Le Brexit fait grimper les ventes de vins de Bordeaux
Le 18 mai 1152, Alienor, duchesse d'Aquitaine, épouse à Poitiers Henri Plantagenêt, comte d'Anjou. Deux ans et demi plus tard, le couple règne sur la Normandie et l'Angleterre. Mais dans sa dot, la duchesse ramène tout le centre de la France, ainsi que son quart Sud-Est... avec ses vins. Même suzerain et transports plus aisés (la voie maritime est plus rapide que la voie terrestre à cette époque): les vins de Bordeaux vont rencontrer le succès à Londres bien avant de triompher à Paris. Et au fil des siègles, les domaines situés autour de la Gironde, de la Garonne et de la Dordogne améliorent leur qualité et renforcent leur prestige. Mais depuis Alienor et Henri, les prix sont restés libellés en devise anglaise, soit la livre sterling. C'est ainsi que le marché des vins de Bordeaux (et d'autres grands vins comme les Champagne) est coté en «pounds», à l'image de l'indice BI Live Trade Index.
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Or, avec le vote des électeurs britanniques en faveur du Brexit fin juin, la monnaie anglaise a fortement reculé, perdant plus de 10% de sa valeur par rapport à la plupart des autres devises de référence sur le marché des changes. Déjà fragilisée depuis quelques mois, elle a dévissé depuis fin juin. Le 19 novembre 2015, la livre valait 1,42€, 1,52$ et 1,54 franc; le 16 août 2016, elle ne valait plus qu'1,15€, 1,30$ et 1,25 franc. Entre 10 et près de 20% de recul en six semaines.
Baisse mécanique et éphémère des prix de près de 10%
Avec cette forte et soudaine baisse, de nombreux produits cotés en livre sterling sont impactés: pétrole de la Mer du Nord, cacao, or,... mais aussi les vins de Bordeaux. C'est ainsi que, pour des acheteurs internationaux, les prix en livres sterling ont mécaniquement baissé de près de 10% sur le marché, notamment selon le BI Live Trade Index, comme l'indique le Financial Times. De quoi susciter la soif des amateurs internationaux de grands crus de Bordeaux et surtout l'appétit des investisseurs en quête de placements sûrs pour le long terme.
Or, avec la baisse des taux d'intérêts et les fluctuations des cours de la bourse, le vin apparaît de plus en plus comme un placement très lucratif. Et avec la multiplication des canaux de vente (vente directe, vente primeurs, pré-réservations, vente aux enchères, ventes en ligne,...), de nouveaux acheteurs ont surgi. L'ouverture de nouveaux marchés en Asie avec le goût croissant des Chinois, Coréens, Taïwanais et autres marchés de la région amène également une demande supplémentaire sur le créneau, parfois autant attirée par le prestige ou les revenus offerts par ce produit que par les nectars en eux-mêmes.
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Mais le recul des prix des Bordeaux a pris de court de nombreux acteurs du secteur. La brutalité de la chute des cours a fait craindre d'importantes répercussions sur les intermédiaires et même les producteurs. D'où une décision radicale de la part de BI Wine: «Nous avons dû fermer certaines ventes de vins Bordeaux au lendemain du Brexit», explique ainsi Gary Boom, CEO de BI Wine, au Financial Times, visant é éviter l'explosion de la demande en raison d'un afflux d'acheteurs. Cette suspension n'a concerné que quelques grands crus sur les plus de 300 que prend en compte l'indice BI Live Trade.
Les cours ont monté de 15% depuis début 2016
Et effectivement, la baisse des cours n'a pas duré. Appatés par le recul des prix, de nombreux investisseurs se sont rués sur les grands crus et les prix ont immédiatement bondi. Sans atteindre les sommets de juin 2011 (indice de 150,51), les cours sont remontés de plus de 12% depuis juin (plus de 15% depuis début 2016), atteignant des niveaux jamais atteints depuis octobre 2011 (131,52).
Cette flambée des prix liée à un critère monétaire vient renforcer une tendance observée depuis plusieurs années: à l'instar d'autres produits (et surtout des matières premières), les cours des grands vins ne dépendent plus essentiellement de la qualité de ces crus en fonction des millésimes (critère devenu secondaire), mais d'effets de change, d'intérêt en termes de placements, de niveaux des performances boursières,... La Suisse en avait fait l'amère expérience après l'appréciation forte du franc consécutive à l'abandon du taux plancher, à moindre échelle il est vrai, en raison des volumes, de la part d'exportations,...
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