La Grèce a déjà fait faillite six fois dans l'histoire
Au 30 juin à minuit, si aucun accord n'est trouvé pour que les partenaires européens refinancent Athènes, la Grèce pourrait ne pas honorer ses échéances vis-à-vis du Fonds monétaire international. De fait, le pays se retrouverait en défaut de paiement. Cela enclencherait le processus de sortie de la Zone euro, qui perdrait pour la première fois un de ses membres. A ce jour, aucun pays n'a quitté l'union monétaire européenne, de gré ou contraint par un défaut de paiement.
Cependant, s'il s'agirait alors d'une première pour la Zone euro, ce ne serait pas une première pour la Grèce: depuis son indépendance en 1822, Athènes a connu plusieurs épisodes de banqueroute au fil des deux siècles passés. Les économistes américains Carmen Reinhart et Kenneth S. Rogoff, respectivement professeur de finance internationale à la Harvard Kennedy School et ancien chef économiste du FMI entre 2001 et 2003, ont pointé six épisodes de défaut de paiement de la Grèce entre la proclamation de son indépendance et l'adoption de l'euro.
Première faillite avant l'indépendance effective
La première faillite grecque intervient alors même que l'indépendance du pays n'est pas encore reconnue à l'échelle internationale. Quatre ans après la déclaration d'indépendance de l'assemblée réunie à Epidaure, les difficultés surgissent: le Comité Phillhéllénique de Londres a contracté deux emprunts à Londres en 1824 et 1825 pour financer la lutte des Grecs indépendantistes contre l'armée de l'Empire Ottoman. Or, sur les 2,8 millions de livres Sterling réunies, 40% seulement vont enrichir la cagnotte des indépendantistes, le reste étant réparti en commissions diverses. La guerre qui se prolonge et les besoins croissants de fonds vont entraîner un défaut de paiement dès 1826, connu sous le nom de «dette de l'indépendance».
Moins de vingt ans plus tard, en 1843, nouvel épisode de banqueroute du jeune pays. L'indépendance reconnue lors de la Conférence de Londres en 1830, le pays a besoin de s'organiser, de construire une administration et des infrastructures. Pour ce faire, le jeune gouvernement du Bavarois Joseph Ludwig von Armansperg (venu en tuteur du jeune roi Othon) souscrit un emprunt de 60 millions de francs français auprès de la Banque Rothschild de Paris en 1833. A nouveau, comme en 1824 et 1825, seule une partie de la somme arrive effectivement dans les caisses grecques. Le premier poste budgétaire du gouvernement (sous la triple tutelle de la Russie, du Royaume-Uni et de la France) est celui consacré au remboursement de la dette. Cependant, les besoins du pays sont tels que les remboursements sont arrêtés dès 1836, repris en 1840 puis définitivement arrêtés en 1843. Les banquiers parisiens ne retrouveront jamais intégralement leur mise.
Le cas de figure se répète quelques années plus tard, sur fond de tensions politico-diplomatiques. Le roi Othon et son entourage bavarois sont largement contestés par l'opinion publique et les élites locales et les leaders de la guerre d'indépendance remettent en cause la tutelle des grandes puissances. Celles-ci ne s'entendent pas, la Russie cherchant à utiliser la Grèce pour prendre l'Empire Ottoman en tenaille et à s'assurer un accès aux mers chaudes tandis que la France et la Grèce veulent disposer en Méditerranée orientale d'un allié dans le cadre de leurs politiques expansionnistes. L'engagement de la Grèce dans le conflit turco-égyptien entre le pacha Mehmet Ali et le sultan d'Istanbul achève de dégrader les finances helléniques: Russie, Royaume-Uni et France durcissent le ton sur le remboursement de la dette, occupant Le Pirée afin d'obtenir le remboursement des échéances en retard. Des négociations aboutissent à un échéancier qui prévoit des annuités de 900'000 francs. Mais dès 1860, Athènes avoue son incapacité à honorer ses engagements.
Les douanes de Corfou en guise de garantie
Après ces trois faillites en à peine plus de trente ans, les puissances tutélaires décident de reprendre le dossier de la dette grecque à sa genèse. En 1867, des négociations s'ouvrent sur le dossier de la «dette de l'indépendance»: les créanciers britanniques acceptent le principe d'une restructuration et renoncent à près des deux tiers de ce qu'Athènes leur doit: de 2,8 millions de livres, le montant encore dû est ramené à un million de livres, avec un taux d'intérêt moyen de 5%.
Mais cet accord négocié par un petit groupe d'experts est refusé par les deux parties: pendant onze ans, dirigeants grecs et britanniques (poussés par les banquiers de Londres) vont trouver un accord qui n'interviendra qu'en 1878. Conscients de l'impossibilité pour la Grèce de s'acquitter d'annuités élevées, les débiteurs britanniques acceptent de revoir le montant à la baisse et le fixent à 75'000 livres par an, tandis que la Grèce accepte de revoir le montant total encore dû à 1,2 million de livres. Toutefois, échaudés par les expériences des décennies précédentes, les Britanniques exigent des garanties de paiement et obtiennent que le fruit des bureaux de douanes de l'île de Corfou, en mer Ionienne, soit déposé annuellement sur un compte bancaire à Athènes. Des peines de prison sont même prévues au cas où le paiement ne serait pas honoré. Mais pendant ces onze ans, les jeux de change aidant, la valeur de la dette due continue d'augmenter.
