Ils font carrière avec une garde alternée
Ils ont des postes à responsabilités et ont fait le choix de s’occuper à mi-temps de leurs enfants après leur divorce. Quelles stratégies mettent-ils en place pour être au four et au moulin? Témoignages.

«Rappelez-moi avant 16 heures, car ensuite je vais chercher mes enfants à l’école.» Venant d’un entrepreneur ou d’un manager, cette phrase surprend encore. En Suisse, environ 5% des couples divorcés mettent en place un système de garde alternée. Une semaine sur deux, début de semaine chez papa et fin de semaine chez maman: les solutions sont propres à chaque situation.
Car si l’autorité parentale conjointe sera désormais automatique de par le changement de loi récent, ce n’est pas encore le cas de la garde concrète, qui est déterminée selon un accord entre les personnes séparées. Les ex-conjoints doivent donc impérativement être sur la même longueur d’onde côté répartition des jours, et les domiciles doivent être rapprochés pour que les enfants puissent aller à l’école facilement.
Certains hommes, en acceptant de faire les concessions de planning nécessaires pour s’occuper de leurs enfants – et ce, bien plus que la moyenne – doivent également apprendre à jongler et à se structurer différemment. Souvent, le choc est grand, même si l’envie d’«assumer» est bien présente.
«Au départ, j’avais mes trois enfants un week-end sur deux et tous les mercredis soir, se souvient Michel*, juge cantonal. Au bout de trois ans, on a décidé de se partager la garde. J’étais content, puisque j’étais frustré de les voir aussi peu avant ce changement. Mais cela a aussi bouleversé mon organisation au travail, mes loisirs, etc. C’était stressant!»
Pour Didier*, entrepreneur, la décision a radicalement modifié une carrière brillante. «C’est un aveu de faiblesse pour un homme. J’avais un poste haut placé dans un grand groupe, j’ai dû arrêter. Beaucoup de gens m’ont dit: «T’es nul, tu vas foutre en l’air ta carrière!» Rapidement, le jeune papa s’est inventé un nouveau projet professionnel en créant sa propre société, ce qui lui a permis de gérer sa fille, sa maison, sa carrière. Tout ça «sans nanny». «Vous êtes poussé à développer une plus grande habileté», estime le désormais indépendant.
Condamnés à être efficace - -
Détail intéressant que souligne encore Didier: quand il a commencé à assumer une garde alternée alors qu’il était top manager dans une grande entreprise, des tests sur le leadership étaient en cours. «En un an, j’ai gagné en leadership et en efficience, ce qui est ressorti dans les tests. J’ai été celui qui avait fait la plus grande progression! Ce n’était pas conscient, mais j’ai changé de style de management pour m’adapter à ma situation personnelle. Depuis que je suis divorcé, je n’ai jamais aussi bien travaillé. Je suis plus structuré, j’optimise tout et j’ai aussi appris à mieux déléguer.»
Pour Daniel Pasquier, cofondateur de l’agence de relations publiques IDAgency et père de deux enfants, le fait d’avoir des contraintes d’horaires est justement un atout. «Cela me booste! Le jeudi, par exemple, je les récupère à 16 heures, et je les ai jusqu’au week-end. Pour moi, ça ne freine rien, au contraire. Et il faut aussi savoir s’adapter à la situation, par exemple travailler le soir et pendant les week-ends où je ne suis pas avec eux.» Rattraper certains départs précoces ou arrivées tardives le matin au bureau, bosser depuis la maison font évidemment partie des solutions mises en place. «Les gens ont l’impression qu’on part se balader et manger des glaces mais ne comprennent pas qu’à 20 h 30, quand ma fille dort, je travaille», relève Didier.
Michel, de son côté, avoue qu’il «traîne moins. Avant je prenais des pauses et je restais plus tard le soir. Mes nouveaux horaires m’ont obligé à mieux cadrer mon travail. Mes collègues savaient que c’était comme ça. Certaines semaines, je ne levais pas le nez de mes dossiers, je fonçais.»
Pour Edna Didisheim, psychologue du travail et directrice associée du cabinet Didisheim à Lausanne, ces personnes sont «condamnées à l’efficacité. Cela entame les moments informels, ce qui est dommage. Mais il n’y a pas le choix. Ils vont systématiquement à l’essentiel.»
Un avantage perçu par Olivier*, senior account manager: ne plus penser au travail. «Cela vous fait sortir du stress et amène à mon sens un superéquilibre, y compris pour des managers. Partir chercher ma fille à l’école, lui faire à manger et l’aider pour les leçons, la préparer pour aller au lit, tout ça fait que je ne pense même pas au boulot. Alors que j’aurais pu travailler jusqu’à 21 heures.»
Conscients toutefois des limites de l’exercice, certains ont dû refuser des postes «en or». Michel s’est vu proposer un autre job intéressant, mais a décliné. «Cela aurait été un boulot de fou où on ne compte pas ses heures. Et à quoi sert d’avoir une garde alternée si c’est pour engager des filles au pair?»
Didier, lui, a eu «deux offres incroyables». Pour la première, il devait partir à l’étranger. Pour la seconde, le patron voulait qu’il déménage tout près de la société. Totalement incompatible avec une garde alternée!
Mais dans les deux cas, pas l’ombre d’un regret dans la voix. «J’ai vu une étude menée aux Etats-Unis auprès de top managers et entrepreneurs. A la question: «Quel est votre plus grand regret?», ils ont tous répondu qu’ils ne passaient pas assez de temps avec leurs enfants.
Et ça, c’est irrattrapable! Vous n’imaginez pas à quel point leurs enfants le leur rappellent un jour. C’est tout simplement impossible pour moi de passer à côté de ma fille et de ne pas remplir ma fonction de père. Avec une garde normale, si vous voyez votre enfant six jours par mois, vous ne l’élevez pas.»
* Prénom d’emprunt.
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