comme Georg Baselitz (que mon correcteur automatique s’entête à rebaptiser Berlitz), Damien Hirst ou encore Takashi Murakami.
Chez Almine Rech, on craque pour les sculptures de Tarik Kiswanson. Cet artiste originaire de Palestine, carrefour des croyances, superpose les références avec les masques du Moyen-Age - que l’on imaginerait appartenir aux Croisés - et le Niqab. Pour l’anecdote, on apprend que la matière première de ces oeuvres proviendrait notamment de l’argenterie des parents de l’artiste que ce dernier aurait fait fondre pour l’occasion.
-Chéri, où se trouve le service à thé de grand-maman?
-Au mur d'un collectionneur, why?
Dans une salle annexe, Jeff Mills (qui ne peut que se souvenir de moi puisqu’il m’a vue grandir sur le dancefloor de Weetamix, le club mythique de Genève) expose une série d’installations cosmiques mêlant son goût pour le vinyle, la vidéo, la musique, la danse et la mode. Jadis, il composait déjà de la musique électro sur «Metropolis » de Fritz Lang.
Aujourd’hui, l’artiste américain se dit toujours subjugué par le futurisme mais aussi par la science-fiction. Ainsi sa boite à rythme TR909, revisité par le designer japonais Yuri Suzuki, ressemble à un vaisseau spatial, de là son titre : « The Visitor ».
La visite prend fin chez Kamel Mennour (que j’adooooore). On y parle de Latifa Echakhch qui présente, simultanément, «le jardin Mécanique» à la Villa Sauber, une sorte de théâtre imaginaire.
Le parcours de cette exposition est ponctué par cinq films qui donnent vie à des automates mécaniques completely scary. Dans la salle obscure du musée, je découvre le travail éblouissant d’un vidéaste, lui aussi représenté par Kamel Mennour.
L’artiste franco-marocain Hicham Berrada titille la science et la poésie dans un petit film extatique : un plan fixe sur une fenêtre elle même ouverte sur un paysage montagneux duquel se diffuse peu à peu une fumée bleue opaque. Voilà. Pas besoin de plus pour nous faire pousser des ailes.
De retour à l’Hermitage, on saute à pieds joints sur sa valise pour la zipper une fois pour toute et, faute de pouvoir découvrir la cuisine étoilée de Benoit Witz au Vistamar (fermé ce jour-là), on teste le snacking de luxe du Crystal Bar élaboré sous la supervision de ce chef qui a débuté dans les années 80, comme commis chez Paul Bocuse à Lyon.
Pour retourner à Nice, on a certes des ailes depuis la vidéo de Hicham Berrada mais l’option hélicoptère de Monacair s'avère plus sûre. Ces sept minutes de bonheur au septième ciel et l'accès direct dans la salle d’embarquement à l'aéroport de Nice permettent de s’économiser de nombreux cheveux blancs.