Dinara Kulibayeva: «Je suis une femme engagée»
La fille du président kazakh a créé une fondation domiciliée à Genève, qui a consacré plus d’un million de francs dans des projets pédagogiques ou éducatifs. Interview exclusive.

Dinara Kulibayeva s’est établie dans le canton de Genève en 2010. La fille du président kazakh Nursultan Nazarbayev est une femme discrète. Classée dans le palmarès des 300 plus riches de Bilan (voir page 94), elle est à la tête d’une fortune estimée à plus d’un milliard de francs. Elle nous a reçus au siège de sa fondation éducative Montes Alti, situé dans la couronne urbaine de Genève. Cette interview s’est faite en russe, bien qu’elle parle couramment l’anglais et apprenne le français.
Beaucoup d’étrangers ont souvent une vision plutôt idyllique de la Suisse. C’était également votre cas? - -
La première fois que je suis venue en Suisse, dans les années 1990, j’ai d’emblée beaucoup aimé ce pays. J’y apprécie depuis l’excellent niveau d’éducation, le système de santé et sa grande stabilité.
Je suis admirative du système dual de l’apprentissage et des ponts qui existent avec les hautes écoles. Cela contribue au faible taux de chômage chez les jeunes. Ce système est très intéressant pour le Kazakhstan.
Et j’aime Genève. Elle me rappelle Almaty, au Kazakhstan. Au fil du temps, j’ai rencontré beaucoup de gens très sympathiques. Les Suisses paraissent réservés au début, mais s’ouvrent progressivement, ce qui nous semble être une bonne attitude.
D’abord vous vous êtes installée au Tessin et avez ensuite déménagé à Genève. Pourquoi? - -
Je me suis établie à Lugano pour être auprès de mon fils qui terminait son bac international. Il est ensuite parti étudier à Londres. En vue de mon projet de fondation, j’ai réalisé que Genève était plus propice. Elle correspondait également davantage à mes aspirations créatives.
J’y ai emménagé en 2009 et j’y ai créé la Fondation Montes Alti (qui tire son nom des hautes montagnes suisses) après la naissance de ma fille cadette en 2013, dans l’esprit de la fondation pour l’éducation Nursultan Nazarbayev que je dirige au Kazakhstan. Aujourd’hui, je me sens bien intégrée dans la société locale . Mes filles le sont également, elles parlent plusieurs langues et suivent leur scolarité en français.
Vot re père dirige le Kazakhstan, un des pays phare de l’ex-URSS, depuis son indépendance en 1991. Votre sœur aînée fait de la politique. Vous n’en faites pas vous-même. Avez-vous songé à suivre ses traces? - -
J’ai beaucoup de respect pour mon père et suis fière de ce qu’il a fait pour l’indépendance de mon pays. Je n’ai jamais fait de politique car il m’a toujours semblé difficile de vivre dans le sillage d’un grand politicien. En revanche, je m’implique dans l’éducation car c’est un enjeu essentiel de la politique nationale de chaque Etat. Le savoir est le moyen de lutter contre l’illettrisme, l’inculture et la pauvreté.
Pouvez-vous nous parler davantage de votre père, de son attitude dans la famille. Que vous a-t-il transmis? - -
C’est un excellent père. Malgré un agenda très chargé, il trouvait toujours du temps à consacrer à ses enfants. Il nous a toujours poussées à étudier, à nous perfectionner dans notre métier. Il nous disait que la vie est une lutte et qu’il faut être ambitieux pour réussir. C’est un exemple pour moi. Il a commencé sa vie professionnelle comme ouvrier dans la métallurgie. Il a étudié durant la nuit, est devenu ingénieur, avant d’entamer une carrière en politique.
Beaucoup de présidents, avant de prendre certaines décisions importantes, consultent leur famille. Votre père le fait-il également? - -
Mon père consulte très souvent ma mère Sara, mais il ne demande pas l’avis de ses enfants. Nous n’avons jamais été impliqués dans ses décisions.
La dernière estimation de votre fortune par le magazine «Forbes «se monte à 2,4 milliards de dollars. Etes-vous d’accord avec ce chiffre? - -
Sincèrement, je n’en ai aucune idée précise. Il ne s’agit ni d’un but ni d’une fierté. Mes ambitions sont autres: ma famille, l’éducation.
Votre mari, Timur Kulibaev, est surtout actif dans les affaires? - -
Timur est un homme d’affaires très avisé, actionnaire sans rôle opérationnel de la principale banque du pays, Halyk. C’est un self-made-man. Il préside la Chambre nationale des entrepreneurs du Kazakhstan. Il est également président du Comité olympique kazakh. A ce titre, il s’est d’ailleurs rendu aux Jeux de Rio.
Vous avez un doctorat en éducation, 40 publications scientifiques portent votre signature. Pouvez-vous nous parler de votre engagement? - -
Pour moi, c’est une grande responsabilité. J’ai d’abord ouvert des écoles qui devaient s’intégrer dans le système éducatif international. Et ensuite, j’ai fait mon doctorat sur la base de mon expérience. Ce fut très intéressant. Je suis également membre de l’académie des sciences du Kazakhstan.
