Le papier s’emporte
LE PAPIER N’EST PAS SEULEMENT UN SUPPORT MAIS UN MÉDIUM À PART ENTIÈRE. DÉCOUPÉ, DÉCHIRÉ OU UTILISÉ DANS SA FORME BRUTE, IL DEVIENT MATIÈRE DE FASCINATION POUR DE NOMBREUX ARTISTES.

L’EDEN D’ANDREA MASTROVITO
Avec une dizaine d’années de carrière et des expositions à Milan, Bruxelles, Genève, New York et Paris, Andrea Mastrovito a déjà été remarqué par l’olympe de la mode. Il a été invité à décorer la boutique Dior Homme de la rue Royale à Paris, qu’il a infesté de papillons noirs, et a été impliqué dans la campagne du dernier parfum Miss Dior. A travers ses dessins, Mastrovito construit un monde parallèle, un éden imaginaire, lieu de toutes les incertitudes, fantaisies et obsessions. Dans cette végétation luxuriante font apparition à tour de rôle des anges, des Superman, des tigres, des enfants, des chauves-souris et des femmes langoureuses ainsi que l’artiste lui-même. Dans une des dernières séries on retrouve des scènes de martyre inspirées de l’Evangile selon Jésus-Christ de l’écrivain portugais José Saramago, Prix Nobel de littérature en 1998. Dans l’histoire réécrite et revue par l’auteur athée, il n’y a qu’un élément qui est parfaitement fidèle à la réalité: une liste de martyres longue de quatre pages. Redevable à ce que l’iconographie religieuse a signifié pour l’histoire de l’art, Mastrovito étudie l’histoire de ces personnages et les invite dans sa nature mystérieuse et sauvage où l’entaille du découpage signifie le sentiment de violence subie. Dans la série «Martyrs» Mastrovito s’inspire de personnages réels et illustre la violence en faisant dialoguer le dessin et le découpage de manière à ce que le papier prenne vie.
Le découpage est son instrument pour faire dialoguer le dessin avec son support: les éléments figuratifs semblent souvent vouloir s’évader du papier et s’émanciper de la platitude, comme dans la série «Encyclopédie des Fleurs» ou encore dans «The Island of Dr Mastrovito». Ce dernier est un projet réalisé en 2010 à Governors Island, une île de la baie de New York à quelques minutes de Manhattan, sur invitation de No Longer Empty, une organisation sans but lucratif qui investit d’expositions d’art les espaces urbains abandonnés à cause de la récession de 2008. Dans ces bâtiments, Mastrovito imagine une nouvelle faune et flore prenant vie grâce au dépliage de plus de 2000 livres. Les animaux et la végétation s’affranchissent de leur tâche d’illustration pour se pavaner en version tridimensionnelle. La patience nécessaire pour réaliser ce gigantesque trompe-l’œil témoigne de l’attachement obsessionnel de Mastrovito pour le papier qu’il ne cesse de couper, plier, photocopier jusqu’à l’utiliser comme support de projection. «Le papier représente la deuxième dimension, celle du mythe platonique de la caverne. Elle représente un substrat qui se prête à toute interprétation et que les artistes peuvent donc utiliser pour construire des idées, les débarbouiller». Eternel retour au papier mais avant tout perpétuel renvoi entre sa fonction illustrative, sculpturale et décorative. Ce matériel, si fragile et multiple, s’adapte parfaitement à un discours qui évite toute affectation ou pathos en brouillant sans complexe culture populaire et références artistiques. La transgression des formats et des genres: les héros d’enfance s’immiscent parmi les philosophes, les martyrs aux figures sensuelles, la guerre à l’humour. Un univers intriqué et intrigant.
Galerie Analix Forever, rue de Hesse 2, 1204 Genève, 022 329 17 09, www.analix-forever.com Dans un registre manifestement plus léger, l’artiste réxume les héros de son enfance avec le découpage «comment expliquer le monde à mon neveu».
