Patek Philippe soigne le marché américain
La manufacture genevoise a organisé en juillet sa plus importante exposition mobile à New York. Un événement qui, espère-t-elle, jouera un rôle d’électrochoc aux Etats-Unis.
Devant le 110 de la 42 e Rue, une file d’attente s’est formée sur le trottoir. Le soleil n’est levé que depuis quelques heures, mais les 33 degrés moites de l’été new-yorkais se mêlent déjà aux klaxons nerveux des taxis. En face, Grand Central, gare principale de Manhattan, déverse par à-coups un flot incessant d’employés se rendant à Midtown juste à côté, plus puissant quartier d’affaires d’Amérique. C’est ici, dans l’immeuble Cipriani, que Patek Philippe a pris ses quartiers du 13 au 23 juillet dernier.
Une adresse mythique, jadis siège de la Bowery Savings Bank – seule banque new-yorkaise à n’avoir jamais été cambriolée, précise-t-on fièrement. La manufacture y a installé «The Art of Watches Grand Exhibition», quatrième exposition temporaire après celles de Dubaï en 2012, de Munich en 2013 et de Londres en 2014. Un événement exceptionnel, entièrement gratuit, à mi-chemin entre manifestation culturelle et opération marketing.
Vue sur la rade - -
Le décor se veut impérial, la mise en scène ébouriffante. En pénétrant dans la salle majestueuse du Cipriani, les visiteurs – et accessoirement les quelque 300 journalistes américains et 60 journalistes étrangers invités – sont accueillis dans la reproduction du salon Napoléon, pièce privée située dans les étages du siège historique de Patek Philippe à la rue du Rhône, à Genève. S’offre alors à eux un spectacle inattendu: une immense baie vitrée s’ouvre sur une vue imprenable de la rade – en réalité un écran géant haute définition, passant une vidéo sur vingt-quatre heures.
Des quatre expositions déjà mises sur pied, «The Art of Watches Grand Exhibition New York 2017» est sans doute la plus imposante: de par sa surface – 1200 m 2 sur deux étages – et le nombre de montres réunies – 450 pièces provenant du Patek Philippe Museum de Genève, du John F. Kennedy Presidential Library and Museum de Boston et de collections privées; mais également de par la nature des garde-temps – 27 objets historiques, 26 modèles issus de 2 séries spéciales dédiées aux Etats-Unis, ainsi que plusieurs grandes complications comme le prototype du Calibre 89, pour la première fois exposé à l’extérieur de ses murs. Enfin, et peut-être surtout, l’ensemble de la collection courante de Patek Philippe était visible à New York, une particularité jusqu’ici réservée à la boutique genevoise.
Parmi les pièces antiques, le cabinet baptisé «US Historic Room» fut le lieu de toutes les passions. Véritable livre ouvert sur le passé, il offrait aux regards 27 objets retraçant non seulement l’histoire de Patek Philippe en Amérique, mais également certains épisodes des Etats-Unis eux-mêmes. Outre six pièces ayant appartenu au magnat de la finance Henry Graves Jr. et à l’industriel James Ward Packard – la légende raconte qu’ils se battaient dans les années 1920 pour obtenir de Patek Philippe la montre la plus compliquée – les visiteurs ont pu admirer l’horloge de bureau à quartz offert à John Kennedy à Berlin en 1963, lorsqu’il prononça la célèbre phrase «Ich bin ein Berliner». Elle affiche l’heure de Washington, de Berlin et de Moscou. Autre découverte: une répétition minute de poche avec chronographe à rattrapante de 1890, ayant appartenu au roi des spiritueux Jasper Newton Daniel et portant l’inscription «Jack Daniel», du nom du produit qui a fait sa fortune...
Cette grande attention portée au marché américain ne doit rien au hasard. Avec ses quelque 100 points de vente et ses 15% de chiffre d’affaires, il est le premier débouché de la manufacture genevoise au niveau mondial. «Los Angeles, San Francisco et New York sont les trois lieux où nous vendons le plus, précise Thierry Stern, président de Patek Philippe. Mais il ne faut pas sous-estimer les plus petites villes: certains détaillants ne vendent que 40 ou 50 pièces par an, mais régulièrement et à une clientèle locale. C’est très important pour nous.»
