Postulez, vous êtes scannés!
Les employeurs peuvent faire appel à une agence pour obtenir le profil numérique détaillé des candidats à un poste. Efficace ou dangereux?

Selon une étude parue dans le Washington Post, 78% des recruteurs tapent le nom des candidats dans un moteur de recherche pour en savoir plus. Et 63% d’entre eux vont visiter leur profil sur les réseaux sociaux. Le risque: tomber sur des informations erronées ou des homonymes aux références douteuses, par exemple. «Aujourd’hui, les entreprises font de toute façon une vérification plus ou moins poussée», explique Tigrane Petrossian, directeur de KBSD à Genève, spécialisée en e-réputation. Sa société répond aux attentes des recruteurs en scannant les candidats potentiels de manière professionnelle. Sur quels réseaux sociaux sont-ils actifs? De quelle manière s’expriment-ils sur la toile? Leur parcours est-il cohérent? Ont-ils pour habitude de poster des propos considérés comme déplacés? Ou seraient-ils absents de la valse des réseaux sociaux, ce qui paraît suspect de nos jours?
«C’est très délicat d’aller fouiller, mais les gens le font car ils n’ont pas le choix, poursuit Tigrane Petrossian. Notre but est de faciliter leur vie avec notre apport professionnel et technique. Ils sont ravis d’avoir l’avis d’un expert, cela leur donne en quelque sorte une garantie sur la personne qu’ils souhaitent engager. Nous nous efforçons de transmettre une image fidèle du candidat.» Surfant sur une demande «clairement en progression», KBSD vient de créer un site internet dédié, grâce auquel il est possible d’acheter le profil digital d’un candidat. Une démarche qui «deviendra un réflexe», pressent Tigrane Petrossian.
Une dimension éthique
Selon Stéphane Koch, spécialiste de l’identité numérique et du screening, les départements de RH n’ont pas nécessairement tous la compétence suffisante à ce niveau-là, d’où le risque d’obtenir des résultats biaisés en effectuant une mauvaise recherche. «Les moteurs de recherche empilent des résultats comme une sorte d’amalgame composé d’informations produites par le candidat, de celles générées par des tiers à son encontre, ou encore de celles qui émanent de ses homonymes. Sur le net, on ressemble tous à une sorte de Frankenstein numérique! Dès lors, comment s’assurer de la pertinence de ces infos?»
Les spécialistes de KBSD prennent des dossiers en main, brossant minutieusement le portrait numérique d’une personne à l’aide d’outils et de moteurs de recherche puissants, et détiennent des informations parfois brûlantes. Comment font-ils le tri? Toute vérité est-elle bonne à rapporter? «Nous soulignons certains points, sans forcément en dévoiler la raison exacte, répond Tigrane Petrossian tout en précisant qu’ils ne sont «pas une agence d’investigation». Notre devoir est de dire: «Attention!» Mais c’est délicat, derrière ces démarches il y a un être humain qui cherche un emploi. Le bon sens est primordial. Il y a une dimension éthique et déontologique, et nous en sommes conscients.»
Gérant fondateur d’un family office à Genève, Alain (nom d’emprunt) est client de ce type de service. Avec cinq employés, il estime n’avoir «pas le droit à l’erreur» et ses collaborateurs doivent être fiables à 200%. La sélection est donc très importante. «Avec moi, c’est «patte ultrablanche» ou rien. J’ai besoin d’obtenir les backgrounds d’information complets. Dans le monde bancaire, on ne peut pas faire sans. Une fois, une incohérence sur un parcours a été levée, je n’ai pas été plus loin dans le processus de recrutement. Ce n’était pas une bêtise écrite sur un blog, mais une incohérence notoire! Une personne qui s’amuse, qui sait vivre et faire la fête, ça ne me dérange pas. KBSD me donne un package d’informations, et je fais des choix subjectifs.»