THOMAS HIRSCHHORN, L’ELOGE DE LA PRECARITE
Le papier est également un médium utilisé par Thomas Hirschhorn dans ses assemblages. Son intérêt pour ce support réside dans le fait qu’il appartient aux matériaux pauvres qu’il peut récupérer pour construire ses installations. Papier, scotch, carton, feuilles de plastique et d’aluminium; pour Hirschhorn, la précarité est symbole d’immédiateté et se prête donc au discours universel de l’art. «Le précaire est toujours inventif ; le précaire est toujours en mouvement ; le précaire conduit toujours à de nouvelles formes ; le précaire tente toujours un nouvel échange entre êtres humains». Pour la Biennale de Venise en 2011, il déconcerte le public avec un dispositif basé exclusivement sur la récupération, « Crystal de la résistance », où l’accumulation des objets ne permet pas d’avoir une vision d’ensemble mais plutôt une relation labyrinthique à l’œuvre. Le visiteur se promène au milieu des prismes en aluminium, mobilier en plastique et piles de télévisions scotchés, vieux livres, pages de magazines formant des rideaux. Que signifie ce scénario complexe ? L’artiste n’offre aucune réponse mais donne plutôt une forme complètement nouvelle et personnelle aux contradictions de notre existence. Pour que l’œuvre soit accessible et non exclusive, le collage s’impose comme le moyen le plus puissant, le plus direct, voire « explosif ». Controversé pour avoir critiqué Blocher et ainsi causé une coupure de deux millions de francs aux caisses de Pro Helvetia, l’artiste n’aime pas pour autant le label d’artiste politique. Il affirme que l’art ne doit pas résister à quelque chose car il est résistance en soi. L’oeuvre «Crytal of Resistance» a été présentée par Hirschhorn à la Biennale de Venise en 2011.
Galerie Susanna Kulli, Dienerstrasse 21, 8004 Zurich, 043 243 33 34, www.susannakulli.ch
LES TROMPE-L’ŒIL DE VIK MUNIZ
Vik Muniz est actuellement un des artistes brésiliens les plus réputés du monde. Beurre d’arachide, confiture, chocolat, sucre, fil métallique, poussière et diamants figurent sur la liste incongrue des matériaux qu’il a utilisés pour ses portraits. Dans ses travaux récents, Muniz emploie des déchirures de magazines pour représenter des classiques de la peinture. Après avoir pris en photo ces reproductions, il les détruit. Sculpteur ou photographe ? Né dans une famille modeste, Muniz dit avoir grandi et vécu à travers les images et le dessin, ayant, dès son plus jeune âge, plus de facilité à dessiner qu’à écrire.
Passionné par l’image et par la perception de celle-ci, il travaille d’abord dans la publicité à New York avant de connaître le succès comme artiste dans les années 90. Le documentaire «Waste Land», sorti en 2010 et nominé à l’oscar en 2011, ne fait qu’accroître l’engouement pour l’artiste dont les œuvres s’achètent à des centaines de milliers de dollars mais qui n’a pas oublié l’enfant pauvre qu’il était. Durant ce projet de trois ans, Muniz réalise le portrait des gens qui ramassent et trient les déchets dans une de plus grandes décharges à ciel ouvert de Rio de Janeiro. Des portraits exécutés, cela va de soi, avec des déchets. A travers ses œuvres simulacres, l’artiste sonde la nature de la représentation visuelle. Représenter les grands de la peinture avec des confettis de papier nous suggère que c’est notre mémoire collective à avoir mâché ces classiques. Images vues et revues à outrance dont on mesure l’énorme pouvoir référentiel. Notre mémoire visuelle est questionnée par ces déjà-vu qui se révèlent être autre chose, un clin d’œil au pop art auquel Muniz rend hommage avec un portrait de Warhol… en chocolat.
Galerie Xippas, rue des Sablons 6, 1205 Genève, 022 321 9414, www.xippas.com
Les oeuvres de Muniz sont des photos de compositions réalisées en papier. Ce n’est qu’après un examen attentif que l’on découvre la vrai nature des assemblages Crédits photos: Courtesy 1000eventi gallery, Milano, Galerie Xippas
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