Une délégation suisse, essentiellement genevoise, organisée par la Chambre de commerce Suisse-Russie & CEI et la Chambre de commerce et d’industrie de Genève viennent d’effectuer un voyage au Kazakhstan. Vous leur avez fait visiter une école. C’est une école que vous soutenez? - -
J’ai été associée au volet éducatif de ce voyage que nous avons préparé avec l’Ambassade du Kazakhstan en Suisse. La délégation était surtout composée d’hommes d’affaires. Je voulais leur montrer l’école Miras (héritage) à Astana car nous y avons ouvert une section française en partenariat avec l’Ambassade de France. Elle connaît un grand succès.
Vous dites apprécier le système éducatif suisse. Selon votre avis d’expert, que devrait-on améliorer? - -
Sur le plan suisse, le niveau est très élevé et exemplaire. Dans de nombreux pays en revanche, le secteur de l’éducation est encore un parent pauvre. Je regrette que tant d’Etats ne consacrent pas davantage de moyens à l’éducation. Plus généralement, je constate le manque de contact intergénérationnel entre les jeunes et leurs aînés expérimentés. Or, la transmission du savoir et des traditions est essentielle.
Comm ent appréhendez-vous le rôle de l’enseignant? - -
La profession d’enseignant n’est pas assez valorisée et perd de son prestige sur le plan mondial, ce que je regrette beaucoup. Ils devraient pouvoir bénéficier de plus d’indépendance de la part des autorités. Je suis également d’avis qu’il est aussi important pour les enseignants de se former qu’aux élèves d’apprendre. Un pédagogue doit pouvoir se perfectionner en continu.
Est-ce là l’un des buts de votre fondation ? - -
Montes Alti est une fondation familiale que j’ai créée en 2013 pour aider à former des jeunes. A ce jour, nous avons consacré plus d’un million de francs dans divers projets pédagogiques ou éducatifs. Elle a effectivement contribué à hauteur de 100 000 fr. à l’organisation à Genève d’une conférence internationale sur les enjeux de l’éducation au XXI e siècle. En partenariat avec l’OCDE, ce forum abordait notamment l’importance de la personnalité dans un parcours de vie. En effet, le développement des compétences sociales et émotionnelles de chaque individu influe naturellement sur ses chances de succès en matière d’études, d’accomplissement professionnel et de vie privée. L’enseignement de cette discipline est encore trop peu développé.
En partenariat avec l’Institut de formation pédagogique, Montes Alti a également soutenu la création d’une plateforme collaborative de formation pour les enseignants (www.lepole.education). Ce projet a été rendu public en mai dernier lors d’une journée pédagogique réunissant tous les enseignants du secteur privé du canton.
Quel regard portez-vous sur le système éducatif soviétique que vous avez connu? - -
Le système d’études soviétique faisait de l’éducation de base une priorité. C’était certes un système totalitaire, mais l’éducation, à partir du jardin d’enfants et jusqu’à l’Université était gratuite et de bonne qualité. Tous les étudiants avaient une bourse et un logement et pouvaient compter sur une place de travail après leurs études. Les enseignants étaient motivés et de grande qualité.
Vous avez une préférence pour la méthode Montessori? - -
Avant d’ouvrir deux écoles au Kazakhstan, j’ai visité énormément d’écoles dans le monde entier, notamment celles qui fonctionnent selon la méthode Montessori.Nous avons ouvert un jardin d’enfants à Almaty, selon cette méthode appliquée aux enfants de 3 à 6 ans. L’enseignement se fait en trois langues, l’anglais, le russe et le kazakh. Le succès dépasse les attentes. Ce jardin est privé, mais accessible. Certains enfants sont sponsorisés par le fonds éducatif Nursultan Nazarbayev. Dans le cadre de ce fonds, nous avons aussi ouvert un lycée militaire pour des garçons de 16 à 18 ans.
Quels sont les projets d’avenir de votre fondation genevoise? - -
Mon rêve est d’ouvrir une école à Genève car je sais que je peux apporter une nouvelle approche pédagogique dans les domaines du sport, de la musique, des maths. J’aimerais également construire une crèche car il en manque. C’est un projet complexe qui demande beaucoup de ressources, notamment en temps et en financement.
Vous vous consacrez beaucoup à l’éducation et à votre famille. Pouvez-vous nous parler de vos hobbies? - -
J’aime beaucoup le sport. Je fais du ski de piste et de fond, du patinage sportif, du fitness et du yoga. J’aime aussi écrire. Comme j’ai une première formation théâtrale, je m’intéresse beaucoup à la vie culturelle. J’apprends le français. J’aime lire, mais le temps me manque pour tout faire. Je suis une femme engagée. Je peux tout entreprendre, ce qui n’aurait pas été imaginable à l’époque soviétique.
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