«L’égalité fait aujourd’hui partie d’une bonne gouvernance d’entreprise»
Femmes Leaders a rencontré Sylvie Durrer, directrice du Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes. Alors qu’une fenêtre d’opportunité politique est ouverte au plan international pour les droits des femmes et l’égalité, elle explique comment la Suisse devrait elle aussi avancer sur ces questions de façon tangible en 2018.

Le 24 février aura lieu l’Equal Pay Day en Suisse. Les inégalités de salaires sont toujours de 15,1% entre hommes et femmes. Comment lutter contre? Une partie de ces inégalités s’explique par différents facteurs: formation, position professionnelle, secteur d’activité. On peut lutter contre certaines de ces inégalités par des mesures structurelles: encourager les filles à étudier dans tous les domaines, s’assurer que les activités vues comme ‘féminines’ soient aussi bien rémunérées que les activités dites masculines, promouvoir les femmes aux postes à responsabilité, faciliter la conciliation entre vie privée et professionnelle ou encore créer des places d’accueil pour les enfants.Mais il reste la part dite inexpliquée, qui est de 7% environ. Rapporté à l’ensemble de notre économie, il correspond à 7,7 milliards de francs –selon une estimation de l’OFS pour la seule année 2010-. C’est autant d’argent qui manque aux femmes et c’est énorme! La loi sur l’égalité permet bien évidemment à celles-ci de demander des comptes quand elles soupçonnent une discrimination mais une révision pourrait aussi bientôt exiger des entreprises qu’elles prennent leurs responsabilités. Justement, qu’en est-il de cette loi aujourd’hui, beaucoup de femmes y font-elles appel? Force est de constater qu’il y a peu de femmes qui sollicitent les tribunaux, comme l’a montré fin 2017 une nouvelle évaluation réalisée par l’Université de Genève à notre demande. Cette étude montre aussi que des dispositions importantes de la loi utiles pour la personne salariée sont malheureusement méconnues des professionnels du droit. Cela concerne par exemple l’allègement du fardeau de la preuve (au salarié d’apporter des indices de discrimination et à l’employeur d’apporter des preuves de non-discrimination). Par ailleurs, les actions en justice sont souvent longues et coûteuses, non du fait des frais de la procédure car celle-ci est gratuite mais en raison des frais d’avocat difficilement évitables. C’est pourquoi on ne peut pas faire porter toute la charge de la lutte contre les discriminations sur les individus. Il faut que les employeurs prennent leurs responsabilités et on observe un momentum sur cette nouvelle exigence. Cela concerne deux questions en particulier, le harcèlement sexuel et la discrimination salariale.Sur cette dernière question, l’ Islande , l’Allemagne, le Royaume-Uni viennent d’adopter de nouvelles lois. L’OIT, l’OCDE et l’Onu ont lancé une coalition internationale pour atteindre l’égalité salariale d’ici à 2030, appelée EPIC. Vous dites qu’on sent un momentum sur ces questions, où en est la discussion en Suisse? Un projet de loi est actuellement en discussion au Parlement. Il prévoit d’obliger les entreprises dès 50 employé-e-s à faire une analyse de leur pratique salariale au regard de l’égalité tous les quatre ans, à faire vérifier leur analyse par un tiers et enfin à communiquer les résultats aux salarié-e-s.Dans le cadre des travaux de préparation de ce projet, une vaste enquête représentative a été menée auprès des entreprises en Suisse, et a révélé que celles-ci sont en fait ouvertes à une obligation d’analyse. Cette enquête a aussi montré que les entreprises appréciaient Logib , outil d’analyse des pratiques salariales, développé à leur intention par la Confédération et d’ailleurs aussi salué au niveau international et repris par l’UE (1). Cette solution reste tout de même peu contraignante pour les entreprises, par rapport à la récente décision islandaise notamment. Quelle est votre position sur le sujet? La Suisse est une jeune démocratie… Les femmes n’y ont le droit de vote que depuis 1971, les Islandaises sont de véritables citoyennes depuis 1915! Nous disposons cependant d’outils intéressants. Entre autres la possibilité de réaliser des contrôles dans le cadre des marchés publics . Et, depuis 2016, une charte pour l’égalité salariale dans le secteur public , déjà signée par plus de la moitié des cantons et toutes les grandes villes (2). En effet, le secteur public doit être exemplaire notamment dans le domaine de l’égalité.Aujourd’hui, l’analyse de l’égalité salariale doit définitivement faire partie d’une bonne gouvernance d’entreprise. Si cela n’est pas encore le cas, c’est souvent par ignorance. De nos jours, la discrimination est de plus en plus rarement consciente et volontaire. Elle est le résultat d’héritages du passé et de stéréotypes persistants. La discrimination salariale a un coût élevé pour les femmes. Il s’agit d’un manque à gagner, non seulement pour elles, mais pour leur couple, leurs familles, à moyen et à long terme, puisque cela affecte les assurances sociales comme la prévoyance vieillesse. Enfin c’est une concurrence déloyale envers les entreprises qui ont de bonnes pratiques en la matière. Il est temps d’y mettre un terme! Une autre discussion est en cours au niveau fédéral sur les quotas, ici aussi, faut-il éviter de trop forcer la main aux entreprises selon vous? Qu’observe-t-on? Les femmes sont toujours largement sous-représentées dans les conseils d’administration et dans les directions d’entreprise, alors même qu’elles sont de mieux en mieux formées et qu’elles sont de plus en plus présentes sur le marché du travail. Là aussi, le Conseil fédéral souhaite un changement et a adressé un projet de loi au parlement, dont l’objectif est d’atteindre d’ici quelques années 30% de femmes dans les conseils d’administration et 20% dans les directions des entreprises