Panama, le canal des… sociétés offshore

Le canal pourra faire transiter des navires trois fois plus gros qu’avant les travaux.
Crédits: Carlos Jasso/ReutersPetit pays d’Amérique centrale avec 3,6 millions d’habitants, mais grand pays de l’opacité avec 350 000 sociétés offshore, le Panama est sur la sellette. Avec un PIB supérieur à 13 000 dollars par habitant, ses citoyens y vivent «à l’américaine». Des gratte-ciel comme à Miami, une monnaie calquée sur le dollar US – seules les pièces de monnaie sont en balboa – et un abondant parc automobile formant de gigantesques embouteillages sur les deux ponts reliant les deux moitiés de la capitale, la prospérité est au rendez-vous. Son secteur financier représente 80% du PIB, y compris les revenus du canal. Sa restitution en 1999 par les Etats-Unis a boosté son économie.
En 2006, les Panaméens décidaient par référendum de doubler le canal qui voit traverser 5% du trafic mondial. Les travaux d’élargissement, commencés en 2007, ont pris du retard. Initialement prévue pour 2014, pour le centenaire du canal, l’ouverture ne devrait intervenir que cet automne. Quelque 60 chefs d’Etat ont été invités à l’inauguration… Mais c’était avant les «affaires».
Pour assurer le remplissage des nouvelles écluses mesurant 427 m de long et 55 m de large (contre 304 m 80 et 32 m 30), neuf bassins de retenue ont été construits à ciel ouvert. Chacun d’eux pourrait contenir 32 piscines olympiques. Il s’agit de réutiliser l’eau d’une écluse à l’autre, permettant d’économiser 60% des flots employés lors de l’éclusage. Vu la sécheresse inhabituelle du climat, l’enjeu est d’importance.
En huit ans de travaux, 40 000 personnes ont œuvré sur le chantier, dont 3800 Européens venus du Portugal, d’Espagne, de Belgique, d’Italie, etc.: «Il a fallu réfrigérer le béton, installer des écluses à portes coulissantes, tirées par des câbles de téléphérique. Fabriquée en Italie, chaque porte mesure 40 m sur 50», explique l’ingénieur espagnol Jorge Agullo Ortiz du haut de la nouvelle tour de contrôle.
Conflits sociaux, litiges financiers et fissures ont retardé le Groupement Unis pour le Canal (GUPC), un consortium formé de l’espagnole Sacyr, l’italienne Salini Impregilo, la belge Jan De Nul, et la panaméenne Constructora Urbana. La dernière des deux nouvelles écluses du canal de Panama a été mise en eau côté Pacifique l’été dernier.
Jusqu’ici, le canal pouvait faire transiter des navires transportant jusqu’à 5000 conteneurs. Il pourra accueillir des navires trois fois plus gros (14 000 conteneurs), les «post-Panamax». Aujourd’hui, les plus gros porte-conteneurs, dont ceux de MSC à Genève, atteignent les 20 000 boîtes.
Un chantier à plus de 5 milliards
Les budgets ont aussi été revus à la hausse: prévu à 3,8 milliards de dollars, le coût final s’élève à 5,25 milliards. En 2014, le consortium a réclamé 1,2 milliard supplémentaire en raison des quantités de ciment imprévues et des aléas climatiques. A cela s’ajoute la grève des salariés en avril 2014, qualifiée par le président Ricardo Martinelli d’«acte irresponsable». La dispute a fait l’objet d’un arbitrage international. Le projet arrive enfin à son terme. De quoi offrir d’importants revenus supplémentaires au Panama, qui en tire 1 milliard de dollars par an, chiffre qu’il espère tripler dès 2025.
Au moment où Panama achève son œuvre de Titan, le Nicaragua caresse le projet d’un canal concurrent traversant le lac Cocibolca, le deuxième plus grand d’Amérique centrale. Le chantier devait commencer cette année, mais le roi des télécoms hongkongais qui veut financer le projet (50 milliards de dollars!) a connu de sévères déboires à la bourse. L’opposition croissante au Nicaragua laisse planer un sérieux doute sur sa réalisation.