Les musées se réinventent avec la réalité virtuelle
Réalité augmentée ou virtuelle, projections laser, expériences multisensorielles… Les musées cherchent à rajeunir leur public et explorent des voies nouvelles.

Avril 2018 à Paris, l’Atelier des Lumières ouvre ses portes. Dans cette ancienne fonderie du XI e arrondissement, rachetée et réaménagée par Culturespaces (qui gère entre autres le théâtre antique d’Orange, les arènes de Nîmes, le Musée Maillol à Paris et la Cité de l’automobile à Mulhouse), le public peut découvrir l’œuvre de Gustav Klimt comme jamais: grâce à 140 vidéoprojecteurs laser et une sonorisation spatialisée, le visiteur est plongé dans les réalisations du peintre viennois qui s’animent sous ses yeux. Avec 3300 m² de surface, du sol au plafond, et des murs s’élevant jusqu’à 10 mètres, l’effet est impressionnant.
A quelques centaines de mètres de là, au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), un espace nouveau intrigue le grand public: chaque visiteur peut s’équiper avec un casque de réalité virtuelle, saisir deux manettes et s’envoler vers les origines de la vie, depuis la plus ancienne cellule vivante connue, LUCA, il y a 3,3 à 3,8 milliards d’années, jusqu’à l’homme moderne. En volant au-dessus de la chaîne de l’évolution, il est possible de s’arrêter devant un mammouth laineux, de tourner autour de l’animal et de comprendre les caractéristiques de son espèce.
Pour le paléontologue Bruno David, directeur du MNHN, «il aurait été impossible d’illustrer l’ensemble de ce concept si nous nous étions restreints aux moyens traditionnels des musées avec des objets physiques et du texte. Alors nous nous sommes tournés vers la technologie.» L’institution a donc aménagé une pièce avec un dispositif immersif. «Mon objectif était d’introduire la technologie du XXI e siècle dans l’univers d’un musée qui n’a pas cette image», ajoute le directeur.
A l’Atelier des Lumières, «nous voulons présenter au public un nouveau type d’exposition, qui n’est plus la contemplation statique d’un tableau sur un mur, mais l’expérience vécue à l’intérieur d’une œuvre», explique Bruno Monnier, président de Culturespaces, qui a déjà aménagé un concept similaire dans les carrières des Baux-de-Provence, avec notamment une expérience centrée sur Picasso et les maîtres espagnols.

«Transmettre un sentiment»
Ces initiatives françaises ne sont pas les premières du genre. En 2015, le British Museum proposait une évasion vers l’âge du bronze afin de retrouver les objets du musée dans leur contexte originel. A Londres toujours mais en 2018, la Tate Modern a agrémenté sa rétrospective Modigliani d’un espace dédié à la réalité virtuelle (VR), où le visiteur peut découvrir l’atelier de l’artiste à Paris. Une vraie gageure car il n’existe aucune photographie d’époque et le lieu est un appartement privé de nos jours. Il a donc fallu recréer l’atmosphère en s’appuyant sur des images et plans contemporains, des tableaux, dessins et lettres de l’artiste et des recherches d’historiens de l’art. «La VR a une valeur pour nous en tant qu’outil d’interprétation, décrypte Hilary Knight, responsable du contenu numérique à la Tate Modern. C’est une façon de transmettre un sentiment, d’aider les gens à ressentir un lien avec un artiste. C’est une façon différente d’absorber ces informations et cela fait de l’artiste une personne vivante.»
Une initiative à rapprocher de celle menée par le Musée Bonnard, au Cannet, près de Nice. Dans ce lieu consacré au peintre nabi, les organisateurs proposent de s’immerger dans l’univers de l’artiste via un casque de réalité virtuelle. Une expérience cependant décevante, car limitée à des photographies 360° statiques de trois pièces de la maison de Pierre Bonnard.
Une mine d’informations
Comment expliquer cet engouement soudain des institutions culturelles pour les technologies immersives? Sans doute faut-il y voir en premier lieu une nécessaire remise en cause de l’offre muséographique. En France, la mission Musées du XXI e siècle, menée en 2016 et 2017 par Jacqueline Eidelman, alors conservatrice générale du patrimoine, a révélé que 91% des personnes interrogées estimaient l’institution muséale «insuffisamment adaptée au jeune public». Dans le même temps, Genève accueillait l’exposition Musées du XXI e siècle. Ambitions, visions, défis , avec cette même nécessité de renouveler son public. «Les responsables d’institutions vont tous devoir se poser ces questions. Car les jeunes sont dans une période où il y a un besoin d’expériences immersives de qualité. Cela va devenir nécessaire», observe Caecilia Charbonnier, fondatrice d’Artanim, qui s’est fait connaître en 2015 avec une expérience - VR dans un tombeau égyptien reconstitué.
«On peut ajouter de l’information et des niveaux de narration différents à des œuvres historiques et artistiques. Et cette possibilité d’expérimenter des perspectives différentes sur l’œuvre d’art elle-même rend plus passionnante la découverte de l’offre muséale et de ses contenus», analyse Giulia Bini, curatorial assistant au sein de l’ArtLab de l’EPFL.