C’est ce public domestique d’amateurs, voire de collectionneurs, que soigne la marque. Et le propriétaire n’hésite pas à donner de sa personne: dans les allées de l’exposition, on le voit serrer des mains et se prêter au jeu des selfies sans se faire prier. «Ma présence rassure en même temps qu’elle crée un lien. Les clients se sentent faire partie d’une famille. Parce qu’il faut garder les pieds sur terre: acheter une de nos montres est un investissement.»
Des liens historiques - -
S’il est le plus important, le marché américain est aussi le plus ancien de Patek Philippe. C’est en effet en 1854 déjà, trois ans seulement après son association avec Jean Adrien Philippe, qu’Antoine Norbert de Patek entame une tournée de plusieurs mois à travers le pays. Objet de plusieurs carnets de voyage précieusement conservés, son périple, bien que parsemé de déconvenues, finira par le persuader de l’immense potentiel commercial des Etats-Unis. Et l’homme verra juste: à la fin des années 1870, la manufacture s’est taillé une telle réputation outre-Atlantique qu’elle voit, chaque mois, une centaine de touristes américains affluer à son adresse genevoise. Propriétaire de Patek Philippe dès 1932, la famille Stern continuera à entretenir cette relation particulière.
Arrivé à New York en 1937, Henri Stern, grand-père de l’actuel président, ne devait y séjourner que quelques mois. Il y restera vingt ans. D’abord installé dans un simple bureau du Rockefeller Center qui vient alors d’être inauguré sur la Cinquième Avenue, il finira par y ouvrir en 1946 la Henri Stern Watch Agency, devenue aujourd’hui la plus grande succursale de la marque, où tous les présidents qui ont suivi ont fait leurs armes. Et toujours à la même adresse! Sur quelque 3400 m 2 , celle-ci emploie 64 personnes, dont 24 horlogers pour le plus grand atelier de service après-vente (SAV) hors de Suisse: «Les Etats-Unis sont devenus le pays possédant le plus grand nombre de pièces en circulation», glisse Thierry Stern, sans articuler de chiffres.
Investir dans la formation - -
Alors pour répondre aux besoins et s’assurer un avenir à long terme, la manufacture genevoise continue à investir. Dans un coin de l’imposant SAV baigné de lumière, derrière une paroi de vitres fumées, une petite pièce donne sur la St. Patrick’s Cathedral, de l’autre côté de la Cinquième Avenue. Minihavre de silence et de paix au milieu du tumulte de Manhattan, elle contient six établis, destinés à autant d’étudiants. Sur deux ans, ceux-ci suivent le «horology program», formation d’horloger SAV mise en place par le Patek Philippe Institute.
Ouvert à New York en 2015 – après celui de Shanghai en 2013 et avant celui de Singapour – il vient de mener au diplôme une première volée d’élèves, venus passer leurs examens finaux à Genève. «Sur 400 ou 500 dossiers, nous ne retenons que les meilleurs, raconte Laurent Junod, responsable de l’institut. Ces jeunes ont tous la même histoire: issus de la classe moyenne, voire de milieux défavorisés, aucun ne savait ce qu’étaient l’horlogerie et Patek Philippe. Cette approche nous permet de découvrir de vrais talents.»
Mais malgré une situation en apparence enviable, la baisse des exportations horlogères suisses à destination de l’Amérique affecte également Patek Philippe. Si les chiffres du secteur font état d’un léger rebond au mois de juillet au niveau mondial (+3,6% en rythme annuel) y compris aux Etats-Unis (+1,4%), le marché américain était en recul depuis plusieurs mois.
Thierry Stern, de son côté, avoue un ralentissement de quelques pour-cent à fin juin, mais rien de dramatique. «En 2016, nous avons réduit notre production totale de 1000 pièces, sur 58 000. Et nous n’aurions même pas dû, la demande était finalement là…» Pour autant, il compte sérieusement sur «The Art of Watches» pour stimuler les ventes outre-Atlantique: «L’exposition va faire un bien fou! - En Angleterre, l’impact s’est mesuré sur deux ans.»
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