Grâce à l'accord ratifié en 1878, la Grèce peut à nouveau emprunter sur les marchés dès 1879. Dans les quatorze années qui suivent, Athènes va emprunter l'équivalent de pratiquement 530 millions de francs auprès de créanciers parisiens, londoniens et berlinois. Mais moins de 25% de cette somme ira dans des investissements d'infrastructures pour développer le pays, le reste étant essentiellement voué aux dépenses militaires, la Grèce affrontant à plusieurs reprises ses voisins régionaux (avec des fortunes très diverses). Ainsi, un prêt contracté en 1890 à Londres et Berlin et destiné à financer l'édification de la ligne de chemin de fer entre Le Pirée et Larissa ne servira jamais à son but officiel. Peu à peu, imitant l'accord gréco-britannique de 1878, les autres créanciers exigent des garanties basées sur les recettes douanières.
Une commission de contrôle internationale
C'est dans ce contexte qu'intervient la cinquième faillite du pays. Sur invitation du gouvernement grec, un groupe d'experts français réalise un audit des finances du pays en 1892 et arrive à la conclusion qu'un défaut de paiement est inévitable. Sur consigne des autorités grecques, le rapport n'est pas publié. Mais dès décembre 1893, Athènes décide de suspendre le paiement des annuités à compter de janvier 1893. Après les protestations des pays créanciers, des négociations vont s'ouvrir et durer quatre ans, jusqu'à un nouvel accord en 1898 qui entérine un défaut de paiement partiel de la Grèce et un rééchelonnement du reliquat.
Mais, entretemps, la guerre gréco-turque est passée par là et Athènes a subi d'importants revers. Le gouvernement grec doit accepter de verser des indemnités de guerre à hauteur de quatre millions de livres turques. Si Athènes ne verse pas cette somme, les armées ottomanes menacent d'occuper le pays. Mais la situation financière est déjà catastrophique. La France, le Royaume-Uni et l'Allemagne acceptent de consentir un prêt de six millions de livres à Athènes qui évite ainsi l'occupation turque, mais doit accepter que ses créanciers mettent en place une «commission de la dette» qui conseille le gouvernement sur ses choix. Ce sont les membres de cette commission qui exercent une importante pression sur le ministère de la guerre pour réduire ses dépenses au strict minimum et poussent les autorités grecques à orienter le budget vers des investissements dans les infrastructures. Mais une partie de l'immense dette grecque est alors annulée.
La «commission de la dette» poursuit ses travaux tout au long du premier quart du XXe siècle: les conflits dans les Balkans, un autre affrontement avec la Turquie ou encore la Première guerre mondiale n'ont pas raison de cette institution et la Grèce honore ses engagements. Jusqu'en 1932. C'est seulement à la suite du krach de Wall Street en 1929 que de nouvelles difficultés apparaissent. En 1932, une commission internationale examine les finances grecques et réalise que les réserves sont au plus bas, rendant impossible le paiement des annuités. Face à cette situation, le gouvernement décide en avril 1932 de suspendre l'étalon-or et la convertibilité de la drachme, qui perd 50% de sa valeur en quelques jours. Les demandes d'Athènes à ses bailleurs de fonds pour un nouveau prêt ne rencontrent aucun écho positif et le gouvernement suspend le versement des échéances de la dette, pour un sixième défaut de paiement en 110 ans.
L'invasion allemande de 1941
Fin de la saga? Pas encore. Les tensions politico-militaires des années 1930 et le rapprochement entre la Grèce du dictateur Metaxas et l'alliance franco-britannique favorisent de nouvelles négociations dès la fin de l'année 1932. Celles-ci vont durer près de huit ans. En janvier 1940, un accord est signé avec les alliés occidentaux et les organismes financiers. Athènes peut à nouveau emprunter et s'acquitte de ses engagements. Mais la situation ne dure pas: l'invasion italienne puis allemande en avril 1941 provoquent l'arrêt des versements. L'occupation allemande s'achève en 1944, mais la guerre civile grecque ne permet pas la régularisation de la situation grecque. Ce n'est qu'à partir de 1949 qu'Athènes peut à nouveau emprunter et honorer ses engagements auprès des banques.
Ironie de l'histoire, c'est l'Allemagne qui avait été impliquée dans la sixième faillite grecque... et c'est désormais l'Allemagne et sa chancelière Angela Merkel qui sont désormais tenus pour responsable par certains Grecs de la situation actuelle qui pourrait déboucher sur un nouveau défaut de paiement. Qui serait le septième épisode du genre en moins de 200 ans.
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