C’est bien loin des fastes du Four Seasons ou de l’ambiance campus de l’IMD que je retrouve mon 5 ème invité… Dans un bâtiment discret du cœur de Lausanne, entre un kiosque et un Centre commercial, Filip Grund est, avec son équipe, le centre névralgique des ressources humaines du premier employeur du canton . C’est là, en effet, que l’Etat de Vaud a installé son Service du personnel , et que j’en rencontre donc le Directeur en la personne de M. Grund.
On parle désormais beaucoup des enjeux de la marque employeur, aussi bien à l’externe sur de futurs candidats, qu’à l’interne, sur les collaborateurs. Comment l’Etat de Vaud traite-t-il ce sujet sur ces deux publics ?
Pour vous donner le contexte, déjà, l’ «Etat employeur» compte 30'000 «visages», avec notamment le CHUV (10'000 personnes), l’enseignement (10'000 personnes) et les autres services : pénitentiaire, judiciaire, social, etc. (10'000 personnes) et 480 métiers dans ses rangs… Il y a donc dans les perceptions plusieurs employeurs, avec une vraie question autour de l’appartenance, de l’identité. Le point commun, la valeur transversale, c’est que tous, nous sommes au service de la population.
A des moments de vie différents (naissance, déménagement, scolarité, chômage, santé, mariage, permis de conduire, etc.), l’Etat intervient comme un fil rouge tout au long de l’existence de chaque citoyen, consciemment ou pas. Il y a donc une relation plus ou moins forte entre l’Etat et les citoyens , selon le sujet : les impôts font évidemment moins l’unanimité que d’autres services (rires) et cela participe de l’image polymorphe de l’employeur « Etat » à l’externe.
Pour l’interne, le vrai défi RH est de déterminer ce qui nous unit ; un des enjeux principaux pour nous est donc de respecter les particularités des services et métiers, tout en apportant des solutions sur les difficultés communes. Pour cela, nous avons besoin que les managers, confrontés à ces problématiques similaires, intègrent la dimension RH dans leur fonction – inexistante à l’Etat il y a dix ou quinze ans. Ce sont nos premiers relais de la marque employeur .
Paradoxal, si on considère que l’Etat est perçu comme un employeur pour lequel il a toujours «fait bon travailler» : on a l’impression que l’aspect RH y a toujours été développé, voire surdéveloppé, entre autres parce qu’à l’Etat, on ne licencie pas. Une légende?
En fait, jusqu’à il y a une quinzaine d’années en arrière, travailler à l’Etat était effectivement considéré comme un privilège : on y entrait et on en sortait peu. On n’avait pas besoin de s’occuper des gens : le fait d’être à l’Etat signifiait déjà qu’on s’occupait d’eux. Dans les années 2000, cela s’est avéré intenable, le monde avait changé. Il devenait inconcevable que, sur la base d’une décision politique, vous soyez nommé « fonctionnaire », avec une quasi assurance-vie sur l’activité de chaque collaborateur. Nous avons donc fait évoluer ce statut, même si certains principes demeurent, comme le fait de devoir être en mesure de justifier chaque décision, pour des questions d’égalité de traitement.
D’un autre côté, nous avons donné de nouveaux moyens aux managers : évolution de la grille des salaires avec possibilité de mieux récompenser les collaborateurs, système de promotions plus rapides, valorisation de tâches hors cahier des charges avec reconnaissances monétaires à la clé, mais également possibilité de bloquer les salaires en cas de non satisfaction. En tant que service central, il nous appartient de veiller à ce que le recours à l’une ou l’autre des mesures se fasse de façon argumentée et rationnelle. Aussi, comme vous pouvez le constater, les RH dans leur dimension professionnelle, incluant des processus et des outils, ne sont pas apparus il y a si longtemps que ça à l’Etat…
Et aux niveaux des outils, RH ou informatiques, comment estimez-vous votre niveau de dynamisme par rapport au privé, notamment – sachant qu’on perçoit généralement l’appareil étatique comme peu souple et plutôt inerte?
Nous avons, comme d’autres, beaucoup travaillé sur l’équilibre vie privée/vie professionnelle ces dernières années ; au travers du temps partiel, évidemment, et avec des répartitions diverses. Ainsi, si vous prenez l’enseignement, nous ne sommes quasiment que sur des temps partiels désormais, ce qui comporte également des défis organisationnels. Même si cela est plus significatif dans certains services que d’autres, je ne crois ni à une segmentation par métier, ni par genre : toutes les professions sont « exerçables » à temps partiel , et on observe que chez les hommes, les demandes se font plus nombreuses également.
