Bienvenue chez Sam Stourdzé
Pour le jeune directeur du Musée de l’élysée, le design, tout comme la photographie, est une histoire à raconter, une matière toujours vivante, animée par le génie et l’époque de son concepteur.

A quelques minutes du centre-ville lausannois, Sam Stourdzé nous accueille dans son appartement avec un bon café fumant dans des petites tasses jaune canari. Nous nous dirigeons vers le salon en suivant les motifs géométriques dessinés sur le sol du long couloir. Pas de pièce ni d’objet imposant dans cet appartement au charme discret et authentique où il vit avec sa compagne et sa fille de 10 ans. « Nous avons choisi l’appartement sans même le visiter car je savais exactement dans quel quartier je voulais habiter. J’avais même défini sur une carte un périmètre allant d’Ours à Montchoisi en passant par Florimont. On m’avait dit que le charme de cette ville est de pouvoir habiter à la campagne mais je n’étais pas encore prêt. J’aime habiter le centre des villes, je suis un urbain !». La ville donc, son brassage, ses battements nourrissent l’esprit observateur de ce Parisien de 38 ans qui depuis mai 2010 orchestre le rayonnement du Musée de l’Elysée qu’il a déjà doté d’un café-librairie et d’un magazine semestriel, « Else ». Au fil des expositions, la programmation aiguise l’œil critique et la curiosité du public qui découvre autant de regards croisés, et perçants, portés par des images qui divertissent, questionnent… et dérangent. Comme dans le cas des photos autour de la cause palestinienne réalisées par l’artiste Larissa Sansour, exclues du Prix Lacoste Elysée car jugées trop politisées par la marque. Ce jeune directeur a su faire le choix difficile de suspendre le prix et de réaffirmer son soutien à la liberté artistique. Alors que les médias se focalisent encore sur la polémique, au moment de notre rencontre il n’y a qu’une idée qui le travaille: «Les huit artistes prometteurs nominés pour le prix sont les grands perdants dans cette histoire. Notre rôle est de les soutenir et de trouver des solutions pour que leur travail soit visible.»
Vue du salon et des fameuses chaises «Fourmi» de Jacobsen.
OBJETS ANECDOTIQUES
Avant d’arriver au salon, notre regard s’arrête sur un étrange triptyque. Trois vieilles photos dont les sujets interpellent par la même sévérité du regard. On découvre le visage de grand-mère Stourdzé dans un superbe portrait à l’esthétique cinématographique du mythique studio français Harcourt. Puis l’image d’une femme assise, figure évanescente d’une religieuse. Enfin le portrait de Baudelaire signé Carjat que Stourdzé nous raconte avoir remarqué durant un week-end chez un marchand de vieux papiers à une heure et demie de Paris et décidé de ne pas l’acheter à cause de sa couleur jaune. «Une fois de retour à Paris, je n’ai pas cessé d’y penser. Le lendemain, j’ai finalement repris la route pour aller le récupérer. On peut se fixer des règles sur la qualité des œuvres, mais quand on a un coup de cœur, il ne faut pas hésiter!». Malgré cet épisode, Stourdzé dit ne pas se considérer comme un collectionneur, ne pas posséder l’esprit chasseur ou le sentiment de quête permanente. « Je ne suis pas un obsessionnel mais il y a des photos que j’aime et que j’ai pu acheter. Elles marquent des moments forts». Pour lui il n’est jamais question de possession mais plutôt de commencer une histoire. Comme cet ensemble de photos en noir et blanc de la lune et des planètes que nous découvrons dans le living-room. Il a commencé à les acheter simplement parce qu’à l’époque sa chambre, dans un petit appartement du XIe arrondissement parisien, est ronde. Ce détail architectural l’amuse au point de décider de faire écho à sa rondeur en ramenant des représentations liées à la lune. Aujourd’hui c’est une petite collection qu’il affectionne « parce qu’elle mêle l’approche scientifique, celle de documenter l’espace, à un résultat poétique ». L’assemblage ne manque pas d’humour car, parmi les photos, nous discernons la photo d’un homme-canon dûment botté et casqué qui se fait propulser. Un amour du détournement et du décalage auquel le public de l’Elysée a été déjà initié l’hiver passé avec la détonante exposition «Culture et Contre-culture dans la photographie suisse.»
