Horlogerie: pourquoi le Japon est une exception
Alors que les exportations horlogères suisses se sont encore contractées en mai - leur valeur ayant perdu 9,7% par rapport à l’année passée, pour s’établir à 1,6 milliard de francs – et qu’elles devraient encore chuter suite au Brexit et à l’appréciation du franc, les marques de haute horlogerie confirment, par leur choix de lancement, vouloir proposer à leur clientèle des modèles accessibles par leur prix et leur design.
C’est le cas de Vacheron Constantin qui invitait il y a quelques jours toute l’Asie et une partie des journalistes européens à faire le déplacement à Tokyo pour assister au lancement de la montre Overseas. Modèles automatique, chronographe ou worldtime, bracelet caoutchouc, cuir ou acier interchangeables, les montres ont été conçues pour plaire au plus grand nombre. Malgré la légère augmentation du yen ces derniers temps, le Japon demeure, en Asie, le troisième pays d’exportation en volume pour Vacheron Constantin derrière Hong Kong et la Chine et dans le top 5 mondial.
Pour la marque dont la présence historique au Japon remonte à 1842, le challenge est de rester au plus haut niveau en termes de service - un critère fondamental pour réussir dans l’Archipel - et booster sa clientèle locale.
Une culture du luxe
Extrêmement complexe dans son mode d’achat et dans sa segmentation, le marché japonais a toujours eu valeur de test (tout comme l’Italie en Europe) en matière d’horlogerie haut de gamme. Mature dans sa connaissance et sa culture du luxe, il symbolise un examen de passage important dans le lancement d’un modèle. Yann Bouillonnec, directeur international de la marque présent au lancement Overseas précise : « Pendant 20 à 30 ans, le Japon a été leader dans l’industrie du luxe, car c’était le premier pays d’Asie à s’être ouvert aux marques de luxe dans les années 1980. Et actuellement, les entreprises basées à Tokyo qui ont investi dans les nouvelles technologies nous permettent de trouver une autre clientèle locale, plus jeune ».
Ce paramètre compte aujourd’hui, dans le contexte des politiques douanières chinoises extrêmement dissuasives pour le touriste chinois qui veut acheter une montre ou tout autre objet en dehors de la Chine. Depuis le 08 avril, il doit s’acquitter de 60% de la valeur de l’objet acheté en rentrant au pays. Les marques de luxe au Japon ont donc tout intérêt à dynamiser leur clientèle locale.
Un comportement d’achat unique en son genre
Le Japon est un pays de service et le Japonais un client exigeant en la matière. Depuis toujours, il aime développer une relation de confiance avec le vendeur. Cela passe par un conseil très ciblé en fonction de la personnalité et du mode de vie du client, le respect d’un rituel de vente, et une patience à toute épreuve. Car le Japonais n’achète pas à l’instinct, ni en trente secondes.
Yann Bouillonnec : « Au Japon une vente peut prendre de trois à six mois avant de pouvoir se conclure. Le client va rentrer dans le magasin, regarder la montre, prendre des détails techniques, se faire conseiller, comparer. Il y a tout un processus, un cérémonial, qui impose une durée de vente très longue. Le client japonais prend son temps. Ce n’est pas une négociation, c’est une manière de faire. Les vendeurs connaissent bien leur client. Et ce n’est pas parce que ça prend trois mois que la vente ne va pas se faire. C’est une autre culture du service, extrêmement dédié. »
Un marché fortement segmenté
Le Japon est un pays de « department stores », dont la présence remonte à la fin du 19ème siècle déjà. Isetan, Mitsukoshi, Takashimaya, ces centres commerciaux, des tours souvent hautes de dix étages concentrent absolument tous les types d’achat, dont des étages complets consacrés à l’horlogerie. Mais les places sont chères.
« Avoir sa propre boutique de 500 m2 dans un département store est souvent hors de prix, raconte Yann Bouillonnec. Il y a donc un réseau de magasins multimarques horlogers, comme en Europe, qui sous-louent des espaces dans les centres commerciaux. C’est l’origine de la distribution sélective de luxe au japon. Mais un autre segment s’est développé ces dernières années à Tokyo : les boutiques en propre sur Ghinza, l’avenue la plus connue pour le shopping. » Vacheron Constantin a d’ailleurs décidé d’investir dans une boutique sur trois étages, sur cette artère du luxe, juste à côté de Mitsukoshy.
Les habitudes d’achat du client japonais, toujours très zen et respectueux du cérémonial sont antinomiques avec celles des touristes, en majeure partie chinoise.
Le directeur international poursuit : « Sur les artères principales, dont Ghinza, le business est apporté à 50% par les Chinois. Les japonais ont donc pris l’habitude d’aller vers des magasins plus calmes, où ils connaissent les vendeurs, où ils savent qu’ils vont être reçus selon les codes japonais. Nous avons aménagé le rez-de-chaussée de notre boutique de Ghinza pour la clientèle de passage et le 1er étage pour la clientèle japonaise, plus zen, où elle n’est pas mélangée à la foule. La segmentation se fait donc également dans un même magasin ! »