Le télétravail va dans la même direction, sauf que là, le type de métier influe sur la possibilité de le mettre en place : difficile, voire impossible, pour un gardien de prison ou pour un enseignant aujourd’hui de faire du télétravail . Pour celles qui le peuvent, nous offrons les accès nécessaires aux personnes concernées pour qu’elles puissent officier depuis chez elles. Les salaires, par exemple, ne peuvent être traités à domicile pour des questions de gestion de la sécurité. De nombreuses questions restent encore en suspens pour optimiser ces changements des modes de travail, mais pas uniquement à l’Etat…
Avec ces éléments-là et le travail que vous avez déjà accompli pour transformer l’Etat et le rendre plus dynamique, parvenez-vous à recruter les profils que vous désirez, ou y a-t-il encore des biais de perception qui vous pénalisent?
Cela dépend là encore des services. L’enseignement, par exemple, dispose de sa propre filière de formation ; cela permet à l’Etat qui anticipe les besoins dans ce domaine, de déterminer le nombre de postes qui seront nécessaires et d’avoir donc le bon nombre de bons profils au bon moment à disposition. La Police , quant à elle, dispense une formation qui lui est propre et on ne peut donc devenir policier qu’en passant par la formation de l’Etat, ce qui nous permet aussi de recruter les effectifs en fonction des besoins projetés ou réels. Parallèlement, depuis plusieurs années, l’Etat se « vend » plus en tant qu’employeur : nous sommes présents aux salons, nous avons des stands, comme n’importe quel employeur.
Là où nous pouvons encore rencontrer quelques difficultés, c’est par exemple dans les domaines des technologies ou de l’informatique ; pas pour des questions d’attractivité de l’Etat, mais simplement parce qu’au niveau des salaires, nous ne pouvons pas toujours nous aligner avec le privé. Ce n’est pas forcément un frein, car au final, les gens nous choisissent aussi pour les valeurs dans lesquels ils se reconnaissent : diversité, responsabilité, respect, intérêt public, etc. L’Etat s’est modernisé en termes d’image, nous avons des conditions d’épanouissement favorables, des programmes de développement des compétences, des perspectives d’évolution à l’interne multiples.
Finalement, le plus gros défi pour l’Etat dans les années à venir, c’est de parvenir à créer une marque « Etat » forte qui transcende les services ou les métiers et qui fasse le lien entre les 30'000 collaborateurs dont le point commun est d’être au service des habitants du canton.
Je dois vous avouer que je suis entrée au SPEV avec ce fameux biais de perception qui veut que l’Etat soit poussiéreux, peu enclin à la récompense au mérite, et proche d’une forme d’obsolescence de la vision de la société à la grand-papa. En rencontrant Filip Grund, j’ai compris que le choix de la personne qui incarne les RH en dit long sur la vision de l’entreprise, quelle qu’elle soit. Malgré les enjeux politiques, les pressions de part et d’autres, j’ai découvert un homme entièrement dédié à sa mission de service public, fier des 30'000 personnes qui jalonnent chaque jour de façon visible ou invisible chaque étape de nos vies. Comme quoi la transformation se fait surtout en revenant aux fondamentaux, à l’essentiel… Et c’est peut-être pour cela qu’elle est tellement nécessaire.
La bio non censurée de l'invité
Arrivée en Suisse à l'âge de10 ans, après le Printemps de Prague, j'ai suivi toute ma scolarité à Neuchâtel, jusqu'à mes études de droit et l'obtention de mon brevet d'avocat. Alors que je rêvais de me lancer dans le droit international, j'ai été engagé, un peu par hasard, à l'Etat de Vaud, comme juriste. Cette première expérience m'a fait découvrir un monde fascinant où l'action concrète se conjugue avec la nécessité de composer avec des acteurs influents à la recherche d'intérêts différents.
L'appel d'une autre expérience a été plus fort que mon attachement à cette première activité professionnelle et j'ai rejoint le secteur privé de l'assurance. Ce furent des années d'insouciance, avec une rémunération confortable pour une implication somme toute faible. Après 5 ans, et pour une raison que j'ai mis longtemps à comprendre, j'ai accepté le poste de responsable du contentieux au sein du service juridique de l'Etat de Vaud qui m'a été proposé. J'ai retrouvé ces situations complexes et le sens du service public.
De fil en aiguille, les problèmes du personnel, à l'époque de l'existence du fonctionnariat, m'ont été confiées jusqu'au jour où on m'a appelé à venir au Service du personnel pour élaborer la loi sur le personnel et faire disparaître le statut de fonctionnaire et la nomination. Ce chantier achevé, j'ai mené plusieurs réformes de la caisse de pensions, puis le grand chantier de réforme de la politique salariale. Il a duré 10 ans. Et s'est assez naturellement que j'ai repris la responsabilité de la direction des ressources humaines que j'occupe depuis plus de 10 ans.
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Filip Grund, Etat de Vaud: «Nous avons donné de nouveaux moyens aux managers»