Le living-room respire particulièrement ce mélange sobre et joyeux auquel tient la convivialité de cette habitation. Un canapé scandinave de 1957 au volume discret mais d’un rose fulminant converse avec un solide fauteuil noir de Pierre Paulin ainsi qu’une chaise Dax de Charles Eames dans sa version originale en fibre de verre jaune striée par des rides. « J’aime le mobilier. Il garde sa valeur d’usage, on l’utilise, on s’assoit dessus. C’est l’opposé d’une approche muséale où parfois les objets sont momifiés, placés sous cloche. Je préfère les matériaux d’origine aux rééditions parce qu’ils se patinent, parce qu’ils racontent l’Histoire. Je suis à la cherche des marqueurs du XXe siècle, la photographie, le cinéma, le mobilier en sont des bons exemples». Valeur iconique rime avec valeur fonctionnelle pour ces pièces épurées des années 60 et 70, indiscutablement sa période de prédilection en matière de design. Alors que dans la salle à manger la chaise Fourmi de Arne Jacobsen fait belle figure autour de la table recouverte d’une nappe vintage fleurie, un petit chevet sur roulettes, le Robot de Joe Colombo de 1969, sert de rangement dans la chambre à coucher. Designer italien décédé en 1971 à l’âge de 41 ans, Colombo a, en seulement douze ans d’activité, marqué l’histoire du design grâce à sa recherche sur les formes modulables qui ont donné naissance à son fauteuil en tubes. Son chariot en plastique blanc a fait son entrée dans l’appartement depuis peu car récemment Sam raffole des meubles en plastique des années 70. «Ce plastique s’appelle ABS, chez les designers il y a cette recherche permanente sur les matériaux, domestiquer les matières, avec le plastique, nous voilà vingt ans après la fibre de verre.»
Une tête de Bouddha de Cambodge et des peintures d’Indonésie.
LA PHOTOGRAPHIE ET SES PERIPLES
Sam Stourdzé réunit voracité intellectuelle et détermination d’acier. Peu de temps après avoir attrapé le virus de la photographie, il se lance avec succès en tant que commissaire d’exposition indépendant. L’élément déclencheur ? Un livre, « Les Américains » de Robert Frank, qui électrifie un Sam Stourdzé âgé de 20 ans alors en Californie pour un séjour linguistique. Les images en noir et blanc du grand photographe d’origine suisse sont comme une secousse, une révélation : «Je suis entré en photographie comme on entre en religion». La rencontre avec la photographie américaine marque le début d’une activité de commissaire et d’une intense période de voyages entre nouveau et vieux continent afin d’emprunter des œuvres américaines et de les exposer en Europe. Mais aujourd’hui Sam Stourdzé est un Lausannois à part entière. Il aime ses nouvelles habitudes, patrouiller son quartier et s’arrêter boire un ristretto, au café Saint Pierre par exemple. De temps en temps le week-end il se rend à l’Elysée en incognito pour sonder les réactions des visiteurs, pour s’assurer qu’au fil des expositions le public puisse connecter avec l’esprit même du musée. «J’aimerais que l’on aille au Musée de l’Elysée, presque les yeux fermés, en faisant confiance à l’expertise du musée, un peu comme il nous arrive de choisir un livre en faisant confiance au nom de l’éditeur».
Travail à part, il aime voyager en Asie. Dans le salon sourit sereinement une statue en béton, reproduction de l’original du Musée national de Phnom Penh représentant le monarque cambodgien Jayavarman VII en Bouddha. Une œuvre qui ne demande qu’à être touchée « car c’est justement la graisse des doigts qui, au fil du temps, va lui conférer sa patine ». A la cuisine le mur est égayé par des peintures sous verre provenant de Bali aux couleurs contrastées. De ces voyages il ramène aussi très volontiers des foulards dont il avoue avoir un petit arsenal. Exception faite pour les foulards et les livres, place à la modération : «Si je me laissais aller je serais certainement un accumulateur mais ma compagne ne l’est pas et elle jette volontiers ce qui est superflu, et c’est mieux comme ça !». Pas d’accumulation, pas d’encombrement, juste l’essentiel pour laisser libre cours aux pensées.
Crédits photos: Matthieu Gafsou
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