cotées en bourse.La mixité n’est pas seulement une exigence pour le secteur privé, c’est aussi une exigence dans le secteur public, qui concerne aussi bien les commissions extra-parlementaires que des entreprises proches du public.En Suisse, on est cependant loin des quotas pratiqués dans d’autres pays et assortis de sanctions. Chez nous prévaut le principe comply ou explain , «applique ou explique». Cette exigence de transparence n’est pas à sous-estimer car de nos jours les entreprises sont soucieuses de leur image. En outre, la mixité commence à être utilisée comme un facteur prédictif de performance: certains fonds d’investissement en tiennent compte pour évaluer les risques et bénéfices d’une entreprise aujourd’hui. Le mot quota reste cependant rédhibitoire… Effectivement et c’est paradoxal, puisque notre pays fonctionne avec beaucoup de quotas, notamment au niveau politique –représentation équilibrée des régions, des langues, au niveau fédéral comme au niveau cantonal souvent. On n’aime pas le terme mais on vit avec la réalité au quotidien! Dans les pays qui ont introduit des quotas pour les conseils d’administration, on a pu observer des effets positifs très rapidement. Non seulement les femmes étaient prêtes, mais les entreprises aussi. La loi semble juste avoir fait tomber une dernière mauvaise habitude d’exclusion. Et l’économie ne s’en ait pas plus mal portée, bien au contraire! Le mouvement #Metoo a-t-il suscité plus de sollicitations de votre service par les entreprises? Effectivement. C’est difficile à chiffrer, mais la plupart des bureaux ont été davantage sollicités. Il y a eu une prise de conscience qu’il ne s’agit pas d’une fatalité et que l’on peut refuser ce type d’agissements. Si le harcèlement ne concerne pas la majorité des relations de travail, les cas ne sont pas exceptionnels non plus. Pour les prévenir, ici aussi, les entreprises ont une responsabilité à assumer. Elles doivent établir une véritable culture d’égalité et de respect entre les sexes; elles doivent clairement indiquer que le harcèlement sexuel et les comportements sexistes ne seront en aucune façon tolérés. Si elles ne font rien pour prévenir et traiter les situations et qu’une personne salariée ouvre une action, elles peuvent être condamnées. Elles doivent donc mettre en place un règlement et désigner des personnes de confiance. Il faut que la communication sur ce sujet se fasse à l’embauche, lors de la formation des cadres. La thématique doit être abordée au plus haut niveau et le refus total du harcèlement doit être dit et répété régulièrement. Pensez-vous qu’il y a un tournant, une dimension historique, un changement fondamental? Oui. On peut observer un mouvement qui va de la marche des femmes aux Etats-Unis à #Metoo. Il y avait sans doute un endormissement des femmes qui pensaient que l’égalité était acquise. Une prise de conscience collective a eu lieu sur la nécessité d’un engagement constant. Au niveau individuel, on observe que cette prise de conscience arrive souvent au moment de la maternité, un moment charnière et le réveil à ce moment-là peut être douloureux. De nombreux couples qui poursuivaient un idéal égalitaire se voient contraints de vivre selon un modèle traditionnel, qui génère non seulement de la frustration mais qui présente des risques élevés en cas de divorce ou de chômage. Un dernier sujet incontournable: la garde des enfants La conciliation vie privée-vie professionnelle est un enjeu majeur et la Suisse est en retard dans ce domaine. La mesure la plus répandue et la plus accessible aux femmes souvent est le temps partiel. Or, il faudrait avoir aussi la possibilité de travailler à temps plein. Et cela passe donc forcément par une amélioration de la prise en charge des enfants, une responsabilité avant tout cantonale, même si la Confédération a soutenu la création de près de 60'000 places de crèches ces dernières années.En effet, en 2013, la majorité des cantons suisses a décidé de ne pas introduire un nouvel article sur la conciliation entre vie privée-vie professionnelle dans la Constitution. Par conséquent cela reste un dossier cantonal traité de manière très inégale.Pour que la société moderne fonctionne bien, il faut que la garde d’enfants soit quantitativement suffisante, qualitativement élevée et financièrement abordable. Actuellement elle reste trop rare et trop chère pour de nombreuses familles. En 2009, les bureaux d’égalité romands ont fait une étude à ce propos, intitulée ‘ Quand le travail coûte plus que ce qu’il rapporte’ .A long terme, je pense cependant que le travail rémunéré vaut toujours la peine. Pour que les femmes puissent être actives professionnellement, il faut aussi que le travail éducatif et les tâches domestiques soient mieux partagées. Le temps partiel ne vous convainc pas? Il s’agit indéniablement d’un atout pour la Suisse mais cela ne doit pas être la seule ni la première mesure de conciliation entre vie privée et professionnelle, car elle peut être source de difficultés à long terme du point de vue de la carrière et de la retraite. Son impact est souvent largement sous-estimé, comme l’ont montré les nombreuses discussions qui ont accompagné la parution en 2016 d’une étude menée par la Conférence suisse des délégué-e-s à l’égalité sur le sujet: beaucoup de femmes et d’hommes n’avaient pas pris la mesure du coût du travail à temps partiel. En conclusion ? Les problèmes sont identifiés, les pistes de solution existent, les envies sont là. Le moment est venu d’oser l’égalité. L’idée fondamentale est que les femmes et les hommes puissent choisir leur formation, leur profession et leur mode de vie au plus près de leurs aspirations et de leurs compétences, sans être empêchés par les stéréotypes de genre. Les individus, la famille, la société et l’économie ne s’en porteront que mieux!
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