Risque d’éviction prématurée
Selon David Scholberg, de KBSD, les sociétés clientes n’enverront que quelques dossiers pour valider les derniers profils retenus, pour la somme de 1400 francs par candidat scanné en trois jours. Pour un profil express en vingt-quatre heures, le montant s’élève à 1800 francs. Trop cher? «Bien sûr que ce genre de démarche coûte cher, confirme Alain. Mais c’est peu par rapport au risque que je prends si je me trompe dans un recrutement. Pour moi, c’est comme payer une assurance.» Ce qu’appuie Stéphane Koch en citant le rapport de l’Institute for research on labor and employment de l’Université de Californie, selon lequel le renouvellement d’un poste de cadre coûte environ 150% du salaire annuel envisagé. Stéphane Koch se souvient d’un cas soumis par l’un de ses clients pour vérifier le CV d’un candidat potentiel. Le parcours de la personne avait été scanné par une entreprise de recrutement, qui n’avait visiblement «pas bien fait son travail». En effet, le candidat n’avait pas les diplômes qu’il disait avoir ni occupé la position qu’il prétendait au sein d’une entreprise. Ce couac n’avait pas été repéré par l’entreprise mandatée…
«Venant d’un cadre exécutif, un tel mensonge pourrait avoir un impact sur la gouvernance de l’entreprise et respectivement sur ses employés. Mais je n’ai pas fouillé la réputation de la personne, et je n’aurais pas fait ces démarches pour un simple employé», précise l’expert. Si cette nouvelle manière de faire dans le domaine du recrutement ne le «dérange pas» car «cela fait partie de nos vies», Stéphane Koch se dit toutefois choqué par le fait que des gens soient disqualifiés sans le savoir pour ce qu’ils «auraient» mis en ligne. «Et les recruteurs ne le diront jamais. On vous enlève même la possibilité d’avoir une interview pour des détails parfois insignifiants ou dont vous pourriez ne pas être à l’origine.» Un aspect que confirme Alain, qui admet ne pas rendre de comptes à un candidat concernant les raisons de son éviction. Côté législation, Eliane Schmid, porte-parole du préposé fédéral à la protection des données et à la transparence, relève un article de loi qui pourrait poser problème.
«De manière générale, il devrait y avoir plus de transparence. Mais si l’on collecte beaucoup d’informations sur une personne et que l’on établit un profil de la personnalité, les risques d’atteinte à la sphère privée augmentent. Et la loi sur la protection de données exige un devoir d’informer la personne concernée. Ce qui signifie que si elle n’est pas correctement informée par l’employeur, elle pourra porter plainte.» Cet article de loi ne semble pourtant pas toucher KBSD, qui «collecte des données faisant partie du domaine public, par opposition à la récolte de données fournies par une personne. Nous avons validé cela avec notre conseil juridique.»
Stéphane Koch Le spécialiste relève que «sur le net, on ressemble tous à une sorte de Frankenstein numérique!» Le paradoxe du digital cleaning
Pour s’assurer un profil numérique sans taches, il est possible de recourir au nettoyage digital. A savoir «adapter son image digitale, la développer, la consolider», explique Tigrane Petrossian, directeur de l’agence KBSD, spécialiste en intelligence digitale et en e-réputation. En gros, tenter de planquer les casseroles éventuelles laissées sur le net. Mais cela peut coûter cher. «Ce n’est pas accessible par n’importe qui n’importe comment. On fait du référencement, des shootings photo professionnels, on crée des sites web, etc. On travaille dans la durée. Il y a derrière tout ça une continuité, une cohérence. Ce n’est pas liquidé en trois clics.» Que se passera-t-il lorsque la plupart des gens auront pris soin de leur image sur la toile? Les recherches lors d’un processus de recrutement perdront-elles leur pertinence? «Pour l’instant, les personnes qui s’offrent un digital cleaning ne sont pas assez nombreuses pour que je me trompe, assure Alain, directeur d’un family office à Genève. Mais peut-être que, dans cinq ans, nous aurons tous des profils nickels!» Selon Tigrane Petrossian, toutes ces démarches vont se réglementer petit à petit. «On ne peut pas enlever des informations négatives si facilement. Ce qui a paru dans la presse, par exemple, peut être très difficile à supprimer. Une vraie e-réputation se construit. Il faut commencer par éduquer les internautes.» Le spécialiste Stéphane Koch, lui, tient à allumer les «warnings» et à remettre l’humain au centre: «Il n’y a aucune garantie que l’identité numérique d’un candidat soit représentative de son identité réelle. Dans la majorité des cas, il est possible de «masquer» les éléments qui pourraient nous être dommageables. Dès lors, il faut que les RH réalisent que le face-à-face avec le candidat est prioritaire. L’humain doit être placé au centre et son identité numérique utilisée comme un complément d’information, et non le contraire.»
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Cet article a été automatiquement importé de notre ancien système de gestion de contenu vers notre nouveau site web. Il est possible qu'il comporte quelques erreurs de mise en page. Veuillez nous signaler toute erreur à community-feedback@tamedia.ch. Nous vous remercions de votre compréhension et votre collaboration.