2017 est une année pivot pour les technologies quantiques dont on parle souvent dans les lignes des journaux tels que la MIT Technology Review, et faisant même la une du magazine The Economist ce mois-ci. L'industrie a récemment rejoint la course pour construire un ordinateur quantique universel. Mais de quoi parle-t-on en réalité?
En 2015 déjà, l’Institut européen des normes de télécommunications (ETSI) alertait les organisations de la menace imminente de l’ordinateur quantique en termes de cybersécurité contre les systèmes de cryptographie actuels. L’ETSI préconisait de passer à des techniques de cryptage “quantique-sécurisées” d’ici à 10 ans. Cette annonce souligne la menace posée par les futurs ordinateurs quantiques, qui, en principe, pourraient être utilisés pour briser les systèmes de cryptage (classique) des données sensibles sur Internet. La même année, la NSA (l’Agence nationale de la sécurité américaine) annonçait qu’elle allait mettre à jour tous ses systèmes de cryptographie pour être sécurisée vis à vis des ordinateurs quantiques.
De même, l’an dernier, Google commençait à développer et tester une version de son navigateur Chrome conçu pour garder nos secrets même lorsqu'ils sont (et seront) attaqués par un ordinateur quantique dans l’ère post-quantique.
Il ne s’agit là que de quelques signes montrant que les promesses d’un ordinateur quantique commencent à sortir des laboratoires de recherche et à être utilisés. Des géants de l’industries high-tech comme Google, Intel, IBM et Microsoft (pour n’en citer que certains, hors industrie de la défense) ont leurs propres programmes de développement et investissent largement dans les technologies quantiques. Même des industriels comme Airbus ou Baidu se lancent dans la course à l'ordinateur quantique. The Economist répertoriait plus de 1.5 milliards USD de dépenses (non classifiées) pour la recherche dans les technologies quantiques à travers le monde en 2015, dont 67 millions en Suisse. Et ce nombre ne fait que grandir.
En 2016, l’Union Européenne a annoncé un programme majeur à 1 milliard d’euros pour développer et commercialiser des technologies quantiques dans la course avec la Chine et les USA (voir le quantum manifesto dont nous discutions l’an dernier). La semaine dernière encore, la startup américaine Rigetti Computing obtient un financement de série C de 64 millions USD seulement 3 ans après sa création.
Cet engouement récent est bien fondé: les blocs fondamentaux de l’information quantique ont fait leurs preuves et sont maintenant prêts à être assemblés en des dispositifs puissants. Cependant les experts sont d’accord: les challenges technologiques pour arriver à un ordinateur quantique universel restent très grands mais ne sont pas insurmontables!
Au coeur du sujet -
Dans un ordinateur classique l’information est représenté par des bits, qui peuvent être dans un des deux états 0 ou 1. Dans un ordinateur quantique , les quantum bits (ou qubits) peuvent être 0 et 1 en même temps grâce à la propriété purement quantique de superposition. Ainsi N qubits peuvent en principe traiter 2 puissance N états simultanément, rendant un ordinateur quantique exponentiellement plus rapide que sa contrepartie classique (recherchez par exemple le problème de l'échiquier de Sissa pour se rendre compte des nombres dont on parle ici).
Les qubits doivent être encodés dans l’état quantique d’objets physiques particuliers; parmis les différents concurrents, ony trouve le spin (de noyaux atomiques ou d’électrons) par exemple dans des diamants dans lesquels on vient introduire des défauts bien contrôlés; oudes circuits supraconducteurs (à très basse température). C’est la piste suivie par Google et IBM par exemple; ou des ions piégés dans un champ électrique et manipulés par des lasers. C’est par exemple le qubit utilisé par la startup IonQ (spin-off du NIST aux USA). Il peut aussi s’agir de circuits photoniques, où l’état quantique est encodé dans des photons.