La Maison Tavel aussi
Aujourd’hui, les équipes d’Artanim travaillent sur un projet plus ambitieux encore. Le relief Magnin, maquette très précise de la Genève de 1850, a été numérisé. Dès le mois d’avril 2019, les visiteurs pourront se promener dans la ville de cette époque. Mais cette fois-ci, pas question d’une immersion solitaire et statique: «Au sein de la Maison Tavel avec le Musée d’art et d’histoire (MAH), nous proposerons un espace de 9 m par 6 m, avec système de capture de mouvement pour voir son avatar. On va se retrouver en tenue d’époque, se balader dans Genève, rencontrer des personnages à une période qui a révolutionné la ville», expose Caecilia Charbonnier.
Une révolution à plusieurs titres, car l’immersion devient réellement interactive, multisensorielle et de groupe: «Nous pourrons accueillir jusqu’à huit personnes dans l’installation, avec deux groupes de quatre personnes en alternance. Et les visiteurs auront la possibilité d’interagir avec les décors ou les uns avec les autres. Un bâton tenu par l’un d’eux va devenir une torche qui illumine les lieux. On pourra s’asseoir sur des bancs qui seront motorisés pour simuler une diligence, avec des ventilateurs pour l’effet de brise, les odeurs du lac quand on passe près de l’eau, les bruits de la ville…», détaille la fondatrice d’Artanim.
Un degré d’immersion qui ouvre des perspectives nouvelles. Notamment pour les institutions liées au patrimoine. Il devient ainsi possible de recréer et visiter des lieux disparus, comme des vestiges antiques de Syrie ou d’Irak ravagés par la guerre et les actes terroristes, ou des sites menacés par la surfréquentation touristique comme les grottes de Lascaux ou des tombeaux égyptiens.
Si la réalité virtuelle attire l’attention, d’autres solutions sont également explorées. C’est ainsi qu’en France, le palais des Papes à Avignon ou le château de Chambord ont mis sur pied une expérience en réalité augmentée. Le visiteur peut, à l’entrée, louer une tablette tactile, et lorsqu’il pointe une œuvre, découvrir une scène vivante: l’artiste qui peint le tableau, un collège de cardinaux déambulant dans un couloir du XIV e siècle ou encore un général en pleine réflexion… Une technologie déjà utilisée depuis plusieurs années: dès 2011, le Musée national de Cracovie, en Pologne, avait recours à la réalité augmentée avec son exposition Stories behind the Paintings à la galerie Sukiennice: donner vie aux protagonistes des peintures permettait de réinventer le storytelling. Et ces expérimentations portent souvent leurs fruits: à Chambord, depuis la mise en place de l’offre en réalité augmentée, le temps de visite s’est rallongé de 50% et les enquêtes de satisfaction indiquent un taux positif de 96% parmi les visiteurs.

La question des coûts
Toutefois, développer une offre VR ou AR génère des dépenses importantes. A Genève, Artanim et le MAH ont pu bénéficier du soutien d’une fondation qui a financé le projet. Mais toutes les institutions n’ont pas cette chance. Et les enveloppes des musées tendraient plutôt à se restreindre depuis quelques années. D’où la nécessité d’explorer d’autres modes de financement, comme des frais mutualisés entre plusieurs institutions pour des installations itinérantes. «L’installation VR de la Maison Tavel présente Genève en 1850. Mais nous pensons à une installation itinérante qui pourrait sillonner les musées. Nous essayons de mettre aussi en valeur le fait que la période choisie a eu des similitudes dans d’autres pays comme en France, en Allemagne, en Italie ou en Angleterre. D’autres musées pourraient l’utiliser en combinaison avec leurs expositions classiques», explique Caecilia Charbonnier.
L’un des défis majeurs réside dans l’utilisation de ces technologies à bon escient: «On doit réfléchir à l’utilisation des technologies de façon critique. Il faut rester concentré sur le contenu que l’on va proposer. Il faut repenser la narration grâce aux technologies, mais celles-ci ont besoin d’un contenu de qualité», insiste Giulia Bini.
Enfin, les technologies peuvent également devenir support de création en elles-mêmes. «Les technologies ont changé l’imaginaire des artistes et des créateurs. Il est très difficile d’imaginer aujourd’hui les conditions de la création sans considérer les technologies. Tout est connecté au digital aujourd’hui. Les implications politiques et sociales de ces technologies questionnent les artistes et ils s’en emparent», observe Giulia Bini. C’est ainsi que de nouveaux musées voient le jour, consacrés aux arts numériques. A Zurich, le MuDA (Museum of Digital Art) explore les œuvres conçues grâce aux outils technologiques actuels: écrans, algorithmes, intelligence artificielle ou augmentée… L’ensemble de ces outils des dernières décennies devenus des supports de création inventent, grâce aux artistes, des univers encore plus immersifs.
«L’avenir du musée est-il virtuel?» : une table ronde est organisée dans le cadre du Geneva International Film Festival, mercredi 7 novembre de 18 h à 19 h au Musée d’art et d’histoire (MAH) de Genève. Entrée libre.
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