Mais où sont passés les produits financiers?
La profusion de véhicules de placement a laissé place à un désert depuis 2008. La faute aux clients, aux banques ou aux régulateurs? Décryptage d’un bouleversement dans l’industrie de l’investissement.

Jusqu’à 2008, l’industrie des produits financiers battait son plein. Les banques lançaient à un rythme frénétique de nouveaux fonds de placement, produits structurés ou fonds de hedge funds. Chaque jour, les établissements communiquaient sur le dernier-né de leur gamme barrier reverse convertible, ou vantaient leur dernier fonds Greater China. En feuilletant les journaux, on voyait se multiplier les maxipages d’annonces flattant le coupon prodigieux d’un structuré, accompagné d’un graphique éloquent. Mais depuis la faillite de Lehman Brothers fin 2008, tout a changé: l’industrie des produits financiers a connu un coup d’arrêt dont elle ne s’est pas encore relevée. Les sorties de produits se sont raréfiées, et plusieurs types de véhicules – comme les structurés à barrière, les warrants, les fonds thématiques ou les fonds absolute return – sont sortis du marché. Alors que le cash dans les portefeuilles des investisseurs reste à des niveaux records, les fonds de placement peinent à y dépasser une part de 35%, et les structurés n’en composent que 4,5%. La commercialisation de produits bancaires semble traverser une refonte de son modèle d’affaires. Que s’est-il passé? Enquête auprès de conseillers et de gestionnaires de la place de Genève. Les clients restent très frileux
La première cause est à trouver dans le manque d’appétit des clients. Qu’ils soient privés ou institutionnels, les investisseurs n’ont pas gagné d’argent depuis 2008, y compris dans les hedge funds (de septembre 2008 à ce jour, les fonds alternatifs ont perdu 2,7%, selon l’indice général HFRX). «Les clients ne cherchent plus de produits, ils veulent des conseils, résume Nicole Curti, directrice à Genève de la maison de gestion londonienne Stanhope Capital, une firme de conseil qui se refuse à distribuer des produits. Ils veulent comprendre la situation économique, savoir comment structurer l’ensemble du portefeuille.» Les pertes élevées en 2008 sur les structurés à barrière (worst off), sur les produits Lehman vendus par Credit Suisse, sur les fonds absolute return, et suite à la bombe Madoff, ont eu un impact majeur sur la perception des investisseurs face au marketing bancaire. «Les caisses de pension ne montrent pas d’intérêt pour les produits structurés, et les privés en sont moins friands, témoigne un vétéran de l’industrie. Les émetteurs recrutent moins de vendeurs. L’industrie des produits doit se repenser, y compris dans le domaine des hedge funds.» Il y a moins d’émetteurs
Une explication importante réside dans la disparition d’un certain nombre d’acteurs: Lehman Brothers, Clariden, qui a été intégrée à Credit Suisse le 2 avril, Sal. Oppenheim, rachetée par Macquarie en 2010, et la Banque Sarasin vendue à Safra fin 2011. «La qualité de l’émetteur est importante, or beaucoup d’entre eux ont connu des débâcles, surtout ceux qui avaient été portés aux nues pour la qualité de leurs produits et leur innovation, explique Gilles Corbel, responsable des produits structurés à la BCV. Les banques cantonales ont tiré leur épingle du jeu en récoltant les fruits de leur prudence.» Les banques ne sollicitent plus le public
Avant la chute de Lehman, la publicité bancaire massive que l’on pouvait voir soulignait le rendement ou les vertus de diversification du produit. Cela a radicalement changé après 2008. La publicité négative générée par les nombreux témoignages de clients dans les médias, racontant comment «ils se sont fait avoir», s’organisant pour demander réparation à travers des associations comme l’ADEAR (Association de défense des épargnants en absolute return d’UBS), ou se mobilisant en vue de plaintes collectives dans l’affaire Madoff, a montré les risques du démarchage actif et coûté parfois cher aux banques en les incitant à rembourser des clients. «Les banques ont une clause de responsabilité; il y a eu des arbitrages monstrueux en coulisses, tous les gros clients ont été remboursés dans bien des cas», résume cet insider. Cela a mené les établissements à réduire les appels au public. D’autant que dans les cas de fraude comme Madoff, le démarchage officiel a joué en leur défaveur sur le plan juridique. Discrétion Les banques ont réduit les appels au public et le démarchage. Le client négocie plus durement les frais
