Le sport, un terrain de jeu très risqué
Amancio Ortega est discret. Sa devise: «Il faut apparaître dans les journaux trois fois: quand on naît, quand on se marie et quand on meurt.» Difficile quand on est l’homme le plus riche d’Europe, la troisième fortune mondiale, et qu’on est à la tête d’un empire bien diversifié (lire page 42). Le fondateur de Zara s’est offert le Deportivo La Corogne, club de football de sa ville natale. L’aisance financière du milliardaire espagnol ne rime toutefois pas avec objectifs démesurés et transferts faramineux.
Il en va de même pour François Pinault, dont la famille, troisième fortune française, affiche un patrimoine supérieur à 15 milliards. Il possède le Stade Rennais depuis 1993, mais, au grand dam des supporters du club, ne met pas sa force de frappe financière au service d’un projet ambitieux. Les médias français aiment à répéter qu’il a, en théorie, plus d’argent que l’AS Monaco de Dmitry Rybolovlev ou que l’Olympique de Marseille de Margarita Louis-Dreyfus.
Roman Abramovich joue, lui, dans une tout autre ligue. En 2003, l’oligarque pose ses valises au Chelsea Football Club et efface une ardoise de 120 millions d’euros. En 2011, le club débourse 58 millions d’euros pour faire venir l’attaquant Fernando Torres, mais ce n’est qu’en 2012 que le club atteint son objectif en remportant la très convoitée Ligue des champions. Neuf ans pendant lesquels Roman Abramovich a injecté environ 3 milliards d’euros dans Chelsea, tout en soutenant le CSKA Moscou.
«Pour se mettre à niveau, les clubs concurrents cherchent de nouveaux actionnaires», explique Bastien Drut, auteur du livre Economie du football professionnel. Ainsi, les clubs italiens, traditionnellement détenus par de grandes familles du pays, peinent à suivre les augmentations de budget. Si la famille Agnelli – propriétaire de Fiat – et Silvio Berlusconi se maintiennent à la tête de la Juventus et de l’AC Milan, certains clubs se retrouvent en mains étrangères.
C’est le cas de l’Inter Milan, dont l’industriel italien Massimo Moratti, en difficulté financière, n’a eu d’autre choix l’année passée que de céder 70% à l’homme d’affaires indonésien Erick Thohir. Montant de l’opération: 300 millions d’euros.
«Les investisseurs privés savent qu’ils vont perdre de l’argent en investissant dans le football. Chelsea est en déficit chronique et c’est aux investisseurs de remettre les comptes à l’équilibre», explique Bastien Drut. Une somme qui peut aller jusqu’à 200 millions d’euros.
Pour Bastien Drut, trois raisons peuvent pousser les investisseurs privés à dépenser des dizaines, voire des centaines de millions d’euros dans un club de football sans retour direct sur investissement. «Certains, passionnés, prennent ça comme un divertissement et y jouent comme s’ils jouaient à Football Manager sur leur ordinateur.»
Pour d’autres, il s’agit de sortir d’un pétrin médiatique. C’est le cas de Mohamed Al-Fayed. A la fin des années 1990, désireux d’améliorer son image entachée par des scandales économiques et politiques, il avait fait diversion notamment en achetant le Fulham FC.
Enfin, «dans un grand nombre de cas, ces investisseurs désirent acquérir une notoriété dans le but de faciliter le développement de leurs affaires», explique encore Bastien Drut.
Ainsi, Dmitry Rybolovlev a déjà investi plus de 135 millions d’euros dans l’AS Monaco. Il se pourrait que ce soit par pure passion, ou pour le plaisir d’inviter des joueurs mondialement connus à sa table. Il se pourrait aussi qu’un tel investissement lui permette d’être sélectionné pour participer à l’augmentation de capital d’environ 200 millions d’euros de la Société des bains de mer (SBM). Des casinos, des hôtels de luxe, des lieux de fête ou encore des restaurants qui constitueraient une excellente diversification pour l’homme d’affaires russe.
Une ligue asiatique
Deux semaines de compétition, sept matches: Rafael Nadal a gagné 1,65 million d’euros en remportant Roland-Garros. Il pourrait en gagner presque autant en une seule journée: un groupe d’investisseurs privés asiatique lui propose un million pour une soirée.
Avec Novak Djokovic, Serena Williams, Pete Sampras et bien d’autres, l’Espagnol fait partie des joueurs présélectionnés par les organisateurs de la première édition de l’International Premier Tennis League (IPTL). Cette ligue indépendante de la fédération internationale a été créée par Mahesh Bhupathi, joueur indien de double, associé à l’ancien champion allemand Boris Becker.
Le principe: les quatre villes organisatrices, Singapour, Bangkok, Bombay et Dubaï, s’affrontent en 24 matches en deux semaines au total, qui se dérouleront en fin d’année.
Au total, les investisseurs des quatre villes – aussi appelées «franchises» - ont déboursé 24 millions de dollars pour donner naissance à cette ligue asiatique. Les organisateurs témoignent: la grande demande de tennis des fans asiatiques n’est pas satisfaite par le circuit traditionnel. L’accès aux quelque 4,3 milliards d’âmes du continent asiatique a de quoi faire saliver plus d’un investisseur.
«Il y a de plus en plus d’acteurs qui sont en mesure d’avoir un impact considérable sur ces marchés», explique Bastien Drut qui rappelle notamment que le Qatar gère un fonds souverain de 130 milliards de dollars. Mais le sport reste du sport et le vainqueur n’est pas toujours le plus riche.