La rentabilité est au bout du tunnel
L’aquaferme de Valperca, en Valais, va doubler d’ici à l’été sa capacité de production de filets de perche à 150 tonnes par an. Une économie d’échelle synonyme de bénéfices.
La révolution néolithique n’est pas finie. Après les grains et le bétail, la domestication des espèces naturelles traverse une phase de boom sans précédent dans l’aquaculture. Un travail qui demande toutefois une patience d’«angel investors» à ses pionniers.
Initiée à la fin des années 1980, la domestication de la perche du lac a pris une trentaine d’années à Percitech, l’entreprise qui produit les alevins à Chavornay (VD), et à sa maison-mère Valperca, qui les élève à Rarogne en Valais. L’aventure a englouti 40 millions de francs, selon nos estimations. Mais elle tutoie désormais la rentabilité opérationnelle en attendant des bénéfices potentiellement significatifs.
Pour preuve, les deux sites procèdent actuellement à d’importants agrandissements. Ils vont interrompre les livraisons d’avril à juillet avant de porter la production à 150 tonnes par an et de lancer la première marque de filets de perche. Pour en faire un produit de luxe comme les huîtres, le caviar ou le saumon fumé afin de l’exporter?
David Morard, directeur de l’entreprise, comme Florian Dumont, son administrateur-délégué, préfèrent parler de produit premium. Et ils se montrent prudents tant l’histoire de l’élevage des perches des lacs suisses a appris la modestie à ceux qui s’y sont essayés.
Tout commence à la fin des années 1980 quand le biologiste Olivier Müller se met en tête d’appliquer à la perche ce qui est en train de réussir avec le saumon. Apparue dans les années 1920, la consommation de filets de perche est en train d’exploser en Suisse. Si bien qu’après quelques saisons de pêche maigres les importations du Canada puis d’Europe de l’Est ne cessent plus de croître, couvrant aujourd’hui plus des trois quarts du marché.
Avec l’aide de Claude Lucas, qui a popularisé la consommation de poisson en Romandie avec ses camionnettes, et de Gérard Gogniat, un pilier de Nestlé, il fonde Percitech en 1994 sur la base du prix d’entrepreneuriat de Vigier de cette année-là. L’opportunité paraît alors si prometteuse que 17 actionnaires se penchent sur le berceau de la start-up, y compris de grandes familles comme les Hoffmann et les Schmidheiny. En 2003, ils seront rejoints par Pierre Landolt, président de la fondation de famille Sandoz et son frère François qui en feront un projet personnel. Et leur entêtement va les amener à prendre la majorité de Percitech avant de créer la société d’élevage qui la prolonge, Valperca, en 2007.
L’astuce du mois de mai - -
En visitant Percitech, on comprend mieux pourquoi ce modèle économique a mis tant de temps – et d’argent – pour émerger. Abrités de la lumière par des bâches noires, 12 bassins (plus deux de réserves) contiennent les 8000 géniteurs de l’élevage. Ils sont répartis dans ces bassins correspondant chacun à un mois différent avec une luminosité et une température reproduisant celles que les poissons trouveraient dans le lac à cette période. Chaque bassin est décalé d’un mois afin que ses poissons se croient à tour de rôle arrivés au mois de mai pour pondre. Une astuce qui lisse la production sur l’année.
Une fois éclos, ces œufs passent à l’état larvaire dans d’autres cuves. Pesant moins de 0,1 g, ils sont d’une fragilité extrême et doivent être d’abord nourris de phytoplanctons vivants – les crevettes Artemias importées des lacs salés d’Amérique. Progressivement, ils sont habitués aux croquettes de farine végétale (60%) et de poisson (40%) jusqu’au sevrage après un mois. Les alevins sont alors transférés dans de nouveaux bassins pour grossir de 0,1 à 10 g avant d’être suffisamment solides pour être expédiés à 4 mois en Valais pour achever leur croissance.