Seulement, faire marcher ensemble un grand nombre de ces qubits reste un vrai challenge pour opérer un quelconque algorithme quantique, comme le célèbre algorithme de Shor (un des premiers algorithmes quantiques de factorisation proposé par Peter Shor en 1995). Une des difficultés techniques est de préserver les qubits de quelconques perturbations externes qui pourraient détruire leur fragile superposition. Les physiciens développent des outils pour palier à ce processus, connu sous le nom de décohérence quantique, en utilisant par exemple des codes correcteur d’erreurs. Ainsi, la fidélité de l’état des qubits peut être largement améliorée afin d’arriver à des machines commerciales ( pour en savoir plus ).
Les promesses du calcul quantique sont grandes, comme par exemple l’optimisation assistée quantiquement. L’optimisation est une tâche computationnelle centrale dans de nombreuses activités. Les problèmes d’optimisation sont difficiles à résoudre avec des ordinateurs conventionnels car il est nécessaire de passer en revue un grand nombre de solutions possibles. C’est par exemple le cas des problèmes de planification de distribution quotidienne pour les entreprises de logistique ou les problèmes de recommandations lors de requêtes sur Internet. La qualité des recherches ou des recommandations de produits pour les entreprises comme Amazon ou Facebook pourraient être drastiquement améliorés. Les algorithmes quantiques pourraient aussi améliorer les diagnostics dans le domaine de la santé, aider à développer de nouvelles molécules médicamenteuses et faire décoller le machine-learning quantique.
En attendant, les physiciens travaillent sur ce qu’ils appellent des simulateurs quantiques. Des machines moins puissantes qu’un ordinateur quantique universel mais qui permettent de simuler des phénomènes quantiques qu’il serait impossible de calculer même avec la puissance du meilleur ordinateur classique ( idée introduite par Richard Feynman en 1981). Les laboratoires cherchent aussi à démontrer ce qu’ils appellent une expérience de suprématie quantique: faire fonctionner un algorithme quantique sans application particulière mais qui ferait quelque chose qu’un ordinateur classique ne saurait faire.
Dans cette perspective IBM annonçait courant 2016 sa mise à disposition de moyens de calcul quantique par Internet. Oui, il est possible aujourd’hui pour tout à chacun de s’initier au calcul quantique sur un vrai ordinateur quantique (seulement 5 qubits) sur le cloud! Cet ordinateur est bien moins puissant qu’un ordinateur classique ou qu’un smartphone, mais c’est un premier pas. Les géants comme Google, IBM et Microsoft se sont fixés de grands objectifs pour 2017, comme par exemple de passer de 5 à 50 qubits disponibles sur le cloud. Leurs ambitions reflètent la transition plus vaste qui prend place dans les laboratoires des startups et universités: passer de la science fondamentale à l’ingénierie.
Cherche ingénieurs quantiques
L’ordinateur quantique universel semble toujours bien loin, mais les évolutions récentes dans le domaine sont très encourageantes! Et comme toujours dans les sciences et technologies, qui sait quelles directions ou nouvelles découvertes seront sur le chemin? Le fait est qu’aujourd’hui il est nécessaire de former la prochaine génération d'ingénieurs quantiques. Des universités comme le Massachusetts Institute of Technology (MIT, USA), l’Université de Waterloo (Canada) ou l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL, Suisse) utilisent déjà l’ordinateur quantique en ligne d’IBM comme outil d’enseignement pour leurs étudiants. Heureux sont ces étudiants ! Les tous nouveaux défis hardware et software qui les attendent sont passionnants. - -
A lire ou à regarder:
Here, There and Everywhere - The Economist (Mars 2017) - Quantum Leaps - The Economist (Mars 2017) - Supplement Quantum Computing - Nature (Mars 2017 - Quantum computers: Computing the impossible - Nature Video sur Youtube - Simulating Physics with Computers - Richard P. Feynman, 1981 - IBM Q - Communiqué de presse (Mars 2017)
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L'industrie rejoint la course à l'ordinateur quantique. Pourquoi?