Rentabiliser un produit n’est plus aussi simple qu’avant. Les clients devenant de plus en plus pressants sur les conditions, l’empilement des frais devient problématique. Cela est vrai tant pour les structurés que pour les fonds de hedge funds, qui peinent à justifier leurs multiples couches de commissions et les marges bénéficiaires que s’octroient les banques. D’une manière générale, l’ensemble des produits a été touché par les mesures visant une plus grande transparence, surtout en ce qui concerne les rétrocessions. «Chaque gestionnaire se voit confronté à la pression des clients qui questionnent les agios à la souscription, et les rétros payées», témoigne un consultant bancaire. La réglementation agit comme un frein sévère
La directive européenne MIFID, à laquelle la Suisse s’adapte progressivement, rend les conseillers responsables de l’adéquation des produits qu’ils vendent au degré de sophistication du client. Des produits complexes et risqués comme l’alternatif, les dérivés ou les stratégies à effet de levier ne doivent être proposés qu’à des investisseurs qualifiés (institutionnels et gros privés). Les banques doivent aussi davantage communiquer sur les risques. «A présent, elles ne peuvent plus mettre uniquement l’accent sur le rendement. L’information sur les risques doit être immédiatement compréhensible et ne pas figurer en note de bas de page, explique Malik Khalfi, fondateur de Breakfee, société de conseil indépendant à Genève. Avec la prise de conscience, le client devient plus frileux. La demande diminue, et donc l’offre diminue.» Les produits se cantonnent aux mandats de conseil
Le grand public n’est plus une cible aussi recherchée. Les banques créent toujours des produits, mais à moindre échelle, et les réservent à leurs clients. Michel Juvet, associé de Bordier & Cie, observe de par ses contacts sur le marché que dans le cadre des mandats de conseil (advisory), des produits sont toujours largement proposés. «La vente de produits reste à la base du métier de l’advisory: le conseiller appelle le client pour lui recommander des produits. La banque et le client sont alors satisfaits car ils ont l’impression de faire du sur-mesure. Mais souvent, l’addition de produits structurés devient antinomique avec une vraie politique d’investissement.» Chez Bordier, souligne l’associé, «nous préférons, comme pour les mandats de gestion, les lignes directes en actions, obligations ou fonds». Enfin, les taux bas sont défavorables
Dans le domaine des produits structurés, il faut également évoquer la faiblesse des taux d’intérêt, défavorables car ils augmentent les coûts des options, rendant ces produits moins rentables pour leurs émetteurs. Or les taux bas, en Europe comme aux Etats-Unis, semblent s’installer dans la durée. «Les gammes de produits à capital garanti ont disparu à cause de cela, explique Gilles Corbel. Le dernier produit garanti à 100% émis par la BCV remonte à juillet 2011.»
Que disent les chiffres?
Dans les fonds de placement autorisés en Suisse, la situation stagne depuis cinq ans. Fin février 2012, les avoirs gérés par des fonds se situaient à 655 milliards de francs, contre 670 milliards en février 2007. Dans le domaine des produits structurés, l’inflexion est plus nette. Les clients des banques suisses détenaient des structurés d’une valeur totale de près de 350 milliards de francs en 2007, contre 187 milliards aujourd’hui, d’après le bulletin de la BNS. Seuls les ETF ont échappé à ce désamour, sans doute en raison de leur liquidité, de leur simplicité et surtout de leurs faibles coûts. Les chiffres du leader iShares (BlackRock) pour l’Europe (il n’en existe pas pour la Suisse) montrent un triplement des encours des clients sur 5 ans, de 40 à 120 milliards de dollars.
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