Si chaque mois, les 14 employés de Percitech récupèrent entre 1,5 et 3 millions d’œufs, leur défi est de réduire la mortalité à chacune des étapes avec des pertes qui atteignent 40 à 50% à l’état larvaire, puis encore 25% par la suite. «Nous avons eu des mois avec 600 000 poissons élevables et d’autres zéro, explique David Morard. L’objectif économique, c’est 240 000.» Pour l’atteindre, l’entreprise a abandonné l’an dernier la filtration à ozone pour la remplacer par d’autres filtres. Elle ajoute maintenant une nouvelle étape – un investissement de 2,4 millions – avec des nouveaux bassins qui vont sécuriser l’étape de croissance de 5 à 10 g.
Précédemment, il lui avait fallu abandonner l’idée de faire croître ses poissons dans les lacs, comme celui de Neuchâtel où cela a été tenté au début des années 2000. Comme dans d’autres aquacultures, la concentration augmente le risque d’épizootie. Les éleveurs de saumon protègent leur cheptel avec des vaccins. Mais les perches sont trop petites et sensibles pour être vaccinées. Ajoutez à cela l’opposition des Landolt aux antibiotiques et celle de Fernand Cuche, l’élu Vert du Conseil d’Etat neuchâtelois, à ce projet d’aquaculture, et l’idée d’élever les perches dans le lac a progressivement fait place à celle de bassins en circuit fermé et donc contrôlables. Restait à trouver de l’eau.
Réinventer l’eau chaude - -
Celle-ci va se présenter en 2008. A Frütigen, côté alémanique du tunnel du Lötschberg, on commence à élever des esturgeons dans les eaux tempérées ruisselant de la roche. Engagés dans le développement durable, les frères Landolt sont séduits par cette idée de recyclage. D’autant plus que, filtrée par la montagne, cette eau a non seulement l’avantage de la pureté mais aussi celle de la température. Sortant entre 17 et 19 degrés, elle n’a plus besoin que d’être légèrement chauffée pour atteindre 21 degrés dans les bassins. A cette température, les perches atteignent la maturité – soit 180 g – en une année au lieu de deux dans la fraîcheur des lacs.
A Rarogne, trois lignes de bassins fonctionnent ainsi en circuit fermé. Ici aussi, on investit pour faire évoluer le système de filtration. Dans les plus grands bassins, irrigués par les 100 à 120 litres par seconde coulant du Lötschberg, les perches attendent la pêche en fonction des commandes. En tout, il y a là jusqu’à 1,5 million de poissons. Pour garantir la fraîcheur, l’écaillage puis le filetage des perches sont réalisés sur place. Ces filets de 25 à 60 g sont ensuite vendus à 70% par le biais de la grande distribution et 30% par celui de la restauration.
Avec ce modèle, la production est passée de 33 tonnes en 2011 à 80 l’an dernier. «Cinq tonnes de poisson par semaine, soit 1,5 tonne de filets», précise David Morard. Mais dès lors que l’on sait que l’investissement dans Valperca s’est monté à 18 millions de francs financés aux deux tiers par les frères Landolt et pour un tiers sous forme de prêts par la Banque Cantonale et l’Etat du Valais, ce n’est pas encore suffisant pour être rentable. D’où les investissements actuels.
En diminuant la mortalité à toutes les étapes de l’alevinage, l’entreprise s’assure de la stabilité de sa ressource. «Et en améliorant la qualité de notre eau dans les circuits fermés nous pouvons diminuer le temps de croissance de douze à dix mois, soit une augmentation mécanique de 20% du chiffre d’affaires», poursuit David Morard. C’est cette maîtrise qui lui laisse envisager le doublement de sa production d’ici trois ans.
Le lancement d’une marque va l’accompagner pour communiquer aux consommateurs une qualité dont la mention «perche d’élevage» ne rend pas compte sur les étals. Si cette combinaison fonctionne, on devrait rapidement en venir à un autre doublement de la production avec des bénéfices plus qu’opérationnels et un modèle réplicable.
Avec une consommation annuelle d’environ 2500 tonnes de filets de perche en Suisse, Valperca a encore de la place pour grandir. A quoi s’ajoute la possibilité d’exporter un produit premium et d’utiliser l’expérience accumulée pour domestiquer un autre poisson comme le sandre, dont Percitech vient d’élever un premier banc de géniteurs issus d’œufs prélevés dans le lac de la Gruyère. Le plus probable, c’est que toutes ces pistes seront suivies en parallèle.
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