C’est l’image la plus atroce. Le milicien, gras et pas rasé, tient d'une main une cigarette et sa kalachnikov, et brandit dans l’autre une peluche qu’il vient de ramasser parmi les décombres du Boeing de Malaysia Airlines. L’enfant à qui appartenait la peluche a disparu. On se demande s’il l’avait encore dans ses bras quand il est tombé de dix mille mètres.
Après quatre jours d’infamie et de putréfaction des corps profanés, tout le monde s’est mis d’accord pour qu’une enquête indépendante détermine ce qui s’est passé le 17 juillet au-dessus de l’Ukraine. Tout le monde, puisqu’il s’agit du Conseil de sécurité de l’ONU. Mais tout le monde n’acceptera pas les conclusions des enquêteurs.
Il y a peu de chance pour que les limiers de l’aviation civile confirment l’une ou l’autre des hypothèses en cours sur les réseaux sociaux en langue russe : un missile «fasciste» qui visait l’avion de Vladimir Poutine rentrant d’Amérique latine a manqué sa cible ; le Boeing de Malaysia Airlines disparu dans l’Océan indien a en fait été récupéré, chargé de cadavres et détruit au-dessus de Donetsk par provocation, etc. Il est plus probable que l’enquête validera au moins une partie des nombreux indices décrivant le tir d’un missile SA-11 à partir du territoire tenu par les milices équipées et soutenues par la Russie. Les séparatistes armés se félicitaient les jours précédents d’avoir abattu des avions de l’armée de Kiev, et ils pensaient en avoir détruit un autre.
Et pourtant, même si par hypothèse peu vraisemblable un participant à cette action meurtrière finit par livrer son témoignage, le Kremlin et ses multiples voix mettront en doute les conclusions de l’enquête. Vladimir Poutine l’a presque dit dans sa bizarre intervention nocturne de lundi (peu avant 2 heures du matin heure de Moscou !). Il condamne bien sûr ce qui s’est passé, mais il dénie à quiconque «le droit d’utiliser cette tragédie pour atteindre ses objectifs politiques». Autrement dit, aucune mise en cause de la Russie et de ses protégés ne sera tolérée.
Depuis que la crise ukrainienne a commencé, à la fin de l’an passé, le président russe amplifie un récit qui s’appuie de façon extraordinairement fragile sur la réalité. A la chute de l’URSS, dit ce scénario réécrit, l’Occident américanisé a entrepris de convertir la Russie à son modèle économique, de l’encercler et de l’affaiblir pour transformer en victoire ce qui aurait dû être l’organisation d’un nouvel équilibre en Europe. L’Ukraine était l’assaut de trop.
En fait, si d’anciens vassaux soviétiques ont voulu la protection de l’OTAN (demandez-le aux Polonais ou aux Baltes !), c’est qu’ils avaient pour cela, sans y être poussés, de bonnes raisons. Et si le basculement russe dans l’économie de marché s’est traduit par un pillage généralisé, pourquoi chercher des coupables au-dehors ? C’est vrai que l’Occident s’est accommodé de ces dérives, et que la Suisse, par exemple, n’est pas trop regardante sur les fortunes qui s’investissent ici, en particulier dans l’immobilier.
L’ébranlement ukrainien, si proche en effet du cœur russe, a radicalisé le récit poutinien dans une propagande frénétique dont l’Europe avait perdu le souvenir, et dont le président russe est maintenant prisonnier. L’opinion chauffée à blanc acclame son intransigeance aventuriste ; elle risque de le lâcher s’il devient accommodant. Et Poutine, note à Moscou un esprit libre, est en train de réaliser dans les faits ce qu’il dénonçait : la Russie, par ses actions, s’entoure d’adversaires méfiants.
C’est bien sûr une situation extraordinairement dangereuse. Que peut faire l’Europe ? Il vaudrait mieux qu’elle adopte une stratégie unie et claire, offensive mais ouverte. Elle ne devrait pas accepter mollement les coups de boutoir russes. Mais elle devrait aussi désamorcer la propagande du Kremlin en faisant apparaître son mensonge. En avançant un plan, en Ukraine, qui garantisse l’intégrité du pays, mais aussi ses relations nécessaires et apaisées avec tous ses voisins, en particulier la Russie.
L’Union européenne n’est hélas pas sur ce chemin. Elle étale, semaine après semaine, ses incertitudes et ses divisons. La France montre le pire des exemples, en soutenant Kiev d’une main, et en livrant de l’autre à la Russie des navires de combats. A Sébastopol?
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Quand il pleut des corps d’enfants